Les supporters brésiliens sont regroupés en torcidas organizadas, des associations qui, en plus d’aller au stade, sont très actives dans la société. Mais dans l’opinion publique, les torcidas organizadas ont mauvaise réputation. Et souffrent des mesures prises à leur encontre. Interrogé par La Grinta, Le président de l’ANATORG, l’Association nationale des associations de supporters au Brésil, nous a aidé à comprendre ce qu’est la torcida organizada pour les Brésiliens. Et son champ d’action va bien au delà du foot.
Les torcidas organizadas (TO) ont mauvaise réputation. Les faits de violences entre supporters relatés dans la presse brésilienne sont fréquents. En mai, huit supporters du Corinthians trouvaient la mort dans leur local, abattus d’une balle dans la tête. On sait aujourd’hui que les coupables sont deux membres de la police. Les TO sont pointées du doigt, et perdent leur liberté. Le foot est désigné coupable.
Une commission gouvernementale paulista réunie pour stopper les violences dans le foot a proposé mi-mai des mesures pour les derbies de Santos, São Paulo Futebol Clube, Palmeiras et Corinthians. Parmi les propositions, la suppression des tribunes visiteurs, la mise en place d’un système de biométrie pour trier les supporters à l’entrée, la prohibition de l’alcool autour des stades, l’instauration de travaux d’intérêt général au moment des matchs et le port du bracelet électronique pour localiser les interdits de stade.
Ces mesures, qui confondent univers sportif et carcéral, sont des atteintes à la liberté des supporters. Cette politique ne date pas d’hier. La répression a commencé suite à un épisode resté dans les esprits comme « la guerre du Pacaembu » en 1995. Lors d’une finale de juniors opposant São Paulo Futebol Clube à Palmeiras, les supporters du Palmeiras, vainqueurs sur un but en or, envahissent le terrain et vont voir les supporters adverses, principalement des organisés. Résultat, 101 blessés, 1 mort, des tas d’articles soulignant la violence des scènes. Les mesures tombent alors dans les stades : interdictions d’entrer des drapeaux, des instruments de musique, de porter le maillot de son groupe, de vendre de l’alcool, instauration de patrouilles mobiles à l’intérieur du stade… Les TO Mancha Verde et Torcida Independente, dissolues par le ministère public, resurgissent peu après sous un autre nom.
Pourtant, selon l’anthropologue brésilien Luiz Henrique de Toledo, les TO font partie de la sphère publique et sont imbriquées dans un phénomène plus ample de violence, celle de la société brésilienne. On peut traduire la Torcida Organizada par « association de supporters ». Mais l’expression torcida est bien plus large que « torcedor » (supporter), et reflète bien l’importance de la TO, cette véritable institution sociale au Brésil.
Elles regroupent beaucoup, beaucoup de monde. Dans les stades, mais aussi dans des blocs durant le carnaval. De leur local situé dans les quartiers, elles organisent des soirées, des concerts, des tournois. Elles vendent les tee-shirts de leur groupe. Elles développent des programmes sociaux et culturels là où il y en a peu. Bien sûr, comme en Europe, c’est la guerre des stickers et des tee-shirts à l’effigie du groupe. Mais la TO fonctionne aussi comme éducateur, et comme moteur d’insertion dans la société.
La Grinta a contacté André Azevedo, président de l’ANATORG, pour bien comprendre l’enjeu des TO aujourd’hui. D’après lui, elles portent un véritable projet social et peuvent tenir un rôle préventif pour que cette violence disparaisse.
La torcida organizada est un modèle bien brésilien… ce n’est pas pareil que les associations de supporters en Europe.
André Azevedo : Les TO ont permis à des personnes exclues socialement, ayant peu de revenus et sans accès aux loisirs d’intégrer une entité fondée sur l’égalité. Aujourd’hui, il existe des torcidas de plus de 100 000 membres ; la taille normale d’une torcida est de 60 000 membres. Les torcidas œuvrent au niveau social, auprès d’une population que le gouvernement délaisse. Elles voient les besoins et se bougent pour aider.
Pourquoi les TO ont-elles une mauvaise image ? On semble les accuser de toutes les violences des stades…
C’est en fait le Brésil tout entier. On le fait passer pour un pays merveilleux, et on le distingue des TO qui à elles seules généreraient de la violence. Mais c’est faux. Force est de constater qu’on retrouve au sein d’une communauté les problèmes d’une société. Le jour où l’on traitera les problèmes qui ont lieu dans les TO comme un problème de citoyenneté et non de tribunes, tout ira mieux. On dirait parfois que ça arrange bien les politiques et les médias de marginaliser les tribunes, ainsi on tait les problèmes qui vont au-delà du football.
L’image du supporter est tout aussi malmenée en France. Et en réponse une même politique d’exclusion face aux associations de supporters…
La politique d’exclusion envers les supporters est vraiment une erreur. Au lieu de résoudre les problèmes, ils les cachent sous un tapis. La personne, en plus d’être un supporter, est un citoyen. Si on l’interdit d’aller au stade, il sera dans la rue sans préparation pour devenir un citoyen. Une personne doublement exclue, d’abord de la société, puis des stades, devient deux fois plus révoltée : ce n’est pas du ressort du football mais de la société brésilienne.
L’ANATORG revendique la distinction entre les TO d’un côté, et le supporter, un individu, un citoyen, d’autre part.
L’ANATORG défend les torcidas et non les supporters. Le supporter qui commet un crime va en prison. Nous voulons protéger le système des torcidas car elles sont toujours désignées coupables, comme si c’était nos maillots et nos drapeaux qui commettaient un crime. C’est faux. L’ANATORG a également une politique interne pour les associations, surtout entre les associations de supporters rivales. On est bien conscient que certaines choses doivent changer ou les torcidas disparaîtront.
Que pense l’ANATORG des mesures proposées à São Paulo, comme l’interdiction de tribune visiteur ou le système de biométrie ?
Ce sont de fausses mesures qui reflètent bien l’incapacité de la société à résoudre les problèmes et le manque d’humanité entre les personnes, créant une ségrégation sociale qui retire des droits et qui refrène l’amour des supporters, tuant ainsi le foot.