Surprise de la phase de groupes de la Ligue des Champions 2019-2020, le Slavia Prague impressionne par son style de jeu qui lui permet d’être en position dominante. Même contre des équipes de haut standing.
Trois mois après le fou rire des dirigeants praguois lorsque Petr Cech désignait leur groupe (F) composé de trois anciens vainqueurs de la Coupe aux grandes oreilles, le FC Barcelone, l’Inter Milan et le Borussia Dortmund, le Slavia Prague ne peut plus rien espérer d’autre que sa quatrième place mais à longtemps su où il allait. Malgré l’écart de niveau, les joueurs de Jindřich Trpišovský mettent en évidence une caractéristique trop peu courante chez les équipes qui laissent le ballon à leurs adversaires : l’intention d’être protagoniste. Un trait de caractère audacieux et menaçant, pour autant qu’on ne s’arrête pas au simple résultat.
Sans complexe
Dans une poule où on pouvait l’imaginer frivole, impression appuyée par son histoire restreinte (deux participations) dans la compétition, le Slavia Prague a pourtant été l’équipe la plus enthousiaste. À des effectifs dont la plupart des adversaires préfèrent subir et contrer plutôt que de se livrer – surtout Barcelone et l’Inter avec de rares irréductibles comme Eibar ou Sassuolo, les Tchèques ont répondu par une façon très particulière de jouer où la prise en compte du style de l’adversaire sert à ajuster l’organisation défensive mais pas sa volonté de jouer à tout prix, peu importe les qualités de ses éléments.
Capable de sorties de balle propres pour s’offrir des attaques dans les espaces laissés libres notamment grâce aux pieds du géant milieu reculé Tomáš Souček (24 ans), l’équipe du coach Jindřich Trpišovský qui sait que les principes de jeu ne résistent pas toujours à l’écart de niveau, a fait de son parcours en Ligue des Champions un pari risqué. « Mieux vaut perdre la tête haute que défendre tout au long de la rencontre. Il faut toujours s’efforcer de marquer car jouer pour arracher un 0-0 c’est comme jouer à la roulette » affirmait le technicien de 43 ans. Une réflexion audacieuse pas toujours compatible avec l’image d’une équipe du chapeau 4 qui affronte que des « grands ». Mais qui infiltre à son équipe une parade à tout complexe d’infériorité.
Système défensif caméléon
Dans la lignée de son beau parcours en Europa League l’an passé – second de son groupe, vainqueur du FC Séville en 8ème de finale mais tombé contre Chelsea en quart, le Slavia Prague a montré face à l’Inter, le Borussia Dortmund et au Barça, une facette radicale de sa personnalité : une organisation défensive rigoureuse, qui répondait parfaitement aux qualités offensives de l’adversaire.
Face à l’équipe d’Antonio Conte, le Slavia a mis en place une animation défensive individuelle : un pressing ultra agressif, avec marquage individuel sur tout le monde dès la première relance, qui transforme les actions en quitte ou double selon qu’une passe adverse soit ratée ou réussie. Le 4-1-4-1 de Jindřich Trpišovský se muait alors en 4-2-3-1, parfaitement calqué sur le 3-5-2 adverse. Quand l’Inter relançait, Josef Hušbauer, Lukáš Masopust et Peter Olayinka venaient chercher très haut Skriniar, De Vrij et D’Ambrosio. Derrière, Nicolae Stanciu suivait les décrochages de Marcelo Brozović. Un pressing agressif et dissuasif, qui a eu le mérite de gêner la construction italienne et de la pousser au jeu long. Comme ce fut le cas deux semaines plus tard face aux hommes de Lucien Favre.
Au contraire de l’Inter et du Borussia Dortmund qui réalisent leurs sorties de balle propres depuis l’arrière pour attirer l’adversaire avant de le prendre de vitesse, le Barça d’Ernesto Valverde avance ligne par ligne pour s’installer dans le camp adverse et presser à la perte du ballon, empreinte (tout juste) rescapée de l’éthique cruyfienne. Dans un 6-1-2-1 très haut (ligne défensive 5m derrière la ligne médiane) répondant au 3-1-6 des Blaugranas avec ballon, les hommes de Trpišovský ont incontestablement mis à mal l’organisation offensive adverse et empêché de créer un surnombre sur les ailes. En marquage individuel total sur la sortie de balle de Ter Stegen, à mi-terrain le Slavia laissait sa ligne d’attaque en sous nombre (-1) pour s’autoriser un surnombre (+1) derrière entre les lignes avec un Tomáš Souček pouvant répondre aux éventuels décrochages de Messi et coulisser sur les côtés pour fermer les angles de passes des pistons vers l’intérieur, principales sources de danger dans le Barça de Valverde.
« Toujours ekip à fond » comme dirait le rappeur Freeze Corleone, avec l’idée de vouloir jouer à tout prix, accompagnée d’une confiance totalement démesurée, qu’importe les environnements. Grâce à cette approche, Jindřich Trpišovský a su créer une dynamique positive en termes de jeu. Mais pourquoi pas en termes de résultat ?
Domination, regrets et beau
Car si la première fois, on peut évoquer la théorie du manque d’efficacité ponctuel, quand le même scénario se répète, c’est qu’il y a sans doute une véritable raison. Jeu de possession ultra-dominateur en championnat face à des équipes impuissantes, le Slavia a choisi de faire sans face à ses adversaires en Ligue des Champions. De cette façon, l’équipe Tchèque (battu trois fois et neutralisé deux fois) a, quasiment chaque fois, plus tiré qu’eux : douze à seize contre l’Inter à l’aller (1-1), seize à treize au retour (1-3), seize à neuf contre le Borussia Dortmund (0-2), vingt-quatre à treize contre le Barça à l’aller (1-2) puis cinq à quatorze au retour (0-0). Et n’a, à chaque fois, jamais souffert. Mais n’a inscrit que trois buts.
Si elle s’est très souvent offerte des transitions, reste que l’équipe a été incapable de les transformer en situations dangereuses. Alors, on peut se poser la question si cette approche en vaut réellement la chandelle. Car plus un entraîneur responsabilise à outrance un effectif qui ne fait pas partie du gotha européen et compte énormément sur son efficacité dans les deux surfaces, plus il est fragile car chaque échec dans le secteur défensif, jamais à exclure vu l’écart de niveau, peut déboucher sur un but. Les parcours du Slavia l’an dernier en Europa League et cette saison en Ligue des Champions montrent que oui. De quoi rappeler aussi, que les « grands » ont des failles. Et que ça peut valoir le coup de tenter de les affecter. Surtout, cela peut mettre en exergue la beauté de ce sport par l’exhibition de jeu collectif. Car au-delà de la force des adversaires, la capacité du Slavia à hausser le niveau d’intensité en pressant haut et à la perte et récupérant beaucoup de ballon dans la moitié de terrain adverse avec une identité immuable, a nivelé les oppositions par le haut, techniquement et tactiquement.
Merci bien .c possible des articles en pdf merci