Huitième de finaliste de la dernière Coupe du monde, le Chili part à la conquête de la première Copa América de son histoire. Durant la saison et dans cette quête, Jorge Sampaoli, le sélectionneur de la Roja, y aura mis les moyens. Panorama non exhaustif sur ses récents hauts faits.
À l’aune de l’espoir, un déclencheur : la dernière Coupe du monde au Brésil. Un match en particulier a su rallier les esprits les plus antagonistes : Rio, 18 juin 2014, 23 heures, au Maracanã le Chili élimine l’Espagne (2-0) champion du monde en titre de la compétition, et ce dès le deuxième match du groupe B. Interrogé à l’issue du match, Arsène Wenger se montre élogieux : « Le Chili s’est montré très supérieur à l’Espagne. J’ai adoré leur prestation. C’est une équipe très agressive, unie et qui joue avec une intensité extraordinaire. »
Dans la soirée, dans son émission De Zurda, sur la chaîne vénézuélienne Telesur, Diego Maradona reçoit un bref instant le technicien de la Roja. « Ce que tu as proposé était génial, déclare-t-il d’emblée. Tu l’as fait comme on le voulait. En mettant la pression sur l’Espagne et en sachant qu’ils étaient blessés, tu les as fait rester dans leur propre moitié de terrain et il était certain que tu allais les mettre en difficulté. […] L’attitude qu’on a vu de tes joueurs vient de ton discours. Pour se battre sur chaque ballon, le joueur chilien joue sa vie, et tout le mérite t’en reviens. » « C’est une grande joie de parler avec toi, lui a répondu Sampaoli, avant d’expliquer ses intentions. L’idée fondamentale était de les soumettre à un pressing haut. Face à une sélection qui continue d’avoir de très bons joueurs, c’est ce qui fallait faire. » […] Maradona poursuit : « Le Chili l’a emporté avec son football, en exerçant un pressing tout terrain, en allant sur tous les ballons contestés et les joueurs ont compris le discours de l’entraîneur. […] Les joueurs chiliens ont compris qu’ils devaient entrer dans l’histoire, et ils l’ont fait. Et cela est dans la continuité du travail de Bielsa, il leur a lavé le cerveau. Et là, ils sont parvenus dès le deuxième match à se qualifier. »
De son côté, José Mourinho, consultant pour la plateforme Yahoo! Sports, a qualifié la victoire du Chili face à l’Espagne de « fantastique ». Pourtant, quelques jours avant le début du Mondial, l’entraîneur de Chelsea avait pronostiqué que le Chili ne sortirait pas des poules. Après le match face à l’Espagne, l’entraîneur a assumé son erreur à l’heure d’analyser la rencontre. « Le Chili est une sélection qui pour beaucoup, moi y compris, allait avoir beaucoup de difficultés à se qualifier dans un groupe comprenant l’Espagne et les Pays-Bas. Mais le Chili a fait un match, pour moi, absolument incroyable. Le Chili était meilleur que l’Espagne. Bien meilleur et je pense que ça doit être dit », a-t-il affirmé. Mais l’ancien entraîneur du Real Madrid n’en est pas resté là : « L’entraîneur a une forte idée de jeu parce que presser haut comme ils l’ont fait avec l’intention de récupérer le ballon dès la relance espagnole a très bien été exécuté. C’est une équipe avec beaucoup de cohésion, qui possède un état d’esprit remarquable, un esprit de travail, d’aides et de couvertures absolument impressionnant », a ajouté Mourinho.
Et à travers ce match, le technicien portugais a proposé une analyse tactique limpide sur les faiblesses de l’Espagne : « L’Espagne a joué deux matchs en quatre jours contre deux sélections avec une défense à 5. C’est-à-dire avec trois centraux, deux latéraux, un milieu en double pivot et avec un dix derrière deux attaquants. Deux matchs en quatre jours avec le même système. Pour faire la réplique, Robben, Van Persie, Sneijder, c’est Alexis, Vargas, Vidal avec les deux latéraux, Isla et l’autre qui joue au Brésil (Mena) quand les Pays-Bas ont joué avec Janmaat et Blind. Et en jouant deux matchs de suite contre deux équipes avec exactement le même système tactique, l’Espagne a joué avec les mêmes principes. L’Espagne n’a pas regardé la dimension stratégique du jeu, elle n’a pas cherché à créer par les côtés mais dans l’entrejeu comme elle le fait si souvent. Sauf qu’avant, elle le faisait en ne jouant pas face à des équipes qui densifiaient l’axe du terrain. » Et de continuer : « L’Espagne a beaucoup joué avec des joueurs intérieurs. Elle a essayé de chercher les lignes de passes intérieures mais n’a jamais cherché les côtés. Parce que quand tu joues contre un système composé de trois centraux et d’un double pivot, tu disposes de 5 joueurs dans l’axe. Sur les côtés, tu as deux latéraux, et Isla attaque énormément. L’Espagne a parfois essayé de chercher Pedrito sur le flanc droit et Jordi Alba quelques fois à gauche, mais elle a toujours cherché à jouer à l’intérieur. »
L’espion de Sampaoli
À quoi est dû ce consensus entre Wenger, Maradona et Mourinho ? Le Chili connaissait parfaitement son adversaire. Le véritable bourreau du champion du monde en titre ne s’appellerait ni Eduardo Vargas ni Charles Aránguiz, les deux buteurs de la rencontre, mais Francisco Varela, membre du service secret du sélectionneur chilien.
Il est possible qu’Iniesta lui ait signé un autographe. Ou Casillas. Ou Piqué, qu’il connait désormais par cœur. Varela a toujours été auprès d’eux. Il n’a manqué aucun entraînement de l’autre « Roja » au Brésil. Il y allait avec son sac à dos, sa casquette, ses pantacourts, son maillot de la sélection, son stylo et son portable (qui lui servait aussi de caméra). Un fan fier d’être champion du monde, un de plus. Au début en tout cas, c’est ainsi qu’il fut perçu. Certains pensaient qu’il s’agissait d’un journaliste, ou du moins qu’il était accrédité pour suivre les entraînements. Mais Francisco Varela est celui qui a aidé, de manière indirecte, à vaincre les champions du monde. Par son examen en détail de tous les secrets espagnols, il demeure l’espion le mieux gardé de Sampaoli.
Un des détails dont se préoccupe le plus Jorge Sampaoli durant ses entraînements est la présence d’une quelconque personne étrangère. Soupçonneux, le technicien de la Roja se méfie d’une potentielle découverte de ses tests, de ses mises en place et de ses exercices de mouvements lorsque ses joueurs sont à l’entraînement. Même les fonctionnaires de l’ANFP (la Fédération Chilienne de football) ne peuvent y assister, excepté Felipe Correa, directeur des sélections nationales.
On pourrait penser que le natif de Casilda préserve seulement sa propre confidentialité. Mais il y a également une autre raison à ce confinement : Sampaoli ne fait pas confiance aux autres parce qu’il sait ce qu’il est lui-même capable de faire. Il ne veut pas que les adversaires fassent ce que lui-même réussit à faire. Trouver des collaborateurs aussi loyaux que méticuleux. L’Argentin compte ainsi sur des assistants très particuliers, prêts à tout pour obtenir la moindre information. Des hommes passionnés comme il l’est lui-même, capables de délaisser leurs familles pour répondre aux moindres nécessités de leur employeur. Car oui, c’est Sampaoli en personne qui paie de sa poche les escapades de ses envoyés.
Francisco Varela est un de ceux-là. Un ses plus fidèles collaborateurs, un de ses espions de confiance. Ancien collaborateur de Bielsa et préparateur physique des sélections de jeunes masculines et féminines chiliennes, Varela a déjà travaillé avec Sampaoli à l’Universidad de Chile. Quelques jours à peine après sa nomination (en décembre 2012), Sampaoli avait décidé de le recruter. C’est Varela qui a décortiqué le jeu espagnol en voyageant au plus près de la sélection de Vicente Del Bosque. Carnet de notes en mains, rien ne pouvait lui échapper. Beaucoup de situations de jeu vues au Maracanã comme éviter la verticalité d’Iniesta, le pressing sur les deux centraux et la transition offensive rapide dans le dos des latéraux font partie des quelques éléments qu’il avait analysé pour Sampaoli.
Non content de visionner et de revisionner toutes les vidéos de la sélection espagnole des dernières années, d’avoir scruté au peigne fin les individualités susceptibles de faire partie de la sélection définitive que donnerait Del Bosque (soit l’équivalent de plus de 500 vidéos en quelques mois), Varela a pris un avion jusqu’à Madrid le 26 mai 2014 afin de se rendre dans la ville de Las Rozas, lieu du centre d’entraînement de l’Espagne en stage avant la Coupe du monde. De là, il est allé à Séville où les champions du monde ont affronté la Bolivie. Varela a pris note des faiblesses défensives de Piqué, un des plus mentionnés dans le rapport. Chaque détail enregistré était envoyé à Juan Pinto Durán (centre d’entraînement du Chili), où le matériel était décortiqué et compilé avant de le livrer à Sampaoli. Varela est donc ainsi allé à Madrid, Séville puis Washington, où l’Espagne est allé jouer un match amical face au Salvador. Il s’agissait de sa dernière escale avant de débarquer à Curitiba, place forte espagnole le temps du Mondial brésilien.
« Jorge Sampaoli n’a pas demandé d’aller espionner une quelconque sélection. Il voulait simplement de plus amples informations. Il est clair que certaines informations ne s’obtiennent pas en regardant en direct des matchs, donc il a fallu aller au-delà. Et c’est ce qu’on fait ses collaborateurs », s’est justifié le staff technique malgré la contradiction. Celle d’encourager à faire ce qu’il ne voudrait pas qu’on lui fasse.
Au final, tout ce travail en a valu la peine. Le Chili a glané une victoire historique au Maracanã. Et son espion était, lui, déjà prêt pour la prochaine mission. Sauf qu’un mois plus tard, après le retour du mondial brésilien, Sampaoli a pris la décision de se passer de ses services. Pour le technicien, Francisco Varela s’est exposé après avoir été découvert lors du Mondial. Varela a été informé de son licenciement par Sampaoli en personne. Cette décision, le sélectionneur l’a prise en le voyant sur un article publié par la Tercera (voir photo ci-dessus) où après la victoire du Chili contre l’Espagne, il était apparu aux environs du centre d’entraînement à Curitiba vêtu du maillot de champion du monde lors de ses nombreuses visites.
Peu lui importait les sept semaines (voire plus) pendant lesquelles Varela avait été contraint de vivre loin de sa famille afin de suivre pas à pas la sélection espagnole lors de sa préparation. Selon ses proches, l’espion aurait reçu surpris ses indemnités bien que dans son entourage on ait reconnu que l’énorme usure engendrée par la préparation du Mondial l’avait fatigué.
Sampaoli, l’ennemi des fuites, avait compris que la publication exposait une de ses armes préférées en matière d’espionnage et rendait de fait plus difficile la quête d’informations. Voilà pourquoi Sampaoli a pris la décision de le décharger de sa mission.
Legs et mise au point
Si la Coupe du monde a révélé au grand jour l’Argentin, sa dimension a depuis pris du poids par son héritage et sa transparence en matière de communication.
A peine la Coupe du monde terminée, Jorge Sampaoli n’avait qu’une hâte : rentrer à Pinto Durán pour voir la fin de la compétition… et revoir les matchs de sa sélection. À l’époque, son entourage ne savait rien de son emploi du temps. L’homme est occupé à maintenir sa routine exigeante. Ainsi, l’Argentin se rend quotidiennement au centre d’entraînement. Et sa journée de travail s’apparente à celle qu’il vivait quand il préparait la Coupe du monde. Arrivée au centre d’entraînement à 7 h 30 pour n’en repartir qu’à 17 heures.
Le huitième de finale contre le Brésil, il l’a revu plusieurs fois et pendant plusieurs jours. Comme il revisionnera l’ensemble des matchs de la Coupe du monde 2014. « L’étape franchie par ce groupe donne l’espoir qu’on peut y arriver », clame-t-il, l’esprit déjà obnubilé par la Copa América. Dans ce travail de prise de notes, il a pu compter sur son adjoint, Sebastián Beccacece. Les deux hommes en ont profité pour suivre tout particulièrement les équipes sud-américaines que le Chili pourrait croiser lors de cette Copa América 2015.
Puis début août, le sélectionneur du Chili a donné rendez-vous aux journalistes à Juan Pinto Durán. Sans caméra ni de matériel enregistreur, il s’agit seulement d’observer, d’écouter et de mémoriser les interventions de Jorge Sampaoli et de son staff technique. Sebastián Beccacece, son adjoint, et Jorge Dessio, son préparateur physique, muni de données, carnet en mains. Pour la première fois, la maison de la Roja ouvre ses portes pour connaître en détails le travail de ceux qui l’occupent.
Il est impossible de retenir toutes les informations que livrent Sampaoli durant quatre heures d’exposé et de dialogues. L’écran géant installé dans la salle de conférence montre des statistiques, des vidéos, des courbes de performances, des schémas tactiques… L’ensemble des éléments analysés lors de la préparation du Mondial 2014 et durant celui-ci est mis à nu.
Le même homme qui veille de manière obsessive au secret et au mystère en installant murs et barbelés brise la norme. Sa méthode est peu conventionnelle : il invite individuellement des journalistes de médias différents. « Principalement pour une question de commodité », rapporte l’ANFP. Le sélectionneur veut prendre tout le temps nécessaire pour s’exprimer, celui qu’il n’a pas durant une traditionnelle conférence de presse. Sampaoli est assis à un bureau, prêt à répondre aux questions. Le dialogue est ouvert.
Le stratège a par exemple révélé pourquoi il avait décidé de faire jouer Vidal contre l’Irlande du Nord, le dernier adversaire avant la Coupe du monde (quelques jours après son opération au ménisque droit). Selon ses dires, lui n’avait aucune intention de le tester à Valparaiso, mais c’est le milieu lui-même qui, avant le match, avait demandé d’entrer sur le terrain. Sampaoli avait d’abord refusé avant que le joueur lui fasse comprendre qu’il avait besoin de se tester, les entraînements n’étant pas suffisants.
Sampaoli est aussi revenu sur le cas Valdivia (gestion durant la Coupe du monde, retraite anticipée), sur sa volonté de continuer avec la sélection jusqu’à la Coupe du monde 2018 en Russie. Il a également révélé qu’il avait refusé onze offres, qu’il voulait déjà entériner son avenir. Que celui-ci était au Chili. Et que de toute façon, si l’ANFP avait décidé de le destituer d’ici-là, il avait tout planifié. Comme à son habitude.
En revanche, ce qu’il n’avait pas prévu, c’est que l’on fasse appel à lui dans la volonté de changer à jamais un pan du football chilien : la formation. Entre ses visionnages et ses réunions improvisées, Sampaoli a accepté de laisser son empreinte dans la formation des entraîneurs. « J’ai demandé à Jorge Sampaoli qu’il remanie la formation pour que son idée de jeu soit appliquée par les entraîneurs formateurs. » C’est de cette manière, dans l’émission chilienne « Mucho Gusto » que le président de l’ANFP, Sergio Jadue, a annoncé que les travaux du sélectionneur national ne devaient pas être voués à rester au bord du terrain mais s’inscrire dans une dimension plus administrative et académique.
Après son retour de vacances, une des premières missions du sélectionneur chilien a été d’analyser le programme d’enseignement du football professionnel chilien dans un délai de 60 jours. Des sujets enseignés jusqu’aux installations de l’INAF (l’Institut National du Football), situé à côté du siège de l’ANFP. « Impliquer Sampaoli pour qu’il réexamine notre programme d’études est une étape importante pour le sport chilien. C’est un technicien révolutionnaire et cela a été démontré lors de la dernière Coupe du monde », s’est félicité Oscar Guida, secrétaire général du centre technique national.
En acceptant cette charge, Sampaoli reste à ce jour l’unique sélectionneur qui laissera des vestiges de son travail et de ses principes. Il n’existe à l’heure actuelle aucun document ou élément exploitable comme matériel d’étude. Ni de Nelson Acosta, ni de Claudio Borghi, ni de Marcelo Bielsa.
Dans la préparation de la Copa América
Cette entreprise répondait en grande partie au travail méticuleux de l’Argentin. Et à sa manière de préparer la Copa América à domicile, on comprend mieux pourquoi.
« Fais-la-toi breveter ! », lui a recommandé Guardiola lors de leur dernière rencontre en Europe. Et Jorge Sampaoli pensait le faire sérieusement. L’entraîneur du Bayern Munich est en effet resté impressionné par la nouvelle invention du sélectionneur chilien. Une idée qui mélange football, technologie et jeux vidéos. Encore en développement, Jorge Sampaoli a déclaré lors de sa conférence de presse d’avant-match contre l’Équateur lors de cette Copa América qu’il comptait disposer de son joujou pendant la compétition.
Le concept est le suivant : utiliser la réalité virtuelle d’un jeu de football (comme FIFA ou PES) pour travailler individuellement avec les joueurs sur leurs mouvements durant un match. Il ne s’agit pas simplement de jouer à la Playstation. Les footballeurs doivent faire face à toutes les stratégies et aux mouvements de l’adversaire (susceptibles de se présenter en match) et que Sampaoli intègre lui-même dans le jeu en accord avec toutes les informations collectées par ses analystes.
L’Argentin a contacté un groupe de programmeurs chiliens qui ont perfectionné son idée et qui lui ont donné vie. Ils ont aussi intégrer les propriétés des équipes de la Copa América avec les informations fournies par le staff technique du sélectionneur. « Par exemple, on peut dire à un joueur comment agir lorsqu’on exerce un pressing contre un 4-4-2, et le logiciel nous montre comment fonctionne ce 4-4-2 adverse », expliquait-il à la Tercera en mai dernier.
En soi, une des applications de ce programme devait aussi permettre la connexion en ligne. L’idée était que des joueurs comme Matias Fernandez, David Pizarro, Claudio Bravo, Alexis Sánchez ou Arturo Vidal puissent, à la demande de Sampaoli, se connecter sur leur console afin de s’entraîner. Le but ? Gagner du temps en vue de la Copa América et du retour respectif de chacun (Vidal est arrivé le 9 juin, soit deux jours avant le début du tournoi).
Ce logiciel possède aussi une double utilité : pour les causeries comme pour les entretiens individuels. Dans sa soif de rapprocher le plus possible le football à la science, il est fondamental pour Sampaoli que ses hommes comprennent parfaitement tous les concepts livrés avant chaque match. Cette méthode requiert aussi l’attention complète des joueurs. Une capacité de concentration que beaucoup de joueurs n’ont pas. À plusieurs reprises, le sélectionneur a surpris ses joueurs peu attentionnés lors de ses causeries, les yeux rivés vers leurs portables. L’utilité de ce programme vise à s’assurer que ses consignes soient écoutées et assimilées. À la vue d’un joueur distrait, là est venue l’idée de Sampaoli.
« Au début, il est possible qu’ils prennent ça à la rigolade. Mais après, ils prendront conscience que celui qui se trompe doit se tromper avant le match et non plus pendant. Et théoriquement, ce logiciel doit nous permettre de travailler lorsque nous aurons du temps », détaille Sampaoli. L’attente de l’Argentin sur sa nouvelle méthode d’entraînement est très grande : « Dans un pressing en 3-5-2, elle nous permettra de voir comment nous bougeons, comment nous pressons. Ça me donnera beaucoup d’informations. »
Le projet doit commencer dès la Copa América pour s’étendre jusqu’aux éliminatoires de la Coupe du monde 2018. Si l’invention fonctionne, elle sera copiée par d’autres collègues. La breveter, comme l’a suggéré Guardiola, ne serait peut-être pas une mauvaise idée.
Cette invention, Sampaoli l’a évoqué lorsqu’il a accepté en mai dernier de faire visiter à des journalistes de la Tercera, et pour la première fois de son mandat, le centre d’entraînement de la sélection. Son bunker. La visite commence par la salle où Sampaoli a l’habitude de faire ses causeries. Pour y avoir accès, il vous faut emprunter seize marches recouvertes d’herbe synthétique. « C’est pour nous sentir davantage interpénétré dans notre travail », plaisante l’Argentin. Mais le ton est donné.
Son bureau était celui de Marcelo Bielsa il y a deux mandats. La plus grande pièce du complexe. Sur une étagère est gardé dans l’ordre alphabétique et chronologique le détail des saisons de tous les joueurs suivis par le sélectionneur et son équipe de travail. Sont aussi archivés les résumés de chaque match amical disputé durant son ère. On y trouve aussi trois ordinateurs haut de gamme, une télévision 46 pouces, un pan de mur dédié aux rétroprojections, une table pour les réunions et de nouveaux sièges.
Sampaoli expose les activités qui s’y déroulent : « Ici travaillent trois analystes et deux autres qui voyagent pour connaitre nos adversaires (ses espions, ndlr). C’est ici que l’on revoit tous les matchs des joueurs de la sélection ou de possibles futurs prétendants pour celle-ci ». L’espace fonctionne comme un centre d’investigation, dans la recherche de nouveaux exercices à mettre en place plus tard pour les entraînements. Sampaoli s’explique : « Je viens ici quand je dois discuter de quelque chose avec les analystes. Par exemple, quand ils ont une proposition sur un coup de pied arrêté susceptible de mettre en difficulté l’adversaire ou susceptible de nous nuire. Je viens et nous l’analysons conjointement. Ils me montrent l’action, on la découpe, on la revoit après découpage, on l’intègre sur l’un des ordinateurs, on l’analyse. Après, on la met en place avec les joueurs. »
Un des petits cahiers de l’étagère a pour titre : « Jorge Valdivia 2013 ». Il s’agit de 40 pages récapitulatives de toute la saison du meneur de la Roja, match après match, comprenant des données sous formes de tableaux, des graphiques et des données sur son influence dans telle ou telle zone de jeu. On y voit également des informations écrites à la main. Un travail d’orfèvre.
Deux compartiments plus loin sur la gauche se trouve le dossier du match amical face au Brésil avant le Mondial. À Toronto, le Chili avait perdu 2-1. Et là aussi, le même travail : une analyse approfondie du match avec analyses des actions, des éléments jugés clés, des performances individuelles avec des annotations sur les faiblesses et les qualités de chacun.
Toutes les données sont ensuite intégrées dans un programme informatique connecté directement à l’ordinateur de Sampaoli. « Notre idée est que cette information reste archivée et serve pour les prochains techniciens de la sélection », expose le stratège. La première réflexion qui vient à l’esprit à l’énonciation de son commentaire rappelle le triste épisode des archives de Marcelo Bielsa, jetées au pied d’une décharge le long du Rio Maipo. Sampaoli sourit : « J’espère que ça ne passera pas comme ça. »
En bas des escaliers, rien d’inhabituel, un rétroprojecteur géant, type cinéma. Les trois tableaux blancs traditionnels et leurs jetons sont là, mais l’entraîneur révèle qu’il travaille déjà sur un système beaucoup plus moderne. De l’autre côté de la cour, dans une petite pièce, encore un téléviseur 32 pouces et trois ordinateurs avec des programmes d’édition de vidéo. « Ici, on édite tous les matchs qui ont une certaine importance pour la sélection. Les matchs chiliens et des équipes dans lesquelles il y a des chiliens à travers le monde », affirme-t-il.
La prochaine salle, réservée au staff technique, est garnie d’un autre tableau blanc et d’un agenda mural avec les dates et les adversaires des prochains matchs. « Sur le tableau, on note tous les détails de notre prochain adversaire, les noms des susceptibles titulaires avec les visages de chacun, et les alternatives. C’est pour le staff, pas pour les joueurs. »
Cette salle se divise elle-même en trois pièces. Une pièce commune où peuvent s’installer les entraîneurs des sparrings, les adjoints, et trois chambres individuelles pour son préparateur physique, son adjoint et lui-même. Curieusement, le bureau de Sampaoli est le plus petit. « Je n’ai pas besoin d’avoir un grand bureau, mais dès que je peux voir le terrain, j’ai la meilleure vue », dit-il avec sourire.
Sur le bureau de l’entraîneur, beaucoup de papiers, des cahiers et des croquis dessinés à la main. Il porte à son nez ses lunettes noires afin de montrer le contenu stocké dans son ordinateur. Des dossiers en nombre, chacun divisé en une dizaine d’autres sous-dossiers. Il accepte d’en ouvrir un, il s’agit du match amical entre les États-Unis et le Mexique. La Tri, adversaire direct de la Roja dans le groupe A de la Copa América.
Sampaoli a accès à toutes les archives, partagées avec ses collaborateurs à travers un serveur. L’offre inclut des vidéos éditées, des matchs complets, des analyses individuelles de joueurs nationaux et étrangers. « J’ai ici (dans son ordinateur) les analyses de tous les joueurs que nous suivons, tous leurs matchs jusqu’à aujourd’hui. Tous ceux qui peuvent prétendre faire partie de la sélection », dit-il.
« J’ai déjà vu tous les matchs de nos adversaires du groupe. Tous. Après, je regarde les coups de pied arrêtés, offensifs, défensifs, les coups-francs. Ensuite, nous faisons une analyse sur la polyvalence des joueurs adverses. » Quand la sélection ne s’entraîne pas, le sélectionneur et ses adjoints, eux, continuent de travailler. De 7 h 30 à 16 heures du lundi au vendredi (sans compter les heures supplémentaires). 9 heures-13 heures le samedi.
Sur le terrain principal de Juan Pinto Durán, la visite se termine. Là, Jorge Sampaoli explique le pourquoi de sa méthode. « Il y a des entraîneurs qui privilégient seulement les capacités du joueur. Moi, je ne peux pas. Ma caractéristique, c’est de lui faire tout travailler. Le doute est s’il faut accroître la mécanisation au détriment de la créativité ou de l’inspiration du joueur. Mais le sélectionneur assume le risque : C’est un grand débat mais quand on joue contre des équipes prétendument supérieures, je crois que le meilleur système, c’est d’être le mieux organisé possible. […] A l’entraînement, j’exige de mes joueurs qu’ils s’entraînent comme ils jouent. C’est la seule manière pour qu’ils puissent me montrer si je dois corriger une erreur ou non. Si je ne vois pas d’erreurs, pourquoi les feraient-ils après ? […] Pour moi, le principal c’est d’entraîner les joueurs sur ce qu’ils vont faire en match. Le joueur a besoin de la sécurité de l’entraînement pour se rendre compte des situations qu’il va vivre en match. Quelle sera la performance collective si un joueur ne s’entraîne pas pleinement ? C’est impossible. »