« L’illusion est une chose et la prise de conscience en est une autre. Il y a des pays qui, s’ils prennent conscience de leur force et de leur potentiel, sont moins susceptibles de construire dans l’illusion. Il y a d’autres pays où la prise de conscience les autorise à penser grand et ce n’est pas une illusion mais une réalité. Et il y a des pays qui combinent les deux aspects. Ils ont des antécédents qui renforcent le fantasme, l’illusion et la perspective. Je pense que l’Uruguay est entre les deux. L’Uruguay peut fantasmer et a de quoi nourrir ce fantasme. »
Il est 12h45 à Montevideo ce 17 mai 2023 et Marcelo Bielsa, le nouveau sélectionneur de la Celeste, ne cache pas ses ambitions à l’heure de livrer ses premières impressions suite à sa nomination. Il faut dire que le chantier est important. Voilà plusieurs années que l’Uruguay erre dans l’inconnu, perdue entre la fidélité inextricable adressée à l’égard de ses légendes et la confiance ténue accordée à une jeunesse qui ne demande qu’à montrer les crocs.
Les chantiers, Bielsa adore ça. L’Atlas Guadalajara, le Chili, l’Athletic, l’OM, Lille, Leeds… Reconstruire à partir de rien peu pour redessiner les ambitions perdues d’institutions réputées, c’est son terrain de jeu. À 37 ou 68 ans, c’est ce qui le prend aux tripes. Ses dernières propositions ? Everton, proche de la relégation, et la sélection mexicaine qui connaît une des plus grandes crises footballistiques de son histoire. Tiens, tiens. L’hiver dernier, après des discussions avec les dirigeants d’Everton, Bielsa avait accepté de rejoindre le second club de Liverpool alors à la lutte pour le maintien (19e). Sa seule condition ? Qu’il prenne en charge les U21 pour le reste de la saison avant de prendre en mains l’équipe première pour la saison 2023-2024. Réticent à prendre en mains des clubs en cours de saison (ça ne lui est jamais arrivé, à l’Atlas il avait pris en mains le centre de formation avant de prendre en mains les pros), c’est son staff technique qui aurait alors dirigé les Toffees dans un premier temps. Réfractaire à cette idée, Everton s’est tourné vers Sean Dyche, sa deuxième option.
Peu avant cette proposition, la Fédération mexicaine (FMF) lui avait même concocté un projet aux petits oignons. Suite au départ de Gerardo Martino (en fin de contrat) après l’élimination dès la phase de poules du Mexique lors de la Coupe du monde 2022, les propriétaires de la Liga MX voulaient nommer un homme capable d’assumer à la fois le statut de sélectionneur et celui de grand coordonnateur des équipes nationales. Être à la tête des A et à la direction d’un programme de restructuration des sélections de jeunes. Pour répondre à l’incapacité des U23 à se qualifier pour les Jeux Olympiques 2024 et aux U20 à se qualifier pour la Coupe du monde de la catégorie, il fallait un entraîneur expérimenté avec une perspective globale et nouvelle du football mexicain, une bonne connaissance des joueurs de la Liga MX et des meilleurs joueurs évoluant en Europe. Bielsa, candidat n°1 de la Fédération mexicaine pour le poste, avait accepté ce projet avec en point de mire la Coupe du monde 2026. Des dissensions au sein du comité des propriétaires et des jeux politiques qui n’ont rien à envier à ceux de la FFF empêcheront cette possibilité.
Course contre le temps : les sparrings en fil rouge
Le point commun de ces deux opportunités : la jeunesse. Aussitôt nommé à la tête de l’Uruguay, Marcelo Bielsa n’a pas perdu de temps. Le 17 mai, soit le jour de sa présentation, la Fédération annonce la convocation de 18 joueurs pour s’entraîner sur deux cycles distincts, entre les 22 et 24 mai puis entre les 29 et 31 mai. Ces joueurs, ce sont les sparrings. Bielsa les nomme aussi “les collaborateurs”. Opposés aux pros à l’entraînement, ils sont chargés de mimer les mouvements des équipes adverses. De représenter le système adverse pour servir de référentiel à l’équipe première. Pour l’heure, il s’agit simplement de les endoctriner gentiment au style de jeu du nouveau sélectionneur et de leur donner un avant-goût de l’intensité demandée. Il y a une culture de jeu à faire comprendre aux A quand ils seront là. Repérés tôt et rendus disponibles sur la bonne volonté de leurs clubs et du sélectionneur de leur catégorie, ils sont mis à l’essai. Ceux appelés par Bielsa n’ont pas plus de 18 ans. Pour le moment, l’Argentin n’est pas présent. Ils sont cinq à les guider : Diego Reyes, bras droit de Bielsa dans la programmation et le contenu des entraînements, Pablo Quiroga, 1er adjoint, Lucas Ouviña, 3e adjoint, Carlos Nicola, entraîneur des gardiens, et Magalí Condes, chargée de la logistique à Montevideo. Les exercices, “très simples”, sont axés sur “la technique et accessibles à tous” selon certains joueurs présents. Bielsa les analysera à son retour puisque les entraînements sont filmés. Le temps presse, les éliminatoires débutent dès septembre avec la réception du Chili (8 septembre) et un déplacement en Équateur (12 septembre), il faut exploiter un maximum le temps disponible pour donner le ton car dès la rentrée, les échéances s’accumuleront.
Si ces sparrings ont été appelés très tôt, c’est pour préparer les deux matchs amicaux face au Nicaragua et à Cuba des 14 et 20 juin, seuls rendez-vous avant les matchs officiels. Marcelo Bielsa a ainsi nommé une liste de 31 joueurs en écartant volontairement les européens importants (Ronald Araújo, Federico Valverde, Rodrigo Bentancur, Darwin Núñez, Manuel Ugarte…). La raison ? Bielsa veut travailler avec ceux “qu’il connaît moins”, avait-il précisé lors de sa présentation. Cette fenêtre internationale lui permet d’explorer de nouvelles possibilités, de disposer de plus de cartes dans son jeu. De cette liste, il reste seulement 8 rescapés de la Coupe du monde 2022 et compte surtout 7 champions du monde U20, menés par le sélectionneur Marcelo Broli. En Argentine cet été, les U20 n’ont pas seulement remporté le tournoi de leur catégorie, ils ont récité les principes de jeu de Bielsa comme pour lui signifier qu’il avait fait le bon choix. La finale face à l’Italie était un récital de pressing tout-terrain, de rigueur dans le marquage individuel et de jeux avec appuis, regardez :
Les deux matchs amicaux ont permis à Bielsa de disposer de 15 jours de préparation entre le 6 et le 20 juin. C’est six jours de plus que lors d’une trêve internationale habituelle. Cela lui a permis de scinder en deux son groupe de 31 joueurs pour les deux matchs en établissant deux cycles d’entraînement spécifiques. Plutôt que de se disperser à donner des directives à 31 joueurs, autant les orienter directement pour une échéance précise afin de travailler un maximum les relations dynamiques en vue du match. Ainsi, les joueurs choisis pour disputer la rencontre face au Nicaragua se sont entraînés entre le 6 et le 14 juin et ceux choisis pour jouer face à Cuba se sont entraînés du 12 au 20.
Lors de la retransmission du match face à Cuba (victoire 2-0), un exécutif de l’AUF, Jorge Casales, a livré ses impressions sur les séances d’entraînements de Bielsa par rapport à celles de ses prédécesseurs. “Ses entraînements sont plus courts, plus intenses, basés sur la répétition de situations et d’exercices, a-t-il commenté. En général, il s’appuie sur du matériel vidéo pour mieux expliquer le travail, ce qui rend les choses plus démonstratives, a-t-il ajouté. Casales affirme par ailleurs n’avoir jamais observé d’entraînements avec une si grande intensité. “Il donne une consigne ou un exercice et durant 6, 7, 8 minutes, le travail est très intense et les joueurs ne s’arrêtent jamais. Il fait une pause de 2-3 minutes pour expliquer l’exercice suivant et une nouvelle fois, on assiste de nouveau à un bloc de 6, 7, 8 minutes très intense. Chaque personne sur le terrain sait ce qu’elle doit faire. Ils ne perdent pas une minute. C’est comme ça pendant tout l’entraînement. Et il peut durer 1h30 comme 2 heures”.
Pour mener à bien ce travail, Marcelo Bielsa ne compte pas ses heures. “Il commence dès 8 heures du matin, parfois un peu plus tôt, et il n’a pas d’heure pour partir, mais il ne part jamais avant 18 heures”, témoigne Jorge Giordano, directeur des sélections nationales uruguayennes. A l’abri des regards, l’Argentin mène de front la planification des entraînements et le travail individualisé avec les joueurs, que ce soit les locaux ou les européens. Durant la journée, il s’entretient avec ces derniers via Zoom avec un suivi tout particulier de leur temps de jeu. A partir d’extraits vidéo, il scrute, dissèque, évalue les forces et faiblesses du joueur et l’oriente sur les axes à progresser.
La semaine dernière, au lendemain de son doublé victorieux face à Newcastle (2-1), Darwin Núñez validait cette initiative : “J’ai eu une discussion avec Pablo (Quiroga, l’adjoint de Bielsa) et avec Bielsa. Ils m’ont montré certains de mes matchs, m’ont corrigé sur certains points à améliorer. Par exemple, il y avait une situation où l’équipe adverse jouait bas et il m’a fait remarquer qu’il ne fallait pas que je fasse mon appel devant le second central mais derrière lui pour qu’il me perde au marquage. C’était une très bonne conversation”, a-t-il commenté pour une radio locale. “On analyse des matchs du Sporting et ceux que j’ai joués avec le PSG, a déclaré quant à lui Manuel Ugarte. Comme je ne l’ai pas vu, on essaie d’accélérer le processus de transmission de son idéologie. La façon dont il étudie l’adversaire et les joueurs est incroyable. Il me dit des choses sur moi et mon jeu qui sont vraies et je me dis ‘Comment il sait ?!’. Sur le plan défensif, il me demande la même chose que ce qu’on fait à Paris. La seule différence, c’est avec le ballon. Luis Enrique est plus positionnel et Bielsa me demande d’être dans la zone où je dois recevoir le ballon, c’est moi qui doit créer mon espace pour recevoir le ballon. Ils diffèrent sur ce point mais c’est quelque chose de très bien pour le joueur parce que ça l’enrichit », a-t-il fait remarquer. De son côté, Santiago Bueno, jeune défenseur central de Wolverhampton de 24 ans, a parlé d’une véritable “expérience”. “On a eu une réunion de plus de 2 heures pour qu’il me dise ce qu’il pensait de moi, ce qu’il aimait chez moi, qu’on regarde ensemble mes prises de décisions à partir de situations de match. Il m’a dit qu’il avait vu mes 40 derniers matchs. Il me connaît plus que bien.”
Travaux de réaménagement du centre d’entraînement
Pour les éliminatoires, l’objectif de Bielsa est que son groupe soit dans les meilleures conditions. A l’entraînement, au repos, en tout temps. Avant toute chose, le plus important est de créer un environnement propice à la performance. Très souvent avec le technicien argentin, cela implique d’élaborer des plans architecturaux du terrain d’entraînement et de l’environnement. Ce n’est pas un désir, c’est une exigence sans compromission à l’égard de ses dirigeants. Si les joueurs ont comme devoir de presser à la perte du ballon, la direction a celle d’accepter ses idées structurelles. Celles-ci sont abordées dès les premières discussions pour annoncer ses intentions. Lorsque l’Argentin avait débarqué à Leeds, compte tenu de son programme d’entraînement exigeant pour la pré-saison à base de doubles voire triples séances d’entraînement quotidiennes, il avait exigé un espace au sein des installations du centre d’entraînement de Thorp Arch pour que ses joueurs puissent se ressourcer. Sur le même modèle qu’il avait déjà mis en place au LOSC, il avait fait concevoir des dortoirs. Tout était calibré. Entre la séance matinale et celle de l’après-midi, les joueurs pouvaient se reposer sur place. Confort, gain de temps, espace de socialisation. C’était parfait.
Au fil des saisons, son attention portée aux détails confinait même à l’obsession. Bielsa analysait tout. Que ce soit la longueur des brins d’herbe, la luminosité ou le bruit ambiant, le moindre espace était sujet à être optimisé. Les intendants ont dû travailler sur des aspects qui leur étaient peu familiers. Comme suspendre les buts au-dessus du sol pour offrir un meilleur angle de soleil sur certaines parcelles du terrain ou agrandir le parking. L’idée ? Éviter les prises de tête pour se garer. L’agrandissement de l’espace vise à réduire le stress et permet d’aborder l’entraînement matinal en toute quiétude et sérénité. Autre signe impalpable mais parlant, à l’aube de de sa dernière saison en Angleterre et avec un effectif faible en talents, Bielsa préférait évoquer des points techniques de la nouvelle pelouse flambant neuve mais imparfaite d’Elland Road quand 99% des entraîneurs du monde entier auraient préféré se plaindre du manque d’arrivées.
Avec la Celeste, le processus s’est fait naturellement. Nous sommes le 15 mai 2023. Marcelo Bielsa parcourt le centre d’entraînement aux côtés du président de la Fédération uruguayenne de football, Ignacio Alonso, et du directeur des sélections nationales, Jorge Giordano. Pendant leur balade, l’Argentin leur suggère d’établir quelques modifications à effectuer. Il n’a pas fallu attendre longtemps pour les persuader. Suite à leurs échanges, la Fédération Uruguayenne de Football a activé un plan de travail au Complejo Celeste pour l’entretien et la redistribution des espaces. Bielsa a alors fait appel à sa sœur architecte, Maria Eugenia, pour rester un mois sur les lieux afin de superviser les travaux à réaliser. “Toutes les démarches entreprises par Bielsa ne recherchent que le meilleur pour la sélection et concernent des plans d’actions de longue durée pour le football uruguayen, et nous sommes sur la même ligne”, a commenté Giordano dans la presse locale.
Ces travaux ne sont pas des travaux de construction mais de réaménagement. Il ne s’agit pas d’agrandir le complexe de 10 hectares mais de le bonifier. De parfaire la logistique. Dans le plan, les travaux comprennent le remplacement du chemin principal entre les différents terrains d’entraînement avec une nouvelle asphalte et la construction de chemins praticables afin de faciliter la circulation des équipements. Jusque-là, les voiturettes étaient forcés d’emprunter les terrains d’entraînement et donc les détérioraient (4 terrains de pelouse naturelle, 1 terrain synthétique, 1 petit terrain synthétique de 60m x 40m et 1 petit terrain en pelouse naturelle de 20m x 30m dédié aux séances spécifiques). Désormais, le chemin principal et les chemins adjacents sont reliés. Parallèlement, les buts ont été changés, le terrain synthétique couvert a été réaménagé en salle de sport, un nouveau système d’arrosage et de sablage a été mis en place, une salle à manger de plus de 180m² a été érigée ainsi qu’une salle de détente, et les deux dépendances ont été rénovées pour les aménager en vestiaires et bureaux pour les catégories jeunes. Prévus pour 3 mois avec comme date d’achèvement “la première semaine de septembre” selon la Fédération uruguayenne, les travaux sont presque terminés. L’AUF a partagé ces images il y a quelques jours pour montrer l’état d’avancement :
https://twitter.com/Uruguay/status/1697343161843011844?s=20
Par ailleurs, Marcelo Bielsa a créé un bureau dédié à la performance sportive, une cellule performance avec un département d’analyse où travaillent conjointement préparateurs physiques, médecins et nutritionnistes afin de mieux se coordonner et de s’appuyer sur les données, un champ désormais capital à exploiter. Dernière modification, et loin d’être anodine, depuis l’arrivée de Bielsa, il n’y a plus de salle de presse. C’est devenue une salle de bureaux pour la gestion sportive. Donc pour le déroulement d’une conférence de presse, soit la Fédération est contrainte d’ériger une tente pour l’occasion, soit elle doit créer ou trouver un espace… qui n’existe pas. Pour le moment, elles ont lieu au stade Centenario. Lien de causalité ou non avec toutes ces modifications, un historique de la Fédération uruguayenne présent depuis 12 ans, l’intendant Claudio Pagani, a déjà démissionné.
Première mondiale
La préparation de l’Uruguay pour les éliminatoires de la Coupe du monde 2026 a officiellement débuté le mardi 1er août avec le retour des sparrings. Ces derniers ont été soigneusement choisis. Ils sont là suite aux analyses menées par Bielsa et son staff de la Coupe du monde U17 et U20. Le cœur de ce groupe vient des U17. Sous les ordres de Diego Reyes et Pablo Quiroga, ils s’entraînent deux fois par semaine : le mardi et le mercredi matin jusqu’au premier rassemblement du 4 septembre. Ils s’entraîneront dès lors avec les A pour tenir pleinement leurs rôles comme lors des amicaux de juin.
Parallèlement, dans son développement, la Fédération uruguayenne a annoncé le 3 août dernier la création d’une nouvelle sélection, celle des U13, “pour que les jeunes qui arrivent au centre d’entraînement soient formés de la meilleure façon qui soit”, précise le communiqué. C’est du jamais vu. Aucune autre sélection mondiale n’accueille cette catégorie. Au sein des structures de l’AUF, depuis la mi-août, les U13 s’entraînent deux fois par semaine avec leur propre éducateur (Ignacio Gonzalez, ancien joueur de la sélection) et en étroite collaboration avec le staff de la sélection U15.
Pourquoi prendre en charge des enfants aussi tôt ? Selon le journaliste uruguayen, Rodrigo Romano, une analyse et un diagnostic ont été menés dans les catégories inférieures du football uruguayen. Il a été constaté que dès 7 ou 6 ans, les enfants s’entraînaient comme s’il s’agissait de joueurs de première division. Le but de la Fédération est de changer purement et simplement la base de l’entraînement avec des séances didactiques axés sur l’enseignement et l’apprentissage.
Le plan, complexe, est de commencer la formation des joueurs à partir des U13, de favoriser l’adaptation et la stimulation. Pourquoi les U13 sont liés aux U15 ? C’est à partir de cette catégorie (qu’ils sont voués à rejoindre) qu’ils disputeront leur première compétition officielle : le Sudamericano. Et dernière raison invoquée : le creux générationnel connu par les U17 qui dure et auquel il faut remédier. Mais pour le moment, il n’est pas question de compétition. Le groupe se constitue peu à peu puisque les premiers entraînements ont été dédiés à la détection, avec des rapports de joueurs de leurs clubs respectifs.
Il serait malhonnête de lier la création de cette sélection à Marcelo Bielsa. Depuis peu, la Fédération uruguayenne travaille en sous-main sur le développement des jeunes catégories. Au printemps 2022, Jorge Giordano confessait deux de ses priorités : développer le football de l’interior (la province) et le football de jeunes. “40% des footballeurs des 12-16 ans qui sont venus à Montevideo cette année sont retournés dans leur lieu d’origine. Mais certains d’entre eux ne sont même pas retournés dans leurs clubs, ils ont arrêté le football alors qu’ils avaient des qualités”, regrettait-il pour El Observador en mai dernier. Avant de poursuivre : “C’est pour cette raison que nous devons être en mesure de maintenir un plan afin que ce petit garçon de son département puisse, à un moment donné, être éligible à la sélection. Pour cela, nous devons lui fournir des infrastructures et des ressources humaines.” Encore plus révélateur, il ciblait déjà ces catégories d’âge dans le processus de formation. “8-13 ans, c’est l’âge d’or. A cet âge, l’enfant est une éponge et il absorbe tout. Si on réalise un bon programme pour ces enfants du point de vue tactique et technique, on aura de meilleurs joueurs.”
Également, pour mieux l’expliquer, il faut rappeler que dans la structuration du football uruguayen, il manquait jusqu’alors ce lien entre le football pour enfants et le football de jeunes. Car contrairement à l’Europe, il n’est pas question de catégories “U8, U9 ou U11” mais de “baby fútbol”. Le “baby fútbol”, c’est le passage obligé pour tous les enfants âgés entre 6 et 13 ans. Il est régi par l’ONFI (Organización Nacional de Fútbol Infantil), une organisation liée au secrétariat d’État aux Sports et indépendante de la Fédération uruguayenne de football (AUF). Or, la plus petite sélection reconnue par l’AUF était jusque-là la sélection U15. L’AUF a créé la sélection U14 en 2022 et il a fallu attendre 2023 pour que la liaison soit entérinée.
Objectifs multiples
Ce clin d’œil avec les velléités de Bielsa de développer les jeunes où qu’il soit est-il anodin ? L’Argentin avait confessé en 2016 lors d’une conférence à Amsterdam son rêve profond : retourner à Newell’s Old Boys, entraîner les jeunes de 13 ans du club, les guider et les voir grandir jusqu’à leur 18 ans durant l’intégralité de leur processus de formation. Pour en savoir plus à propos de ce programme qu’il explique en détails, vous avez ceci : https://conferencesdebielsa.com/
Qui sait ? Peut-être que certains de ces garçons de 13 ans seront amenés à côtoyer de près ou de loin Marcelo Bielsa et seront ses sparrings de demain. Pour cela, il faudra que l’Uruguay se qualifie pour la Coupe du monde 2026 avec une prolongation de contrat si tout se passe bien. Mais nous en sommes loin. À la question, “Comment voyez-vous le football uruguayen dans 10 ans ?”, Jorge Giordano avait répondu en 2022 : “On sait qu’on a des déficiences génétiques en termes de vitesse, il faut les accepter. Nous ne sommes pas de grands formateurs mais on progresse dans plein d’autres aspects, et nous avons nos caractéristiques que nous ne voulons pas perdre et qui nous différencient des autres : le caractère. C’est quelque chose de fondamental. Si vous me demandez ce que je regarde chez un footballeur, c’est son caractère de jeu. Pas le caractère, je parle du caractère de jeu. On perd. Comment fait-on pour renverser la situation sans foutre le bordel ?”
Avec Bielsa, le bordel ne sera pas que sans ballon, voilà l’évolution. Pour le court terme, l’objectif est clair : “faire progresser le football local avec les différents plans que nous mettons en place, que la sélection soit compétitive dans toutes les compétitions, que Bielsa soit le leader d’un changement générationnel sur le moyen-long terme et qu’il accompagne les joueurs dans le processus de sélection”, a affirmé Giordano. Marcelo Bielsa n’a pas seulement été nommé pour des objectifs sportifs définis et évidents mais aussi pour des raisons structurelles et pratiques : par son modèle de jeu et sa vision de la formation, aider un pays pour transcender les nouvelles générations.
La première étape des qualifications à la Coupe du monde passe par la réception du Chili ce 8 septembre et le déplacement à Quito pour y défier l’Equateur le 12. C’est le début d’un nouveau challenge pour Marcelo Bielsa et le début d’une nouvelle ère pour la Celeste. En 2007, qui aurait pu imaginer que le Chili se qualifierait pour le Mondial sud-africain en terminant 2e de la zone Amsud derrière le Brésil ? Un tel dénouement relevait de l’illusion. Et Bielsa est devenu une idole nationale. L’Uruguay n’a pas besoin d’une icône, juste d’un guide. Pour que l’Uruguay redevienne une nation forte du football mondial ne relève pas du fantasme mais bien de la réalité.