Sorti en octobre dernier, Dans la tête d’un hooligan* est le premier ouvrage de Vivien Couzelas. Le jeune homme rencontre Théo, nom d’emprunt d’un hooligan anonyme, qui décrit son univers. L’auteur s’intéresse à la violence dans le football sous toutes ces formes, des véritables spécialistes de l’affrontement autour des stades aux supporters qui entretiennent des rapports plus ambigus avec celle-ci. Entretien avec l’un des rares à se risquer à écrire sur le sujet.
En général, la tentation d’extrapoler sur un sujet porteur comme le hooliganisme est grande. La maison d’édition a-t-elle joué un rôle dans le contenu du livre ?
Vivien Couzelas : Mon choix de se porter sur cette maison d’édition-là (les Editions du Volcan, ndlr), n’est pas dû au hasard en effet. Une fois que j’avais entre 250 et 300 pages de faites, j’avais proposé mon projet aux différentes maisons d’édition sur Paris et à d’autres un peu plus modestes. Et je me suis aperçu que des maisons d’édition importantes sur Paris étaient intéressées, mais par contre, elles m’ont fait comprendre qu’il y avait des modifications à faire, que ce soit dans le titre du bouquin ou même dans le contenu. Je me suis détourné de ces maisons d’édition « un peu plus importantes » à partir du moment où j’ai fait un bouquin honnête, scrupuleux et avec des intervenants sensés. Je me suis dit de partir sur une maison d’édition peut-être moins importante, mais qui ne retouchera absolument rien du contenu. Donc, non, ma maison d’édition n’a rien retouché du contenu.
On a un contenu assez différent duquel on pourrait s’attendre en se référant au titre « Dans la tête d’un hooligan » avec une large revue des différents mouvements de supporters (ultras, torcidas, etc.)…
V.C: Je me suis posé la question. De manière schématique, le livre s’appuie sur deux choses : c’est une enquête sociologique sur l’ensemble du supportérisme violent dans le monde. Et d’autre part, il y a le témoignage de ce hooligan anonyme. Est-ce que je fais un titre qui est basé sur le supportérisme en général ou est-ce qu’on fait référence au hooligan anonyme ? Jusqu’au bout je me suis demandé ce qui est pertinent par rapport à l’autre. Et c’était un choix un peu par défaut. De toute façon, que je me focalise sur les supporters en général ou sur le hooligan, je me serais dit que je négligeais une partie du contenu du bouquin. Je me suis dit : « On va partir sur le témoignage du hooligan pour attirer l’attention des gens extérieurs et leur faire comprendre ce phénomène ».
Comment tu t’y es pris pour contacter Théo ?
V.C. : Au départ, c’est une personne que j’ai rencontrée dans une sphère en dehors du foot. Et c’est toujours un projet que j’ai eu dans un coin de ma tête, ça m’intéressait d’en savoir plus sur le hooliganisme. D’une part, parce que j’étais moi-même extérieur à ce milieu et que ça attirait ma curiosité. Les gens s’imaginent que ça s’est fait en une soirée, et ce n’est pas un reproche, mais c’est un processus assez long finalement. La toute première soirée où je le vois, je ne lui dis pas de témoigner dans le cadre d’un livre. On va discuter, on va prendre le temps, je vais voir s’il est réceptif à ma démarche. Cela s’est fait progressivement. Je lui ai dit que j’aimerais apprendre à le comprendre, savoir pourquoi il est hooligan. Et lorsqu’il s’est aperçu que je n’avais pas de préjugé avant même de commencer l’interview, j’ai gagné sa confiance comme ça. Et trois semaines après, il m’a dit qu’il voulait bien essayer à condition de lui faire lire au fur et à mesure. L’idée, c’était de l’impliquer dans le projet.
« Même si j’avais eu le témoignage de quatre ou cinq personnes, je n’aurais pas pu dire que les hooligans sont de telle ou telle manière ».
Aussi intéressant qu’il soit dans son témoignage et malgré 17 intervenants renseignés sur le sujet en France et à l’étranger, la parole d’un seul hooligan est-elle suffisante pour avoir une idée représentative de ce milieu ?
V.C. : Non, absolument pas ! D’ailleurs, dans la conclusion, je l’indique. Mais même si j’avais eu le témoignage de quatre ou cinq personnes, je n’aurais pas pu dire que les hooligans sont de telle ou telle manière. C’est périlleux. J’ai conscience que le témoignage de Théo n’est pas forcément représentatif de tous les hooligans. Je ne suis pas naïf, j’imagine bien qu’il y en a qui sont beaucoup plus démesurés et d’autres qui voient les choses de manière complètement différente. Moi, j’étais plus fasciné par cette orientation vers la violence. Cela va passer par différents éléments déclencheurs mais je me suis dit que ça, au moins, c’était possible de le « généraliser ». C’est une perte de repères, il y a une faille à un moment.
Justement tu emploies le mot, sans faire l’apologie du hooliganisme, on sent parfois presque une fascination pour ton interlocuteur hooligan…
V.C. : Pas vraiment pour l’interlocuteur, plus pour ce paradoxe. De prime abord, c’est toujours une impression de l’extérieur que ça peut être un personnage violent, etc. Je me suis toujours dit avant même de commencer le projet de livre et de rencontrer Théo : « Ce gars-là a une faille de Monsieur et Madame Tout-le-monde. Il a un truc complètement banal dans le fond malgré cette démesure ». Il m’a fasciné mais il m’a fasciné comme aurait pu me fasciner une autre personne dans le cadre de mon travail. C’est une fascination pour la compréhension du parcours. Par contre, je reconnais avoir été impressionné par sa culture et sa culture du foot. C’est vrai qu’on m’a beaucoup demandé si le hooligan aimait le foot ou s’intéressait au ballon, moi j’ai été plusieurs fois impressionné par la culture foot de ce gars. Ça, ça m’a bluffé.
Ne regrettes-tu pas de ne pas l’avoir suivi dans son élément de prédilection, un stade ou aux alentours, à l’instar de ce qu’a pu faire Philippe Broussard dans Générations Supporters ?
V.C. : J’ai rapidement compris que ce livre était une référence dans le milieu mais j’ai tellement eu peur de plagier ou de faire du Philippe Broussard que je me suis forcé à ne pas le lire ! Par contre j’ai beaucoup discuté avec lui, c’était sa démarche. Et je ne me suis jamais pris pour ce que je n’étais pas. « Tiens, je fais un bouquin sur le hooliganisme, je suis un gars des tribunes ». Je ne veux qu’à aucun moment du livre on se dise : « il a un peu changé, il se prend pour l’un des leurs ». Peut-être qu’inconsciemment je me suis forcé à rester extérieur à tout cela. Et à ne pas y aller pour rester sur l’humain et même pas sur la partie tribunes. C’est peut-être pour cela aussi que j’ai multiplié le nombre d’intervenants, pour être légitime.
Quelle a été la réaction de Théo à la sortie de ton livre ?
V.C. : C’était très important pour moi, parce que je lui ai « vendu » comme ça, que son témoignage et le livre soient conformes à ce qu’il pense. En fin de compte, sa réaction a été positive, il a été plutôt content. Bon, je ne lui ai pas appris énormément de choses en dehors de ce qu’il m’a confessé. Mais c’est comme si la confiance qui s’est créée tout au long du livre avait été « validée ». À partir du moment où il n’y a pas de modification pour faire du buzz, il a été positivement étonné. Je me rappelle qu’il m’envoie un SMS : « Tout est nickel », je comprends par ces mots que tout a été respecté.
* Dans la tête d’un hooligan, Vivien Couzelas, paru aux Éditions du Volcan (2015), 19,90 €.
Propos recueillis par Adrien Verrecchia