Sensation de l’automne 2023 dans le football de sélection, l’Uruguay aborde cette 48ème édition de la Copa América avec beaucoup d’ambition. Deux ans après le désastre de la Coupe du monde 2022, la Celeste, régénérée, se trouve dans une parfaite dynamique et avec un modèle de jeu qui ne demande qu’à faire ses preuves. Depuis sa nomination en mai 2023, Marcelo Bielsa n’a pas cessé d’œuvrer. Quel a été le parcours de l’Uruguay depuis sa prise de fonction et comment s’est-elle préparée pour cette échéance ? Gros plan sur une sélection qui a tout à y gagner.
L’Uruguay a déjà fait le plus dur : revenir au premier plan. Et de quelle manière. Sortie dès la phase de poules du Mondial 2022 au Qatar sous Diego Alonso, la sélection avait perdu toute identité. Nommé en mai 2023, Marcelo Bielsa avait pour mission de refaire de la Celeste une terreur du continent. Il fallait lui redonner vie. Trois mois auront suffi. Dès le 1er match des éliminatoires à la Coupe du monde 2026 contre le Chili (3-1), les hommes de Bielsa ont commencé leur campagne qualificative en ouvrant le score sur un mouvement caractéristique des équipes de Bielsa. Le ton était donné.
Precisión y velocidad. La jugada colectiva de @Uruguay y el gol de Nicolás De La Cruz para abrir el marcador ante #Chile. ⚽#CreeEnGrande pic.twitter.com/JxbprSUoFj
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Suivront certes une défaite à l’extérieur face à l’Équateur à Quito (1-2), son altitude (2800 mètres), et un nul bienheureux en Colombie (2-2), mais très vite, dès ses deux premiers grands rendez-vous, la Celeste de Bielsa a impressionné.
Aussi bien face au Brésil en octobre que face à l’Argentine un mois plus tard, le plan était clair : presser haut dès que les deux sélections phares du continent utilisaient la largeur avec un bloc-équipe court et haut pour assumer cette volonté. “Il y a une marque très très solide qui est directement liée à l’influence d’Óscar Tabárez. Tabárez a éduqué un groupe de joueurs. Puis Tabárez et ce groupe de joueurs ont éduqué le groupe actuel”, dira Bielsa après la victoire face au Brésil. Une “éducation” en guise d’héritage qui aura été particulièrement palpable dans l’approche de ces deux grands matchs en termes de discipline individuelle et collective.
Face au Brésil, l’Uruguay a appliqué un pressing haut avant de s’ajuster pour une zone press. Dès que les défenseurs brésiliens cherchaient un relais au second rideau ou sur le côté, le joueur qui demandait le ballon était pressé par un Uruguayen. L’objectif des hommes de Bielsa était d’assurer un bloc-équipe très court avec une grosse densité dans l’axe du terrain pour empêcher le moindre relais dans l’entrejeu.
Face à cette occupation rationnelle de l’espace, pour relancer, le Brésil s’est très vite adapté en faisant décrocher Neymar dans un rôle de pivot. L’objectif était double : se défaire de la densité dans l’axe et passer la première ligne de pression uruguayenne pour enchaîner. Mais comment se montrer efficace dans cette entreprise quand à la réception du ballon, vous avez l’intégralité du bloc adverse face à vous ?
Sans solution, par séquence, les Brésiliens ont alterné en cherchant les seconds ballons sur des longs ballons. C’est d’ailleurs sur un ballon direct de Marquinhos vers Gabriel Jesus (7e) que le Brésil est parvenu pour la première fois à passer la ligne du milieu uruguayen. Mais même dans ce cas, l’Uruguay n’a pas paniqué. Qu’a-t-elle proposé ? Un bloc médian. Sereine, la Celeste a appliqué le même plan que plus haut sur le terrain : rester organisé, coulisser selon l’orientation du ballon avant de presser le porteur de balle dès que le jeu allait sur les côtés.
Déjà en difficulté pour ressortir, le Brésil a ensuite été handicapé par la blessure de Neymar peu avant le temps additionnel de la première mi-temps. Le maître à jouer de la Seleção a été remplacé par un véritable attaquant, Richarlison. En réponse, Bielsa a fait reculer Ugarte en véritable libero. L’Uruguay est ainsi passé du 4-3-3 initial au 3-3-1-3 pour répondre au schéma à 2 attaquants brésilien. Une adaptation avec un double bénéfice : gagner en efficacité à la relance avec le quatuor axial [Ugarte, Cáceres, Araújo, Valverde] et freiner les ardeurs du Brésil à l’heure de presser. “Ils ont joué avec 2 attaquants, sans meneur, et il était préférable qu’Ugarte joue face à ces deux joueurs et non plus haut. C’est pour ça qu’il a changé de poste. Si j’avais laissé Ugarte devant les deux centraux, il aurait défendu dans une zone où il n’y avait pas de joueurs et les deux centraux auraient dû défendre seuls sans 3e homme derrière eux pour faire face à deux joueurs importants” expliquera Bielsa à l’issue de la rencontre. Résultat, sur l’ensemble du match, le Brésil a tiré seulement… 2 fois au but pour aucun tir cadré. Une performance défensive remarquable et historique puisque la dernière fois que le Brésil n’avait plus cadré un tir, c’était il y a 143 matchs, en 2013 (Opta).
Avec ballon, l’objectif de l’Uruguay était simple : le conserver, se montrer patient, attirer la pression en jouant court à la relance et trouver rapidement la verticalité en trouvant des relais au cœur du jeu, des appuis sur les côtés ou en cherchant directement les ailiers dans la profondeur.
Au terme d’un match maîtrisé, l’Uruguay l’a emporté (2-0) sur deux buts marqués sur des touches offensives. Et sur les deux buts, la même recette : un appui, de la verticalité ou du mouvement côté ballon et une projection ou une solution en soutien pour jouer en retrait.
Coup sur coup
Face à l’Argentine à la Bombonera le 17 novembre dernier, le plan défensif était sensiblement le même que face à la Seleção : presser haut autant que possible et si l’Argentine parvenait à déjouer ce pressing pour jouer dans la partie de terrain uruguayenne, l’objectif était de jouer très vertical dès la récupération du ballon.
Durant les séquences en bloc médian ou en bloc bas, la consigne était d’assurer les compensations et la communication. Un travail de sape qui a fini par payer en première mi-temps grâce au travail défensif immense du duo Matias Viña (latéral gauche) et Maxi Araújo (ailier gauche) côté gauche sur l’ouverture du score du latéral opposé, Ronald Araújo. Un but typiquement bielsista :
Fer de lance de l’Albiceleste, Lionel Messi était particulièrement ciblé. Pour empêcher le moindre relais de la Pulga entre les lignes en première mi-temps, Marcelo Bielsa avait donné comme consigne à Mathias Olivera, traditionnel latéral gauche et repositionné axe-gauche ce soir-là, de le suivre à la trace dès lors qu’il dézonait. “La compo de départ nous a surpris au début mais on sait que Mathias peut jouer à ce poste. On savait qu’on devait être attentif sur toutes les lignes, a déclaré Sergio Rochet, gardien de la Celeste à l’issue du match. Notre défense commence avec Darwin [Nuñez] devant, et on essaie de couvrir les espaces qu’ils peuvent exploiter en sachant qu’ils ont des joueurs de très haut niveau et une star comme Messi. On a su bien le contrôler et on a quasiment subi aucune situation dangereuse et aucune qu’on avait vu à la vidéo. Ça en dit long sur le super travail défensif de tous les joueurs”, s’est-il félicité.
“On a prouvé que la victoire face au Brésil n’était pas due au hasard”
Car ce marquage individuel a parfois obligé Olivera à prendre des risques, quitte à monter jusqu’au rond central, obligeant ainsi ses coéquipiers (Ugarte, Valverde par séquence) mais surtout à la paire Viña-Araujo de compenser. Une tâche rondement menée par l’intelligence et le discernement des joueurs dans leurs responsabilités. Que ce soit en première mi-temps ou en seconde mi-temps, où les rôles ont évolué. “J’ai dû prendre Messi au marquage en deuxième mi-temps, a expliqué le central droit Sébastian Cáceres en zone mixte. Manu s’en était occupé en première mi-temps mais il avait pris un carton. L’idée était de laisser aucun joueur libre et s’il [Messi] s’éloignait trop de ma zone, je devais rester prendre un autre joueur. La priorité était de le suivre sans avoir peur. Il [Bielsa] nous a dit de ne pas avoir peur de le suivre, que ce serait à celui qui était le plus proche de le prendre au marquage, que ça allait le contrarier.”
Résultat, suivi par Olivera et cerné par l’organisation défensive uruguayenne, Messi a perdu la plupart de ses ballons aux abords de la surface. À l’issue du match, l’octuple Ballon d’Or ne cachait pas son désarroi dans son analyse : “On a eu du mal à jouer. Ils sont intenses, jouent en marquage individuel et ont des joueurs physiques et rapides au milieu. On a eu du mal à jouer notre jeu. On ne s’est jamais senti à l’aise. On n’a pas trouvé le moyen d’avoir le ballon et d’avoir de longues séquences de possession. Peut-être que leur jeu a fait en sorte qu’on s’est précipité et qu’on a été pris dans ce rythme… C’est une équipe physique, qui travaille bien et qui est très dangereuse en contre-attaque. Dans chaque sélection ou club, on peut voir sa patte (à Bielsa, ndlr). Ils ont une bonne équipe. Ils jouent très bien”, avait-il amèrement constaté.
Le changement de responsabilité était aussi due à une raison tactique : les rentrées en jeu conjuguées à la mi-temps de Lautaro Martínez (avec la sortie de Mac Allister) côté argentin et José Maria Giménez côté uruguayen ont permis à Olivera de retrouver sa zone préférentielle (le côté gauche en piston).
Avec ballon, l’Uruguay s’est attachée à utiliser la largeur du terrain, principe cardinal pour Bielsa, afin d’étirer la structure argentine, maximiser les espaces entre les lignes et aider à la progression du ballon. Avec l’occupation des 5 couloirs de jeu, l’objectif visait également à exploiter la zone derrière les milieux argentins avec les ailiers Pellistri et Maxi Araújo dans les demi-espaces. Dans cette zone, ces derniers pouvaient servir d’appuis ou déclencher leurs appels dans le dos de la défense des hommes de Scaloni.
Si les Argentins ont majoritairement tenu le ballon, ces derniers ont eu des difficultés à se montrer dangereux. Dans une deuxième mi-temps sans rythme avec beaucoup de temps morts, la Celeste est restée bien organisée avec, selon la zone du ballon, les déplacements et les échanges de marquage adéquats. Comme face au Brésil, Ugarte n’a pas hésité à jouer libero. Et Pellistri n’a pas hésité à jouer piston quand Ronald Araújo montait par séquence ou Valverde quand Pellistri allait presser. C’est ce que Bielsa apprécie et ce pourquoi il exploite un maximum la polyvalence de chacun de ses joueurs, précisément pour ce dépassement de fonction. Au-delà de la structure uruguayenne, très flexible, cette rencontre a mis en lumière, et malgré le peu d’entraînements collectifs, la grande facilité de la Celeste à défendre face au champion du monde. Autant par la fluidité de la communication entre joueurs que par la prise de responsabilité individuelle pour compenser les mouvements de chacun. En ce sens, les dires de Messi cités plus haut se suffisent à eux-mêmes.
Et les propos de Bielsa en conférence de presse abondent ceux de son voisin rosarino sur cette maturité défensive. “Valverde, Ugarte, De La Cruz, Bentancur sont des joueurs qui comprennent les moments du jeu naturellement”, a-t-il commenté durant sa conférence de presse d’après-match. “Dans l’axe du milieu de terrain, on a quatre joueurs qui savent défendre, les quatre savent tenir le ballon, les quatre se démarquent. Ce n’est pas commun de trouver des joueurs qui font à la fois les efforts pour récupérer le ballon et qui ont une maîtrise technique avec le ballon. Et ces deux choses, les quatre l’ont. On a pu jouer des duels qui, même si nous les avons pas nettement remportés, au moins nous ne les avons pas perdu. Et la débauche d’énergie des joueurs nous a permis de nous procurer des contre-attaques et d’enchaîner les passes. Ensuite, nos ailiers étaient à la fois ailiers et latéraux dans le sens où Pellistri et Maxi Araújo jouaient ailiers avec le ballon et dans la récupération, [Maxi] Araújo a dû contrôler la prise de profondeur de Molina. Et dans ce domaine, je pense que nous sommes parvenus à faire en sorte que Molina ne soit pas dangereux. Et ensuite, quand Acuña est rentré, un joueur avec plus de moyens offensifs ou avec une plus grande présence offensivement, là aussi, on a réussi à le neutraliser. Après, on parle de tous ces aspects mais dans l’axe, l’Argentine a Mac Allister, Enzo Fernández, Palacios, Lo Celso, Messi, Lautaro, Álvarez… soit une quantité de bons joueurs au niveau similaire. On ne neutralise pas simplement ça à travers les aspects physiques et tactiques mais en s’y confrontant avec des joueurs qui ont aussi beaucoup de métier.” Jorge Valdano avait tellement été enjoué par cette rencontre, son intensité et sa tension qu’il en avait fait une tribune pour El País.
Malgré une équipe argentine décidée à avoir le ballon (63% de possession), l’Albiceleste est seulement allé 8 fois dans la petite surface uruguayenne contre 11 pour la Celeste, signe du manque d’inspiration des Argentins aux abords de la zone de vérité. “On a joué comme on devait jouer, on progresse et on a prouvé que la victoire face au Brésil n’était pas due au hasard”, se félicitait le portier uruguayen Sergio Rochet après la rencontre. “Les gars ont fait un match énorme. L’équipe a montré l’idée de Marcelo : étouffer l’adversaire et jouer d’égal à égal”, se réjouissait le latéral droit Nahitan Nández après la victoire (2-0) des siens alors que l’Argentine restait sur 14 matchs sans défaite et aucun but encaissé sur l’année civile. Le dernier but encaissé ? C’était le 3e but de Kylian Mbappé en finale de la Coupe du monde 2022. Encore plus étonnant, au cumul des deux matchs face au Brésil et à l’Argentine, l’Uruguay a concédé… seulement 3 tirs cadrés.
Seulement 27 jours d’entraînement cumulés
Après seulement six matchs d’éliminatoires à la Coupe du monde, Bielsa a déjà convaincu ses joueurs de la pertinence de son modèle de jeu. Un groupe jeune d’une moyenne d’âge d’à peine 25 ans (voir ci-dessous), d’une adaptabilité éclair dans la compréhension de ses concepts malgré seulement 27 jours d’entraînement sur le terrain (sans compter les séances vidéo en distanciel) et un jeu à haut risque axé sur les plus petits détails. En seulement 6 mois, Bielsa a conquis le pays et appliqué sa philosophie. L’Uruguay de Bielsa n’est pas un projet, il est déjà bel et bien là.
Avec un bilan de 13 points après 6 journées, l’Uruguay pointe à la 2ème du classement de la zone AmSud des éliminatoires à la Coupe du monde, soit son meilleur départ sur les huit dernières campagnes avec celle de 2018. Avant que Bielsa soit le sélectionneur du Chili en 2007, la Roja n’avait jamais battu l’Argentine de son histoire. Avant que Bielsa soit le sélectionneur de l’Uruguay, la Celeste n’avait jamais battu l’Argentine à l’extérieur dans l’histoire des éliminatoires. Et voilà 22 ans que l’Uruguay n’avait plus battu le Brésil en match officiel (2001). Darwin Nuñez et Ronald Araújo avaient 2 ans, Manuel Ugarte avait 2 mois et Facundo Pellistri n’était pas né. Si les joueurs font le jeu, certains entraîneurs savent sublimer un groupe.
Après la victoire facile (3-0) face à la Bolivie lors d’un match à sens unique (6ème journée), Matias Viña expliquait que “chaque détail travaillé à l’entraînement est spécifiquement pensé pour le match qu’on s’apprête à jouer. À quoi il peut servir et pourquoi on fait ça”. Ces dernières semaines, plusieurs joueurs sont publiquement rentrés dans les détails de ce que Bielsa leur réclamait. Comme les ailiers Facundo Pellistri et Agustín Canobbio sur les consignes précises demandées ou ce qui leur avait déjà apporté : “Il m’a ouvert les yeux. Il t’apprend à analyser les vidéos, il t’apprend à t’analyser sur le terrain. Et après, quand tu débutes un autre match, tu vois des espaces ou des zones que tu n’étais pas capable de voir ou que tu n’avais pas en tête”, a par exemple dit de lui le second à une radio locale le mois dernier :
Au sein de la Fédération, Jorge Giordano, directeur des sélections nationales et principal interlocuteur public vis-à-vis de la politique de l’AUF, n’a pas caché son enthousiasme et n’a pas tari d’éloges à l’égard du sélectionneur uruguayen. “C’est un apprentissage constant et quotidien, a-t-il commenté dans l’émission La Quinta Tribuna. Je pense qu’il a doté à toute l’institution un élan et un professionnalisme desquels tout le monde apprend. Les résultats ont rapidement suivi sa méthode. Il a donné une crédibilité à tout ce qu’il entreprend.”
Après un tiers des éliminatoires à la Coupe du monde 2026, quel bilan attribuer à la première année de travail de l’Argentin ? “On a fait une analyse à froid. Il y a eu des changements dans la proposition, tactiquement, qui pour moi sont les aspects les plus marquants. Le pressing suivi du marquage individuel, les poursuites, la capacité de pouvoir changer de système sans changer de joueurs, cette volonté d’être protagoniste le plus longtemps possible, c’est un changement qui, parfois, n’est pas accepté par la culture footballistique du pays, a-t-il fait remarquer. Et pour le moment, les grands joueurs que nous avons et leur degré de compromission ont très rapidement appliqué ce que l’entraîneur a voulu mettre en place.” Le mois dernier, Giordano est revenu sur cette adhésion unanime au sein du groupe. “Il est très professionnel, exigeant, minutieux et surtout – c’est ce qui m’a le plus surpris – il est très profond dans le concept. C’est comme s’il inondait le joueur de son concept pour tirer le meilleur de lui. Et il voit des qualités chez le joueur qui ne sont pas encore exploitées et qu’il commence à exploiter à travers sa proposition.”
Travail conjoint entre les sélections et le football local pour “élargir le spectre”
À travers cette émulation insufflée par le nouveau sélectionneur, la structure de la Fédération continue, elle aussi, d’évoluer. Dans le premier article consacré à l’Uruguay de Bielsa, il était question de la création des U13, une première mondiale, dans la volonté de revoir et de bouleverser les méthodes d’apprentissage dès le plus jeune âge. Aujourd’hui, dans la continuité de la modernisation des méthodes de travail et dans l’adaptation de l’AUF au football de jeunes et à ses règles, le directeur des sélections pense à la création d’une nouvelle catégorie : “On a créé les U13 et là on va sûrement créer les U16 en raison de la nouvelle règle pour la Coupe du monde des U17”, a-t-il annoncé. En effet, depuis mars dernier, la FIFA a décidé que cette compétition se déroulera désormais tous les ans. “On a mis en place les U13 en juillet 2023. L’objectif est de travailler davantage avec les petits et ça a été très utile parce qu’on a vu plus de 200 joueurs. Et à partir de ces 200 joueurs, on a constitué les U15. Il me semble que ça a apporté un saut qualitatif dans le choix des joueurs. C’est passé inaperçu mais ça a été l’une des choses les plus importantes que nous avons réalisées”, a-t-il commenté en mars dernier.
Autre évolution : le travail commun des sélections avec le football local. Ou plutôt la contribution des sélections pour le développement du football local. Le staff technique des A et les staff techniques des équipes de jeunes participent à cet objectif en 3 étapes.
- La première, par la collecte des données statistiques du dernier Clausura qui s’est déroulé entre août et décembre 2023.
- La deuxième, par la collecte des charges externes avec GPS de toutes les équipes pour étalonner le championnat à ceux du reste du monde sur le plan physique.
- Et la troisième étape est l’analyse statistique de chaque journée où tous les entraîneurs sont impliqués. La création en revient à Bielsa. Les analyses tactiques détaillées, selon sa méthode d’analyse, sont menées par ses assistants puis envoyées aux clubs sur la base du volontariat.
Création d’une sélection locale
Et les travaux de la Fédération ne s’arrêtent pas là. Depuis quelques mois, l’AUF a mis en place un nouveau projet : la création d’une sélection locale. Pensée par la direction sportive, cette sélection a pour but de donner une visibilité aux joueurs évoluant exclusivement en Uruguay en les évaluant dans un environnement de compétition internationale en dehors des dates FIFA. Ainsi, la Fédération collecte des informations à la fois sur les joueurs des championnats locaux et sur les joueurs dits ‘entre-deux’, ceux qui ne sont plus éligibles à jouer en U20 et qui ne sont pas appelés chez les U23 ou les A. Si à tout moment ils peuvent rejoindre la Celeste, autant continuer à les encadrer.
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Diego Pérez estará a cargo de la Selección del medio local que trabajará la próxima semana.
Entrenan lunes y martes, viajan el miércoles, juegan el viernes y vuelven el sábado#ElEquipoQueNosUne pic.twitter.com/aOfLtSOH5P
— Selección Uruguaya (@Uruguay) May 23, 2024
Mais en réalité, ce projet voit beaucoup plus loin. Le premier objectif est de faire en sorte que ces joueurs puissent être compétitifs à tout moment en vue des éliminatoires à la Coupe du monde 2026 et pour certains d’entre eux, qu’ils le soient en vue de la Coupe du monde 2030. “Ce qu’on cherche à faire, c’est élargir le spectre. Que les joueurs aient une visibilité, qu’ils puissent être évalués et qu’ils puissent être visibles par les clubs”, synthétise Jorge Giordano au-delà du bénéfice économique généré pour le football uruguayen.
Cette sélection dirigée par l’ancien milieu de terrain Diego Pérez n’implique pas Marcelo Bielsa. C’est un projet entièrement réfléchi par la direction sportive. “On ne l’a jamais pensé de cette façon, a d’ailleurs appuyé à ce propos Giordano dans une radio locale. Je vais même aller plus loin. Si vous avez pris connaissance du nom des entraîneurs qui ont intégré l’institution, vous verrez qu’on forme des entraîneurs. Une des raisons de la création de cette sélection locale est d’accompagner la formation et le développement des joueurs mais aussi des entraîneurs dans un contexte international. En travaillant de cette façon, on pense que d’ici minimum 2030, dans le meilleur des cas, ils seront [encore] dans cette structure.”
Bielsa n’a aucun droit de regard ou une quelconque participation sur le fond et la forme du fonctionnement de cette sélection locale. Que ce soit dans la proposition de noms ou dans sa volonté de voir des joueurs avec des caractéristiques qui lui sont propres. Par contre, des rapports de joueurs lui sont fournis. Des rapports sur des joueurs qui n’ont pas pu s’exprimer pour blessures ou autres contretemps malgré leur implication dans les sélections de jeunes. Et évidemment, l’Argentin regarde les matchs. Tout le temps, partout, quel que soit le niveau. Vous avez sûrement dû voir ce type d’images sur les réseaux sociaux (voir ci-dessous). L’objectif reste le même : avoir ces joueurs dans le radar. Cette sélection est une opportunité supplémentaire dans le processus de détection. Après un premier match face au Costa Rica (0-0), un second match serait en préparation pour la fin du mois de juillet.
Marcelo Bielsa, presente en el Liverpool vs Boston River de la Liga Uruguaya, como si nada, como un hincha más.
Así trabaja uno de los mejores entrenadores del mundo, con la humildad y la pasión de los primeros años. pic.twitter.com/NwOBdPdL3p
— Charla Táctica Perú (@charlatacticape) November 30, 2023
Développement du football de l’interior
D’un point de vue global, l’accent de la Fédération a été mis sur une cohésion entre les sélections. “On a beaucoup avancé dans la méthodologie. Il y a une grande implication des sélectionneurs. Il y a une grande clarté conceptuelle dans ce qu’on cherche à faire. On a entrepris beaucoup de choses pour le football de l’interior. On a vraiment élargi le spectre des possibilités surtout pour les catégories d’âge entre 13 et 15 ans”, a pointé Giordano sur ce que la Fédération avait réalisé de plus significatif depuis un an.
À cet égard, ce qu’a réalisé l’AUF pour détecter des joueurs à l’intérieur des terres n’est pas sans rappeler le périple que Bielsa avait réalisé à bord de sa Fiat 147 blanche en Argentine avec Newell’s Old Boys pour établir son réseau. Après avoir divisé le pays en 70 zones elles-mêmes subdivisées pour former au total 350 sections, le jeune entraîneur argentin y avait placé un technicien ayant pour tâche de détecter des joueurs dans chacune d’elles.
La Fédération uruguayenne, elle, a établi des camps d’entraînement depuis peu pour les jeunes de 13-14 ans afin de quadriller le territoire dans ces zones moins peuplées. Le fonctionnement est simple : des entraîneurs de l’interior choisissent des joueurs de leur région pour composer une sélection régionale. Ensuite, les quatre sélections régionales s’affrontent entre elles. À l’issue de ce tournoi, se forme la sélection composée des meilleurs joueurs de l’interior. Et cette sélection affronte la sélection U15 pour déterminer les joueurs de l’interior qui peuvent l’intégrer.
“Il n’y a pas d’empreinte sans succès”
“Aujourd’hui, on a un sélectionneur d’élite, professionnel à 100%, méticuleux, minutieux, actif, s’enthousiasme Giordano. Il m’a ouvert un monde et j’en apprends tous les jours sur la façon de diriger un joueur à distance. Parce que ce circuit didactique qu’il développe est fantastique. Et je peux vous assurer que lorsque le joueur arrive au centre d’entraînement, c’est comme s’il avait toujours été là. Contrairement à ce que les gens pensent, qu’il n’y a pas d’activité lorsqu’ils sont avec leurs clubs, je peux vous dire que l’activité est deux fois plus élevée”, avertit-il. Autrement dit, quelle que soit l’issue de cette Copa América, Bielsa et l’Uruguay n’exprimeront aucune excuse sur les conditions de la préparation.
Si celle-ci a officiellement démarré le 27 mai dans le calendrier fédéral, elle a officieusement commencé dès le mois de mars à l’occasion de la trêve internationale pour le staff de Bielsa. Cette trêve a été utilisée comme une opportunité d’absorber le modèle de jeu du sélectionneur uruguayen. Pendant que le Paraguay a parcouru la moitié du globe en Russie, que les Argentins se sont déplacés aux États-Unis, et que le Pérou et le Chili se sont déplacés en Europe, l’Uruguay s’est installée de façon permanente à San Sebastián dans les installations de la Real Sociedad durant 10 jours dont 6 consécutifs (contre 2 ou 3 jusque-là) pour travailler tout en faisant le moins de voyage possible.
Travailler sur quoi ? “On sait tous qu’on s’entraîne avec beaucoup d’intensité mais on travaille surtout sur beaucoup d’aspects tactiques : les mouvements, les couvertures, coulisser pour fermer les espaces, quand doit-on sortir ou non…, racontait Ronald Araújo pour la TV de la Fédération. Mais il nous demande aussi de jouer parce qu’on a les joueurs pour ressortir le ballon depuis derrière. C’est ce que veut aussi Marcelo. […] Évidemment, il y a des matchs à jouer mais je pense que ce qui est clé pour cette trêve internationale, c’est l’entraînement. Parce qu’on a deux séances par jour et l’idée est surtout d’en apprendre davantage sur ce que veut Marcelo”, avait-il insisté.
A l’orée de la Copa América, l’attente est grande. D’un côté, le sélectionneur bolivien affirme que l’Uruguay est la meilleure équipe du continent, de l’autre, les médias locaux évoquent l’empreinte indiscutable de Bielsa sur la Celeste et son impact sur le football du pays. Mais pour le technicien argentin, ces discussions sont encore prématurées. “Parfois, la réalité laisse penser que ce qui est proposé est sincèrement préparé. Depuis que je suis ici en Uruguay, j’ai eu très peu l’occasion de transmettre les idées qui me représentent en tant qu’entraîneur. J’ai eu un bloc de matchs amicaux. J’ai commencé à travailler pour des adversaires qui n’étaient pas du très haut niveau (Nicaragua, Cuba) et immédiatement après les éliminatoires à la Coupe du monde ont commencé où ce qui est essentiellement recherché, c’est le résultat et non le style. Donc je ne pourrais pas vous dire sincèrement que j’ai eu une influence sur le football uruguayen. Peut-être qu’avec le temps… L’empreinte dépend du succès. Il n’y a pas d’empreinte sans succès. On verra comment se déroulent les prochains épisodes. Pour le moment, il y a la Copa América, une compétition importante, et ensuite il y aura un autre bloc de 6 matchs pour les éliminatoires à la Coupe du monde 2026. Juger une équipe après 6 matchs, c’est une chose et juger une équipe après 18 matchs, c’en est une autre”, a-t-il commenté en conférence de presse.
Dans le groupe C comprenant le Panama, les États-Unis et la Bolivie, l’Uruguay se présente dans la compétition avec une confiance assumée. L’idée est claire : confirmer les performances démontrées lors des éliminatoires et remporter la 16ème Copa América de son histoire. Néanmoins, cette quête n’est pas une finalité. Historiquement, aux yeux du grand public, l’Uruguay n’est jamais favorite. C’est pour ça qu’elle y met ses tripes. Ce tournoi s’inscrit avant tout comme une étape supplémentaire dans la progression et la maturation d’un groupe. En à peine un an, la Celeste a déjà dépassé les attentes sur tous les plans. Et si Jorge Giordano a déclaré vouloir voir une “sélection qui s’améliore de match en match et qui prenne confiance”, rien de tel qu’une nouvelle expérience commune pour affirmer au continent et au monde entier que cette Uruguay version Bielsa n’est pas seulement née mais qu’elle compte s’implanter pour de longues années.