Il y a certains joueurs qui laissent des souvenirs, qui participent à quelques épopées. Et puis il y a ceux qui incarnent un club pour ce qu’ils ont réalisé sur le terrain et ce qu’ils ont représenté. Ceux-là sont uniques et choyés. C’est le cas de Momcilo Vukotic au Partizan Belgrade. Histoire d’une romance en noir et blanc.
Supporter, espoir, joueur, capitaine, entraîneur, directeur sportif, formateur : Vukotic aura tout connu au Partizan Belgrade. Dès la fin des années 1960, et pendant quasiment trois décennies, Momcilo aura dans un premier temps vécu de l’intérieur toute l’histoire du football yougoslave avant de rentrer à Belgrade il y a quelques années pour former une nouvelle génération de joyaux de Partizan. Car l’histoire de Vukotic, c’est aussi celle d’une transmission entre générations, l’essence d’un club.
Un pur produit de l’école du Partizan
Momcilo n’est finalement guère plus jeune que son club de toujours. Né en 1950, soit cinq ans après la création du Partizan par des officers de l’Armée Populaire Yougoslave chère à Tito, Vukotic est un enfant de Belgrade. Son père Aleksandar, militaire, est un grand fan de football et transmet logiquement sa passion à son fiston dès son plus jeune âge avec une attention particulière pour le dribble.
À 12 ans, Aleksandar amène Momcilo au stade JNA, celui du Partizan. Un essai impromptu est organisé pour le garçon avec une équipe de jeunes du Partizan, un essai bien entendu concluant. Le début de son histoire en noir et blanc. Mais quelques semaines passent et Momcilo représente son école lors d’un tournoi organisé par l’Etoile Rouge de Belgrade. Bien entendu, sa qualité technique fait sensation et le rival du Partizan tente de débaucher la jeune vedette. La réponse de son père fut cinglante : « Si tu penses à jouer pour l’Etoile Rouge, ne daigne pas rentrer à la maison. Tu peux dormir au Marakana (le stade de l’Etoile Rouge, ndlr) ».
Le début des années 1960 est glorieux pour le Partizan qui remporte 4 titres de champion de Yougoslavie en 5 ans. Mais le principal fait d’armes se déroule en 1966 lorsque la génération dorée, menée par Fahrudin Jusufi, Mustafa Hasanagic, Vladica Kovacevic, Milan Galic sur le pré et Abdullah Gegic sur le banc, arrive en finale de la Coupe d’Europe des clubs champions. Après avoir éliminé le FC Nantes, le Werder puis Sparta Prague, la finale leur offre pour adversaire le Real Madrid. Le Partizan mène 1-0 jusqu’à la 70è minute mais craque en fin de match.
Pendant ce temps-là, Momcilo Vukotic et ses compères se promènent en équipe de jeunes comme il le rappelle : « Nous avions cinq, six joueurs du Partizan qui évoluaient en sélection nationale de Yougoslavie de notre catégorie dont moi. Nous étions vraiment très dominateurs dans les championnats de jeunes. L’Etoile Rouge ne nous battait jamais. »
Les premiers pas en équipe première
Deux ans après la finale de Bruxelles, quelques héros de 1966 sont partis monnayer leur talent à l’étranger dont l’attaquant Milan Galic au Standard de Liège. À 17 ans, Momcilo évolue pour la première fois avec l’équipe première : « Ce fut un énorme bonheur de débuter contre le Vardar en 1968. À l’époque, il y avait encore quelques joueurs qui avaient joué la finale de 1966 dont mon idole Vladica Kovacevic. Un de ceux qui savaient tout du football et chaque match tournait autour de lui. Vous ne pouvez pas imaginer ce que j’ai ressenti. C’était un boost incroyable pour moi de pouvoir apprendre en jouant avec de tels joueurs. Mais c’était aussi une grande responsabilité, comme je jouais à côté de joueurs de très haut niveau que je regardais jadis depuis les tribunes. Je ne pouvais pas croire que je faisais partie de l’équipe première et je n’ai même pas voulu dire à mes parents que je partais pour la mise au vert la veille du match. »
Cette mise au vert est d’ailleurs un bon souvenir pour Momcilo : « J’étais avec mes idoles et je ne savais pas trop comment me comporter avec eux. Pendant cette mise au vert, ils m’ont envoyé acheter des cigarettes. J’étais heureux qu’ils me le demandent parce que cela a créé une sorte de communication entre eux et moi. Ces gars avaient joué une finale de Coupe d’Europe et je ne me suis jamais vraiment adapté psychologiquement au fait que je devienne leur coéquipier. » Mais dès la saison suivante, Vukotic devient titulaire avec quelques autres jeunes du centre de formation qui montent en équipe première dont Bosko Djordjevic et Vladimir Pejovic.
Le Partizan vit cependant dans l’ombre de son rival de Belgrade et de l’Hajduk Split qui remportent chacun trois titres entre 1968 et 1975. Le Partizan ne parvient qu’à accrocher une troisième place en 1969 puis une deuxième en 1970. Mais de son côté Vukotic continue de progresser comme nous l’explique Aleksandar de Crno-Belo Nostalgija : « Il jouait en tant que buteur au début de sa carrière puis il est devenu milieu axial. C’était un superbe dribbleur et un très bon buteur tout en ayant une belle capacité pour la passe décisive. Un meneur de jeu fantastique. » Il débute d’ailleurs en sélection nationale de Yougoslavie en 1972 à l’âge de 22 ans. À l’occasion de sa première apparition avec la Yougoslavie, il trompe Dino Zoff, un but qui marquera le début des 1142 minutes d’invincibilité de Zoff avec l’Italie, un record jamais battu. Cependant Vukotic ne jouera qu’une dizaine de fois en sélection, barré par une superbe génération de milieux et d’attaquants composée de Vladimir Petrovic, Branko Oblak, Dragan Dzajic, Jovan Acimovic ou Ivan Surjak.
Un capitaine victorieux
10 ans après la finale contre le Real Madrid, la génération dorée de 1966 n’est plus qu’une page d’histoire. Vukotic est devenu un membre essentiel de l’équipe et son capitaine. Seulement sixième la saison précédente, le Partizan parvient à mener la vie dure aux autres équipes du « Big Four » yougoslave : l’Hajduk Split, le Dinamo Zagreb et bien entendu l’Etoile Rouge. Le Partizan devient champion avec seulement un point d’avance sur l’Hajduk : « Ce titre était très symbolique pour nous parce que nous réalisions nos rêves de jeunesse après une longue période de disette ». L’équipe noire et blanche est ainsi composée de nombreux joueurs formés au club dont Djordjevic (5 buts) et Pejovic (7 buts). Vukotic est aussi prépondérant avec ses sept buts et son activité au milieu pour servir Nenad Bjekovic, auteur de 24 buts cette saison-là et qui ira faire les beaux jours de Nice les saisons suivantes.
Mais Vukotic préfère se rappeler du titre de 1978 : « Je dirais que celui de 1978 fut plus important. Cette saison-là, nous étions entraînés par le grand Ante Mladinic et nous avons battu tous les records du championnat yougoslave, des records jamais égalés. Et j’ai joué le meilleur football de ma carrière. Tout simplement, nous étions meilleurs et en plus nous avons réussi à mobiliser des supporters du Partizan à travers toute l’ex-Yougoslavie. Il y avait en moyenne 30 000 spectateurs à chaque match. Mladinic avait un grand pouvoir de suggestion, amenait sa mentalité de Dalmatie (région du sud de la Croatie, ndlr), une grande connaissance du football et une énorme confiance qui transformait l’équipe en requins sur le terrain. Il est incroyable qu’il ait réussi à garder cette adrénaline si élevée tout au long de la saison. Ses méthodes d’entraînement, son approche de l’entraînement et des matchs, étaient du jamais-vu à l’époque. » Cette saison-là, Vukotic est le meilleur buteur de l’équipe avec 11 buts.
Mais 1978 ne se limite pas au titre en Yougoslavie, Vukotic mène aussi le Partizan à la conquête de la Coupe Mitropa. La finale a lieu contre le Honved Budapest après avoir sorti Pérouse et Brno. À Belgrade, sur un penalty d’Aleksandar Trifunovic, le Partizan bat l’équipe hongroise. Sur ce doublé, le capitaine Vukotic quitte le Partizan : l’étranger lui fait du pied, il signe à Bordeaux à 28 ans.
L’amour du Partizan le fait rentrer fissa au pays
Vukotic rejoint l’Aquitaine alors que c’était Nice qui devait en principe l’accueillir : « Lors du derby contre l’Etoile Rouge cette saison-là, j’ai marqué deux buts et des émissaires de Nice étaient dans les tribunes. J’ai signé un pré-contrat avec ce club où jouaient Katalinski et Bjekovic. Katalinski était censé quitter Nice mais il a changé d’avis donc mon pré-contrat est devenu caduque parce que seuls deux joueurs étrangers pouvaient évoluer dans un club français. Finalement, Bordeaux en a eu vent et à la place de la Riviera, je suis arrivé en Gironde. »
À Bordeaux, Vukotic profite d’un nouvel environnement, alors qu’à l’époque, seuls les joueurs yougoslaves de plus de 28 ans sont autorisés à évoluer à l’étranger. Les Girondins réalisent une saison très moyenne avec une seizième place mais Vukotic s’en sort plutôt bien avec 8 buts. Seulement son esprit est déjà ailleurs alors qu’il souffre en regardant le classement du Partizan journée après journée. Cette année-là, le Partizan ne se sauve que pour un point, douze mois après leur si brillant titre de champion. Appelé au chevet de l’équipe par l’entraîneur Zoran Miladinovic, Vukotic décide de quitter l’Europe de l’Ouest pour rentrer en Yougoslavie et aider son club de toujours. Un geste qui restera dans les mémoires et participera à renforcer sa légende.
Le dernier titre en tant que joueur du Partizan
Les années suivantes s’avèrent compliquées pour le Partizan. Mais Vukotic tient bon et prend plaisir à participer à l’éclosion d’une nouvelle génération issue du club. En 1980, le Partizan ne termine que treizième, puis huitième et sixième. C’est l’époque où, outre le « Big Four » du football yougoslave, les clubs bosniens du FK Sarajevo, Zeljeznicar et Velez Mostar jouent le haut de tableau.
La jeune garde menée par Vukotic parvient tout de même à gagner le titre de champion en 1983. Vukotic est encore essentiel au milieu d’une bande de gamins, au premier rang desquels figurent Ljubomir Radanovic (23 ans) et Dragan Mance (20 ans et 15 buts). Ce dernier mourra d’ailleurs deux ans plus tard dans un accident de voiture lui valant le surnom de « James Dean du football serbe ». Momcilo Vukotic se souvient de ce titre avec une chaleur certaine : « C’est mon dernier titre en tant que joueur et cela reste spécial, en particulier pour l’entraîneur Milos Milutinovic qui était une personne très spéciale. Le Dinamo Zagreb, entraîné par Miroslav Blazevic, était le favori cette saison-là mais petit à petit on les a rattrapé. Le match à Zagreb fut crucial et on l’a remporté 4-3 ; le jour où j’ai marqué mon centième but avec le Partizan, les gens en parlent encore. On a assuré le titre à Belgrade contre le Dinamo en faisant 2-2 alors qu’on perdait 2-0, il y avait 100 000 spectateurs dans les tribunes ce jour-là. Après ce titre, je voulais raccrocher les crampons comme je pensais être toujours à mon meilleur niveau et je voulais que les gens se souviennent de moi comme cela. Mais Milutinovic m’a demandé de jouer une saison supplémentaire pour aider l’équipe en Coupe d’Europe. Je ne pouvais pas dire non à une personne de la qualité de Milutinovic. Mais après cette saison, j’ai décidé que c’était assez. »
Vukotic aura donc gagné trois titres de champion de Yougoslavie avec le Partizan mais plus que les titres, c’est l’impression laissée qui a marqué les supporters à Belgrade comme le confirme Aleksandar : « Vukotic est le symbole du Partizan à cause de son dévouement au club dans lequel il a passé plus de 16 ans de 1968 à 1984 comme joueur (avec seulement une saison à Bordeaux en 78-79). La plupart du temps, il était le meilleur joueur de l’équipe, son cœur et son âme. Il était un joueur excellent, représentant ce qu’un Totti est pour la Roma. Il a joué 791 matchs pour le Partizan, un record. »
L’homme des derbys d’antan
Bien entendu sur ces 791 matchs joués sous le maillot du Partizan, les derbys contre l’Etoile Rouge de Belgrade ont eu une saveur spéciale. Vukotic a eu la chance d’en jouer 25, à une époque où ces matchs étaient une vraie fête du football mettant aux prises certains des meilleurs joueurs de l’époque comme Dragan Dzajic et Jovan Acimovic côté rouge et blanc. Mais toujours avec un respect certain comme le narre Vukotic :« C’était l’époque où les rivaux féroces avaient un grand respect l’un pour l’autre, hormis pendant les 90 minutes sur le terrain. Avant et après les derbys, nous nous retrouvions, on s’asseyait dans un bar ou un café pour discuter de nos impressions concernant le match. Même les supporters arrivaient ensemble au stade et vous pouviez voir des supporters des deux équipes assis dans le restaurant du Partizan sans aucune tension. Les joueurs marchaient dans la foule sans souci. Après le terrain, on descendait au restaurant et on parlait du match avec les supporters. J’aimerais voir cela à nouveau. Je n’oublierai jamais le derby joué en 1965 quand plus de 2000 supporters ont dû sauter au-dessus des grillages pour regarder le match depuis la piste d’athlétisme, à cause du trop grand nombre de personnes dans les tribunes. Et cela s’est déroulé sans aucun souci. C’est le genre de choses que vous n’oubliez jamais. »
Pour Aleksandar, la personnalité de l’homme Vukotic est autant voire plus importante que le joueur dans le fait qu’il soit devenu une légende du club : « Vukotic était très affable. Il était comme un requin sur le terrain mais un agneau en dehors. Toujours prêt à discuter, donner des conseils, prendre une photo avec les supporters ou signer des autographes. Et il était totalement dévoué pour sa famille. Il n’a jamais sous-estimé ses rivaux sur le terrain et en a toujours parlé en termes très respectueux lors d’interviews. »
Un homme du Partizan, même en dehors des terrains
À sa retraite des terrains, Vukotic ne quitte pourtant pas le Partizan et devient directeur sportif du club à 34 ans. Là aussi avec un certain succès, ayant contribué à signer des joueurs comme Vokrri ou Katanec, prépondérants dans les titres de champion 1986 et 1987 alors que c’est l’ancien compère de Vukotic, Nenad Bjekovic, qui figure sur le banc. À l’intersaison 1988, Vukotic prend la suite d’une légende de 1966 Fahrudin Jusufi et devient l’entraîneur du Partizan. Si la saison est décevante en championnat, le Partizan parvient à décrocher la Coupe de Yougoslavie : « J’ai pris la direction de l’équipe pendant une saison. Et nous avons gagné la Coupe de Yougoslavie après 32 ans sans victoire. C’est probablement mon trophée le plus cher à mes yeux, même plus que ceux que j’ai gagné en tant que joueur. Nous avions éliminé l’Etoile Rouge en quart puis battu le grand Velez Mostar 6-1 en finale. »
Vukotic quitte alors la Yougoslavie pour continuer sa carrière d’entraîneur. La Grèce, la Roumanie, Chypre l’accueilleront, il fera même partie du staff de la Yougoslavie dans les qualifications ratées à la Coupe du monde 2002. Mais bien entendu, comme toujours, il reviendra au Partizan en 2012 pour devenir directeur du centre de formation du Partizan. Là où tout avait commencé 50 ans plus tôt lors d’un essai impromptu.
En 50 ans, Momcilo Vukotic aura écrit certaines des plus belles pages de l’histoire du Partizan et aura surtout connu la très grande époque du football yougoslave avec les Dzajic, Susic, Halilhodzic, Santrac, Savic et compagnie. Au-delà de ses capacités sur le terrain, son charisme, son humilité et son envie de partager restent dans les mémoires. Sans aucun doute des qualités qui permettent aujourd’hui au Partizan de continuer à former des joueurs et des hommes de grande qualité.