Il existe un personnage central dans l’histoire du Racing que peu de francophones connaissent. Une légende du club. Mais il ne s’agit ni d’un joueur, ni d’un président, ni d’un entraîneur. Cette légende, c’est Tita Mattiussi, la mère du Racing Club de Avellaneda.
« Derrière chaque grand homme se cache une femme », dit le proverbe. Il est aussi vrai que derrière cette glorieuse équipe du Racing championne du monde en 1967, il y avait également une femme. Une très grande femme. Elena Margarita Mattiussi dit Tita est née le 17 novembre 1919 dans une ville qui marquera pour toujours son destin et qui la fera rentrer dans l’histoire : la ville d’Avellaneda.
Don César Mattiussi et son épouse Ida ont fait parti de la vague massive d’immigrés italiens qui sont arrivés en Argentine au début du siècle. En 1915, le couple s’installe au pays du tango et commence à travailler après avoir répondu à une petite annonce dans le journal La Prensa. L’emploi consiste à entretenir la pelouse du plus grand club argentin de l’époque, le Racing Club. L’Academia est d’ailleurs le véritable premier grand club argentin. Don César s’occupe donc de l’état de la pelouse tandis que sa femme travaille dans la blanchisserie du club. La petite famille vit dans le stade et quatre ans plus tard, en 1919, Ida donne naissance à Elena.
Tita a été élevée au biberon du Racing. Petite, pendant que son père travaille, elle aide sa mère à prendre soin des maillots, du temps où Nike et Adidas n’existaient pas et où le côté mystique des couleurs était précieux.
Elle grandit avec les tribunes comme terrain de jeu et la pelouse du stade comme jardin. Sa seule raison de vivre se résumait en un seul mot : Racing. Les joueurs passaient, les dirigeants aussi mais elle, elle était toujours là. Lorsque Racing troque son vieux stade en bois pour une enceinte beaucoup plus moderne, le Cilindro actuel, on lui offre mêem un appartement neuf au centre d’Avellaneda. Elle n’a pas accepté, confiant quelques années plus tard que « vivre au stade était la plus belle chose qui [lui] soit arrivée ».
https://www.youtube.com/watch?v=RUWoFsTCUog
Le titre mondial de 1967, le 12ème homme
À la mort de ses parents, elle devient la responsable du stade. Elle tisse des liens solides avec de nombreuses équipes et se révèle être une protagoniste importante de l’époque glorieuse du Racing à la fin des années 1960. Elle couve les jeunes talents du club, les gamins originaires de la province qui vivent au centre de formation l’a considéraient comme une mère de substitution. Alfio Basile, l’ancien entraîneur de la sélection argentine et idole du Racing déclara, ému quelques années après : « je pourrais dire tellement de choses sur elle. La première chose à laquelle je pense quand on parle d’elle, c’est que pour moi, c’était une mère. Je la porterai toujours dans mon cœur. Je me rappelle de ces après-midis chez elle. C’était comme un porte-bonheur, elle a été très importante pour tous les jeunes du club ». Elle est aux premières loges du titre de champion de 1966 et de la Libertadores en 1967. En Coupe intercontinentale contre le Celtic, les joueurs lui ont même payé le billet d’avion pour Glasgow (Écosse) à une époque où les salaires n’étaient pas les mêmes qu’aujourd’hui.
Racing deviendra le premier champion du monde argentin à Montevideo (Uruguay) en gagnant « la belle » face au club écossais. En 1998, Tita affirma que son plus beau souvenir était « le voyage à Glasgow et Montevideo pour voir Racing champion du monde ». « On a voulu lui rendre quelque chose après tout ce qu’elle nous a donné. J’ai encore en tête son visage surpris lorsqu’on lui a dit qu’on allait lui payer le voyage. À ce moment-là, elle a commencé à préparer encore plus à manger aux membres de l’équipe. Elle le faisait comme pour nous remercier, Tita, c’était ça, de la bonté », se remémore Pizzuti l’entraîneur de cette glorieuse équipe.
Les anecdotes ne manquent pas du côté du club ciel et blanc d’Avellaneda pour parler de cette mère poule. Lors de ce fameux voyage à Glasgow, Sean Connery se trouvait dans le même avion que l’équipe et Tita lui exprima son amour pour le Racing. La légende raconte que l’acteur, après avoir écouté cette profession de foi, se prend d’affection pour l’Academia et rend visite aux joueurs à la mi-temps de la finale. Tita Mattiussi a également été à l’origine de nombreuses « cabalas », ces objets qui portent bonheur lorsqu’une équipe joue. En Argentine, il est donné une grande importance à ces gestes superstitieux à accomplir et qui influeraient sur le résultat de la rencontre. L’un d’entre eux consistait à écouter l’hymne de Boca Juniors avant chaque rencontre. Avant un match contre River, Racing perd son invincibilité de 40 matchs (deuxième série d’invincibilité du football argentin). Ironie du sort, l’équipe n’avait pas écouté l’hymne du club xeneize avant le match.
1999, année fatidique
Comme l’enseigne ce célèbre chant populaire des tribunes argentines, Tita a été là dans « les bons et encore plus dans les mauvais moments ». Au jour le jour, grâce à son attention et son courage, elle montrait sa passion pour le club et pour toutes les catégories du Racing.
Pendant 30 ans, ce fut le néant sportif pour Racing mais Tita était là, comme toujours. « J’ai beaucoup pleuré lorsque nous sommes descendus », confirmait-elle en référence à la descente du Racing, en 1984 face à l’ennemi juré Independiente. En 1999, Racing est déclaré en faillite par la juge Ripoll. Le Racing n’existe plus officiellement, le club est ruiné et doit être administré par une entreprise, Blanquiceleste S.A. qui décide de couper le téléphone et la télévision par câble à Tita pour réaliser des économies. Comme un symbole, elle décède quelques mois plus tard. Son état de santé n’était pas au mieux depuis longtemps mais la période noire du club finira par porter le coup de grâce. Sa mort est à l’image de sa vie, une romance éternelle avec son club. Comme pour ne pas vivre le pire moment institutionnel du Racing, elle s’est éteinte et tous les supporters des Ciel et Blanc l’ont pleuré. 40 ans de génération de joueurs de l’Academia se sont rendus à ses funérailles.
Un an plus tard, Racing nomma son nouveau centre d’entrainement, le « predio Tita Mattiussi ». Et à l’entrée de celui-ci, on peut lire « y Tita siempre esta », en français : « et Tita est toujours là ».