85 ans et… un jour plus tard. C’était le 30 juillet 1930. L’Uruguay remporte son premier titre de champion du monde au stade Centenario de Montevideo. Coup de projecteur sur cette date qui a marqué l’histoire de la Celeste mais aussi l’histoire du football mondial lors de la Coupe du monde 1930…
Pour la plupart des amateurs de football, l’Uruguay reste un pays de seconde zone au niveau football, souvent dans l’ombre du Brésil ou de l’Argentine beaucoup plus médiatisés. À tort. La Celeste est et restera le précurseur d’un football total souvent accordé, en Europe, aux Pays-Bas des années 1970 ou encore à la Hongrie des années 1950 pour les plus nostalgiques. Mais une chose est sûre, c’est bien sur les bords du Rio de la Plata que ce football trouve ses origines, cet estuaire entre l’Argentine et l’Uruguay. Une terre fertile de talents, où est né le toque.
Les quatre étoiles (deux titres olympiques sous l’ère professionnelle 1924 et 1928 et deux Coupes du monde 1930 et 1950) qu’arbore fièrement la Celeste sur son maillot sont bel et bien dues à l’émergence du football dans le Rio de la Plata. Retour 90 ans en arrière, nous sommes alors en 1924. Le football mondial va alors découvrir cette nation qui s’appelle l’Uruguay et qui débarque aux Jeux Olympiques en parfait inconnu. Après avoir donné une leçon à l’Europe du foot tour à tour, la Yougoslavie, les États-Unis, la France, les Pays-Bas puis la Suisse en finale (devant 50.000 personnes) sont écrasés. Le public est sous le charme et quatre ans plus tard, en 1928, l’Uruguay s’impose cette fois-ci en finale face à son voisin du Rio de la Plata… L’Argentine. 1928, fut aussi un tournant dans l’histoire du football. C’est a cette date que le comité de la FIFA, sous l’impulsion de son président français Jules Rimet, vote lors du congrès d’Amsterdam l’organisation d’une nouvelle épreuve ouverte à tous ses pays membres, autorisée aux professionnels, et dont la première édition est prévue pour 1930. Ainsi née la Coupe du monde. Pour l’organisation six pays se portent candidat : l’Italie, les Pays-Bas, l’Espagne, la Suède, la Hongrie et l’Uruguay pour cette Coupe du monde. Mais seul l’ambitieux Uruguay se déclare prêt à payer le voyage et l’hôtel aux équipes qui désirent participer à cette compétition. De plus, l’Uruguay garantit aussi la construction d’un stade flambant neuf, ainsi va sortir de terre le mythique stade Centenario après les retraits – avant même le vote de la FIFA – des Pays-Bas, de l’Espagne, de la Suède et de la Hongrie. Suite au soutien du délégué argentin Adrián Béccar Varela pour la candidature uruguayenne, l’Italie se retire aussi pour mener à l’inéluctable choix de l’Uruguay, désormais seul en lice. Avantagé par son passé de double tenant du titre du tournoi olympique (1924 et 1928) et par le centenaire de son indépendance en 1930, la FIFA confirme le 18 mai 1929 lors du congrès de Barcelone que le pays sera le premier à accueillir la Coupe du monde de football. Le Centenario accueillera donc la première Coupe du monde l’histoire en compagnie des deux autres stades des deux plus grands clubs uruguayens, l’Estadio Pocitos (enceinte du Peñarol) et l’Estadio Gran Parque Central du Nacional Montevideo.
1930 : un football total impulsé par les deux géants Nacional et Peñarol
La Celeste se retrouve dans le groupe 3 lors de ce tout premier Mondial de l’histoire avec le Pérou et la Roumanie. À l’origine, les organisateurs souhaitaient que la compétition se tienne sous forme de matchs à élimination directe, mais le nombre d’équipes engagées, treize au total, les pousse à instaurer une phase de poules. Les équipes sont réparties en trois groupes de trois sélections et un groupe de quatre sélections. Le vainqueur de chaque groupe se qualifie pour la phase finale, jouée en matchs à élimination directe. Précisons qu’a cette époque les remplacements en cours de match n’étaient pas autorisés. L’Uruguay, après une préparation rugueuse avec une discipline de fer (le gardien Andrés Mazali est même exclu du groupe après avoir enfreint un couvre-feu pour rendre visite à sa femme) entre seulement dans la compétition le 18 juillet face au Pérou. Cette entrée tardive est due au retard des travaux du nouveau stade Centenario qu’elle se doit absolument d’inaugurer. La Céleste, loin de son niveau de jeu habituel, remporte le match 1-0 sur un but d’Hector Castro et sera fustigée par la presse locale le lendemain. Avec chacun une victoire, le match, Uruguay-Roumanie, est décisif en vue de la qualification pour les demi-finales. Le sélectionneur de l’époque, Alberto Suppici, décide d’effectuer quatre changements par rapport à l’équipe qui a péniblement battu le Pérou trois jours plus tôt. Cette fois la Celeste séduit et remporte facilement le match quatre buts à zéro, avec des réalisations de Pablo Dorado, Héctor Scarone, Peregrino Anselmo et Pedro Cea, terminant ainsi première du groupe et retrouvant ce jeu avec « virtuosité balle au pied, dans le contrôle, dans la merveilleuse utilisation du ballon. L’Uruguay a créé un football magnifique, élégant mais aussi rapide, varié, puissant et efficace » (Gabriel Hanot) qu’elle avait fait découvrir au monde entier lors de JO de 1924 puis 1928. Sous l’impulsion d’un groupe composé de huit joueurs du Nacional Montevideo et cinq du Peñarol, plus rien n’arrêtera la machine celeste. Certainement pas la Yougoslavie qui ramassera une valise six buts à un en demie finale devant 80.000 spectateurs au Centenario. Malgré l’ouverture du score très rapide de Đorđe Vujadinović, Pedro Cea égalisera dès la 19ème minute avant que Anselmo n’inscrive un doublé en deux minutes. D’ailleurs, le but du 2-1 a été inscrit après qu’un policier uruguayen a renvoyé le cuir à Anselmo alors que celui-ci venait de sortir du terrain… Mais à la surprise générale, l’arbitre brésilien Gilberto Rêgo accorde le but. En seconde mi-temps, l’Uruguay plante trois nouveaux buts grâce à Santos Iriarte et Pedro Cea à deux reprises, qui conclut le match par un triplé. L’Uruguay est en finale de son Mondial.
Dernier instant de gloire du football rioplatense
C’est le 30 juillet à 15 h 30 au Centenario que se déroule la toute première finale de l’histoire entre les deux géants de l’époque, l’Uruguay et l’Argentine. Ces deux nations entretiennent déjà une rivalité sans précédent pour s’être affrontées plus d’une centaine de fois avant cette rencontre. L’AUF (Association Uruguayenne de Football) décide de mettre 10.000 places en vente pour les Argentins et dès la veille du match, c’est déjà l’euphorie à Buenos Aires notamment sur le port où des dizaines de milliers de supporteurs argentins veulent embarquer à bord des six paquebots affrétés pour effectuer la traversée du Río de la Plata. Entre les pétards et les chants « victoria o muerte » (« La victoire ou la mort »), ils sont au final plus de 30.000 à effectuer la courte traversée avec les bateaux affrétés, mais aussi avec d’autres embarcations de fortunes ! L’engouement est tel que les portes du Centenario ouvrent à huit heures du matin, plus de cinq heures avant le coup d’envoi, la police effectuant même des contrôles pour éviter l’intrusion d’armes à feu… À midi, le stade est plein comme un œuf. La FIFA annoncera plus tard que 68.346 spectateurs étaient présents alors que d’autres sources annoncent 90.000. Bref c’est l’euphorie et John Langenus, l’arbitre belge, accepte d’arbitrer la finale seulement quelques heures avant le coup d’envoi. Ce dernier a exigé des mesures de protection pour sa sécurité personnelle en cas de d’incidents avec les supporteurs suite à d’éventuelles décisions arbitrales controversées. Pour la petite anecdote, l’arbitre belge a demandé qu’un bateau soit prêt à partir une heure après la fin du match, au cas où il devrait quitter rapidement le pays… Le coup d’envoi s’apprête a être donné mais voilà qu’un autre différent oppose les deux voisins sud-américains. Chacune des deux nations veut jouer le match avec son propre ballon… La discussion s’éternise et John Langenus décide d’entrer sur le terrain avec un ballon sous chaque bras et départage ce cocasse désaccord à pile ou face. À ce petit jeu, c’est le ballon argentin qui sort vainqueur et qui est utilisé pour la première mi-temps, le ballon uruguayen l’étant pour la seconde période. Malgré le tirage au sort du ballon favorable aux Argentins, c’est la Celeste qui ouvre le score dès la 12e minute de jeu par l’intermédiaire de Pablo Dorado, d’un tir à ras du sol.. Les Argentins égalisent huit minutes plus tard par Carlos Peucelle. L’Argentine est bien en jambe dans cette première période, continue sur sa lancée et prend l’avantage par son avant-centre Guillermo Stábile, qui terminera meilleur buteur de la compétition avec huit réalisations, à la 37e minute. 1-2 à la mi-temps. En seconde période, l’Uruguay lâche toutes ses forces dans la bataille. Mieux organisés, les Uruguayens attaquent en nombre et parviennent à égaliser peu avant l’heure de jeu par Pedro Cea déjà auteur d’un triplé en demi-finale. Dix minutes plus tard, à la 68e minute de jeu, c’est Santos Iriarte, qui inscrit un « golazo », devant un stade en fusion. La Celeste reprend l’avantage 3-2. Reste alors 20 minutes de jeu. L’Argentine tente tout pour égaliser mais l’histoire veut que Guillermo Stábile soit privé de son neuvième but et et voit son tir échouer sur la transversale, alors que sur l’action suivante, Héctor Castro ajoute un nouveau but de la tête dans les derniers instant. Le Centenario explose, l’Uruguay est champion du monde !
La Celeste sort donc vainqueur grâce à une intelligence tactique que l’Argentine n’a pas. Alors que le football a colonisé l’Argentine et l’Uruguay grâce aux Anglais, les deux pays sud-américains ont rapidement développé leur propre approche de ce jeu basé sur la technique individuelle et collective. Comme l’indiquait Jorge Brown dans l’excellent Inverting the Pyramid signé Jonathan Wilson, ce nouveau style de jeu « était affaibli par l’excès de passes. Bien que plus fin et probablement plus artistique, voire en apparence plus intelligent, ce jeu avait perdu son enthousiasme primitif ». Les Anglais, Rois de ce sport, regrettaient en effet le manque de jeu direct. Cette critique reviendra avec les Hongrois des années 1950, les Néerlandais des années 1970, les colombiens des années 90 et s’entendra également avec le Barça de Guardiola. Quoi qu’il en soit, ce que nous appelons désormais le toque, a pris ses sources en Uruguay et en Argentine et cette finale en fut son apogée. À la fin de la rencontre, le français Jules Rimet remet la Coupe portant son nom au président de l’Association Uruguayenne de Football, Raúl Jude, avant que les Champions du Monde entament un tour d’honneur avec le trophée. Ce dernier instant de gloire du football rioplatense est vécu différemment sur les deux rives. Les rues de la capitale Montevideo sont alors noires de monde, les fans célèbrent la victoire de leur pays, le lendemain, le 31 juillet étant même proclamé fête nationale ! Du côté de Buenos Aires, des incidents éclatent. Une centaine de supporteurs argentins frustrés se rejoignent devant l’ambassade d’Uruguay pour la caillasser, obligeant les policiers à rétablir l’ordre. Cela n’est rien à côté de la seconde finale remportée par l’Uruguay en 1950 à Rio de Janeiro au Maracana face au Brésil, autre tournant historique…
La Grinta en profite pour rendre aussi un hommage à Alcides Ghiggia décédé le 16 juillet dernier, l’homme qui avait fait pleurer le Brésil en le privant du titre de champion du monde au Maracana, en 1950 dans le très célèbre « Maracanazo », le jour-même du 65e anniversaire de cette « finale » (qui était en fait le dernier match de la poule finale).