En Europe, la rivalité qui oppose l’Argentine au Brésil ou encore celle entre l’Argentine et l’Uruguay n’est plus à présenter. En revanche, on connait moins celle qui divise Argentins et Chiliens. Si les antagonismes cités précédemment sont principalement d’ordre sportif, le match entre l’Albiceleste et la Roja dépasse le simple cadre du rectangle vert.
L’illustration la plus flagrante de la haine entre Argentins et Chiliens est peut-être ce chant entonné par une dizaine de compatriotes de Messi dans un centre commercial chilien, un remix du « Brasil decime que se siente » qui avait cartonné pendant la Coupe du monde mais beaucoup plus violent :
Chili dis-moi ce que ça fait,
de savoir que la mer va t’engloutir.
Je te jure que même si l’eau te noie,
jamais on ne va t’aider.
Parce tu es un traître, un flic et une balance.
Tu nous as vendu pendant la guerre car tu es un pédé.
Ne reviens plus ici.
J’espère que la mer va t’engloutir.
Que les Anglais t’aident à nager
À quoi font référence ces paroles ? Un petit point sur l’Histoire s’impose. Pendant presque 200 ans, l’Argentine et le Chili ont maintenu un litige territorial au sud du continent sur une zone appelée « le canal de Beagle » vers la province de la Terre de Feu. Les va-et-vient constitutionnels et les décisions sur le terrain des tribunaux ont été un échec. Les Argentins n’étaient pas satisfaits du traité. Un arbitre a été appelé en la personne de la reine Élisabeth II de Grande-Bretagne. Le rapport arbitral dévoilé le 2 mai 1977 a été approuvé par le gouvernement chilien mais pas par les Argentins. Le 19 janvier 1978, les dictateurs Jorge Videla et Augusto Pinochet se réunissent pour trouver un accord pacifique à la question du canal de Beagle. Nouvel échec. Il faut dire que les dictatures chiliennes et argentines étaient diamétralement opposées sur certaines questions politiques et diplomatiques. Le 23 décembre 1978, les Argentins enclenchent « l’opération souveraineté » pour récupérer les territoires par la force. Il faudra l’intervention du pape Jean-Paul II pour éviter une guerre entre les deux pays. Fruit d’un nationalisme exacerbé qui avait failli aboutir à un premier conflit, l’Argentine entre en guerre contre l’Angleterre pour récupérer les îles Malouines en 1982, encore une question de territoire mais surtout de prestige pour la junte militaire qui cherche à se donner un second souffle.
Le gouvernement chilien voyait d’un très mauvais œil une victoire des Argentins sur les Anglais pendant le conflit des Malouines. Il craignait que les Argentins allaient par la suite attaquer le Chili pour récupérer la totalité des territoires du Canal de Beagle. Le Chili a donc aidé l’Angleterre à conserver les îles Malouines par différents moyens militaires : informations sur les positions argentines et appui logistique et matériel aux forces anglaises. La collaboration du gouvernement chilien en faveur des Anglais n’a été dévoilé que récemment, en 1999, par des témoignages de hauts dignitaires chiliens et anglais. Les récentes informations montrent même que la guerre de Malouines aurait pu aboutir à un conflit continental puisque le Pérou était prêt à attaquer le Chili, ravivant des vieux souvenirs de la Guerre du Pacifique, si ces derniers entraient ouvertement en guerre contre l’Argentine. Les Argentins n’ont jamais pardonné aux Chiliens leur attitude pendant ce conflit qui est encore dans toutes les mémoires, une blessure qui a du mal à se cicatriser. Ils la considèrent comme une trahison, comme un acte qui va à l’encontre du concept, de l’utopie, de « Latina America Unida » chère au Che Guevara et à la plupart des gouvernements socialistes latino-américains. De leur côté, les Chiliens, comme beaucoup de pays limitrophes de l’Argentine, ne supportent pas le côté hautain reproché aux Argentins.
Hymne sifflé et voitures cassées
Dès la précédente édition de la de la Copa América l’an dernier, cette rivalité se traduit par de nombreux faits observés tout au long de la compétition. Tout d’abord, les supporters locaux ont constamment soutenu les pays qui jouaient contre l’Albiceleste comme l’ont fait les Brésiliens pendant la Coupe du monde. L’hymne argentin a été copieusement sifflé lors du match contre le Paraguay. Les voitures avec des plaques argentines sont souvent vandalisées mais c’est en tribune, au yeux de tous que le contentieux se fait sentir : la référence à la guerre des Malouines est constante. Les « argentinos maricones les quitaron las malvinas por huevones » chiliens (en français, « pédés d’argentins, vous avez perdu les Malouines comme des connards ») répondent aux « El que no salta es un traidor » ou « el que no salta es un ingles » (« qui ne saute pas est anglais » ou « qui ne saute pas est un traître ») argentins dans une ambiance assez malsaine.
Les Argentins font également référence à leur compatriote José de San Martin qui a libéré le peuple chilien des conquistadors espagnols au début du 19ème siècle. La finale entre les deux nations sent donc la poudre dans les tribunes.
Un match de foot, pas la guerre
En préambule de la finale 2015, certains médias et joueurs essayaient déjà de calmer les esprits, notamment le Barcelonais Javier Mascherano : « Ici, il n’y a pas de guerre, on va jouer une finale, on ne va pas à la guerre. Il ne faut pas mettre le sport au milieu de la politique. Le sport est sain, on doit donner l ‘exemple aux enfants. Nous sommes des pays frères ». Les Chiliens et Argentins sont certainement victimes des décisions politiques des dictateurs de l‘époque. D’ailleurs, le gouvernement chilien a considérablement et favorablement changé sa position par rapport à la souveraineté de l’Argentine sur les îles Malouines.
Les deux pays entretiennent désormais des relations diplomatiques cordiales. Pas sûr toutefois que ce rapprochement politique n’éteigne les vieilles rancœurs qui existent entre les deux nations.