En 2019, il serait un best-seller mais depuis 2001, ce livre est passé inaperçu. Il est regrettable que l’aspect d’un ouvrage puisse tromper le lecteur, lui faire perdre toute sa substance et sa subtilité. C’est le cas de l’oeuvre Teambuilding, the road to success, de Rinus Michels. Loin de l’autobiographie égocentrée, Teambuilding est un manuel de football d’une richesse peu commune. Sur le jeu, sa théorie, sa pratique, sa psychologie et ses nuances. Dans cet ouvrage, l’illustre entraîneur néerlandais présente la complexité du jeu, l’envers du décor et partage comme rarement ses expériences – bonnes ou mauvaises – qui ont cimenté sa légitimité et sa légende. Un écrit dans lequel il n’hésite pas à revenir sur ses principes de jeu et les raisons de leur adoption. Un livre nécessaire pour tout passionné de football et un immanquable pour tout étudiant du jeu.
Néologisme du monde de l’entreprise, le teambuilding vise à renforcer la cohésion d’un groupe, d’un collectif. L’objectif : améliorer la communication, la symbiose, les relations et l’intégration des éléments du groupe qui le compose. Un titre à l’image de son totaalvoetbal, « football total » en français, usité et personnifié dans les années 1970 avec l’Ajax et les Pays-Bas qui synthétise et transcende l’ensemble de ces notions. La deuxième partie du titre the road to success (la voie du succès) a également toute son importance. Car il n’est pas question de la sienne comme le titre et la première de couverture du livre peuvent le laisser supposer mais des conditions nécessaires pour l’atteindre et ce peu importe le niveau de l’entraîneur concerné.
Contrecarrer l’imprévisibilité
Rinus Michels l’avait compris très tôt : tout succès d’équipe est le fruit voire l’émanation de la cohésion. Une vérité en football qui ne cesse de se vérifier plus de 40 ans après. Si aujourd’hui le teambuilding est encouragé quel que soit le secteur d’activité, Michels a choisi cette notion abstraite comme fil rouge pour mieux la disséquer. C’est d’ailleurs la première tâche qu’il propose au lecteur : définir la notion et décomplexifier le processus en présentant différents outils au gré de ses expériences. Avant toute chose, Michels propose de définir le rôle de l’entraîneur en football en empruntant l’analogie – bien connue – du chef d’orchestre. « Ce n’est pas seulement la tâche du conducteur de s’assurer que chacun des musiciens est en mesure de contribuer, il doit également veiller à ce que le résultat soit harmonieux », résume-t-il. Un parallèle mené également par Arrigo Sacchi dans son autobiographie Calcio Totale. « Un proche, chef d’orchestre, m’a dit un jour : ‘Les entraîneurs sont tous les mêmes.’ Je lui ai dit que je pourrais dire la même chose des chefs d’orchestre. ‘Et non !!’, m’a-t-il répondu, irrité et désobligeant. ‘Pas du tout ! Abbado a une musicalité et une sensibilité différente de Muti, et l’interprétation de la partition dépend beaucoup du chef d’orchestre.’ À vrai dire, estime Sacchi, entre la musique et le football, il n’y a pas beaucoup de différence. De mon point de vue, le jeu, la partition à interpréter, c’est le vrai protagoniste sur le terrain. Tu peux avoir les meilleurs musiciens et solistes du monde et n’entendre aucune mélodie s’ils ne sont pas coordonnés par un chef d’orchestre et par une partition commune. » Une idée que ne contredirait certainement pas Michels mais qui tient néanmoins à apporter la précision suivante : « Il est plus dur d’être footballeur parce que le joueur est freiné dans sa tâche par un adversaire direct et il ne dispose pas de partition. Un livre où tout le jeu est décrit, telle une partition, n’existe pas en football. »
Ce que Michels avait également compris, c’est que dans le football de haut niveau, la cohésion d’équipe devient de plus en plus décisive. Progresser sur cet aspect spécifique du métier tient une place fondamentale dans la performance. Il est donc indispensable que les coachs étudient tous les facteurs susceptibles d’influer sur les résultats de l’équipe. Car là où dans d’autres sports collectifs une entité (il est question d’’escouade’ en football américain) est mobilisée pour certaines séquences (attaquer, défendre), ou qu’ils disposent de temps morts avec une équipe moins fournie (5 joueurs en basket, 6 en volley, 7 en hand), le football est spécifique par son haut degré d’imprévisibilité. « On essaie de faire en sorte que l’impondérable dans le football ne nous porte pas préjudice tout en sachant qu’il y a des choses qui sont incontrôlables. Et c’est pour ça que le football est le sport le plus populaire au monde, déclarait Marcelo Bielsa la saison dernière en conférence de presse à Leeds. Ainsi, l’entraîneur de football – et qu’importe son travail en amont – se trouve d’autant plus dépendant de la performance de ses joueurs. Des joueurs qui se doivent d’être perspicaces et intelligents. D’où le raisonnement de Michels : « Si le quarterback est le leader tactique sur le terrain en football américain, dans le soccer, l’imprévisibilité des situations, les changements constants de possession demandent à tous les joueurs d’agir comme des quarterbacks. »
Pour Michels, la complexité du football est déterminée par neuf facteurs différents (taille du terrain, durée du match, largeur d’effectif…) et le teambuilding est limité par différents éléments : la qualité à déterminer des joueurs (du point de vue technique, physique, mental, tactique), l’équilibre à trouver, le succès, l’adversaire, la gestion de l’équipe et l’imprévisibilité du jeu. Pour ce dernier aspect, Michels n’hésite pas à prendre l’exemple du poteau de Robert Rensenbrink en finale de la Coupe du monde 1978 face à l’Argentine à Buenos Aires. « Dans les dernières secondes du match, au lieu de frapper le poteau, si le ballon avait été 2 centimètres plus à droite, les Pays-Bas auraient été couronnés champions du monde. » Et par la même occasion, cet accomplissement aurait fait rentrer le nom de Rensenbrink à la postérité (cf. la vidéo de Didier Roustan « Le dernier souffle » à ce sujet).
A contrario, une équipe a surpris Michels par sa capacité à implanter avec efficacité ce processus de teambuilding en changeant ses habitudes : le Brésil 1994. En vue de la Coupe du monde, pendant deux ans, Carlos Alberto Parreira avait préparé la Seleção à jouer en 4-4-2. Il avait dû apprendre à Romario à défendre, à insister sur l’importance de la phase de construction, à ne pas discuter les primes, etc. Plus largement, à limiter l’expression individuelle, l’action isolée au profit du collectif. Un changement de paradigme qui a nécessité deux ans de travail. Pourquoi ce changement d’approche par Parreira ? Quel était le moteur de ce processus ? Il avait persuadé son groupe qu’une victoire au Mondial donnerait un nouveau souffle au pays vingt quatre ans après la dernière victoire en Coupe du monde en 1970. Une quête qui passait par l’unité et l’esprit d’équipe. Autrement dit, ce conditionnement psychologique sur fond de raison d’État a exhorté les joueurs à répondre au développement tactique de l’équipe et à son acceptation.
Les principes de jeu de base selon Michels
Après ce premier développement d’ordre général sur la notion de cohésion de groupe et la présentation dans son second chapitre d’entraîneurs influents (Mario Zagallo, Helenio Herrera, Sir Alf Ramsey, lui-même, Franz Beckenbauer, Johan Cruyff et Louis van Gaal), Rinus Michels rentre un peu plus au coeur du sujet en évoquant l’aspect tactique. En considérant les qualités du groupe, quelle organisation doit être privilégiée ? À partir de trois schémas distincts (5-3-2, 4-4-2, 4-3-3) découlent tous les autres systèmes existants selon Michels. Pour étayer son propos, comme aucune organisation n’est supérieure à une autre, l’ancien entraîneur de l’Ajax se propose de présenter les nuances ainsi que les qualités et les failles de chacune d’elles.
Dans ce même chapitre axé sur les « règles tactiques de base dans le processus de teambuilding », Michels insiste sur le point suivant : la capacité à défendre est le point de départ de la mise en place de tout principe de jeu. L’entraîneur reconnu pour avoir installé le football offensif le plus abouti de l’histoire (et prolongé par Stefan Kovacs) insiste donc sur l’aspect défensif avant de prétendre quoi que ce soit – et malgré avoir déjà tout prouvé. « Quand j’ai commencé à entraîner le FC Cologne (1980), j’étais face à une équipe qui avait perdu tous ses matchs à domicile par un score large. J’aurais pu faire le choix d’installer les principes offensifs propres au football néerlandais. Mais j’ai fait un autre choix. Dans la préparation de mon premier match contre l’Eintracht Francfort, j’ai mis l’accent sur l’organisation défensive et établi des entraînements axés sur la nécessité de limiter l’influence de leur meneur de jeu. Dans l’esprit du Néerlandais, cela aurait été considéré comme une approche négative du jeu, mais ça a marché et on a gagné le match. En ayant eu un bon résultat pour mon premier match, l’équipe a gagné en confiance et j’ai gagné en crédibilité. C’est le meilleur terreau avant de mettre l’accent doucement sur la construction du jeu et la phase offensive. »
En établissant tout ce travail de déchiffrage des aspects défensifs et offensifs, le sélectionneur vainqueur de l’Euro 1988 dépeint en même temps le football de sélection et de club de l’époque (années 1990) à partir d’exemples (Allemagne, Suède, République Tchèque, Nigéria, Angleterre). Il est d’ailleurs intéressant de noter qu’il distingue l’équipe de France 1998 (avec le Brésil) pour son style de jeu offensif quand elle est davantage reconnue et perçue pour ses qualités défensives. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si la France et le Brésil se sont rencontrés en finale de la Coupe du monde selon Michels. Sur le plan défensif, outre d’être efficaces en couverture, ces deux nations comptaient les meilleurs joueurs pour défendre en un-contre-un. Et à l’inverse, quelle est l’équipe idéale pour incarner la contre-attaque selon lui ? Le Dynamo de Kiev de Lobanovsky. « Pour avoir développé des joueurs avec de grandes qualités techniques, rapides en transition offensive, capables de jouer rapidement par des combinaisons et maîtres dans l’art du un-contre-un. »
Rinus Michels poursuit en proposant une synthèse des prérequis défensifs et offensifs (en phase de construction et sur attaque placée) pour chaque idée de jeu adoptée. Voici un résumé succinct sur la phase défensive et la phase de construction des idées en question :
« Le football de contre-attaque s’est montré être le football le plus efficace pour gagner sur le court terme » clame Michels, qui s’appuie sur l’exemple de la Norvège d’Egil Olsen (1990-1998), capable de se qualifier pour deux phases finales de Coupe du monde (1994, 1998) en se payant le scalp du Brésil (certes, déjà qualifié) en phase de poule du Mondial français et de hisser l’équipe nationale au deuxième rang du classement FIFA si l’on en croit sa fiche Wikipédia.
Quel était le modèle de jeu préférentiel de Rinus Michels ? « Personnellement, j’ai toujours fait le choix d’avoir une équipe protagoniste. À l’aube de la Coupe du monde 1974 en Allemagne, j’ai voulu renforcer le point fort de notre attaque en utilisant une nouvelle stratégie défensive : verrouiller l’adversaire dans son propre camp. Déranger la relance adverse dès la première passe afin de regagner la possession du ballon le plus rapidement possible. En faisant ce choix, j’ai choisi de nous mettre dans une grosse contrainte de temps. Se préparer en cinq semaines pour installer une stratégie audacieuse, c’est très court. J’ai dû principalement composer avec des joueurs de l’Ajax et du Feyenoord Rotterdam. Lors du premier meeting, j’ai expliqué tous les détails de cette variation tactique à tous les joueurs. Je leur ai aussi évoqué les risques engagés. Tout le monde était conscient de la difficulté d’être parfaitement performant avec si peu de temps de préparation. Si certains joueurs avaient douté de cette approche au début de la préparation, je l’aurais abandonné. Pour participer défensivement, tous les joueurs devaient participer. Je leur ai aussi fait prendre conscience du fait qu’il serait difficile pour les joueurs du Feyenoord Rotterdam d’évoluer sous cette approche, eux qui étaient habitués à ralentir le jeu sous l’égide de Willem van Hanegem. Voici ce que j’ai dit aux joueurs lors du premier meeting : ‘Ce choix est le plus difficile mais pour le véritable amoureux du football, c’est aussi le plus beau. Nous pouvons le mener à bien si tout le monde est derrière à 100%. Néanmoins, si quelques-uns d’entre vous doutent de ne notre capacité à le faire, nous ne l’adopterons pas. Je peux vous donner les lignes directrices mais vous devrez le mener à bien sur le terrain.’ Le groupe a immédiatement accepté ce défi. Si vous êtes capable de rassembler une équipe autour d’un concept, ce dernier fonctionnera comme une motivation pour l’équipe et un facteur pour la construction de l’équipe. »
Ainsi, Michels en profite pour partager son raisonnement sur la manière dont il a abordé le Mondial allemand. Durant la phase de préparation, le sélectionneur néerlandais a d’abord voulu affronter des équipes amateurs. Un choix pas innocent : l’objectif était de répéter les principes basiques du concept. « Après chaque match, les joueurs et moi discutions de ce qui allait et de ce qui n’allait pas. » Ensuite, les Pays-Bas ont affronté des équipes nationales. D’abord en échec face à l’Autriche, la victoire face à l’Argentine avant la compétition (4-1) avait fini de persuader l’ensemble des éléments. Au final, de la victoire initiale face à l’Uruguay (2-0) jusqu’à la finale, le monde entier aura assisté à un récital de football offensif.
Un jeu que Michels développera également au FC Barcelone même s’il l’avoue lui-même, « quand vous travaillez pour un tel club, le résultat reste le plus important. Tout le monde attendait que Barcelone joue comme l’Ajax sans réaliser que le processus de construire une équipe prend plusieurs années à se développer. » Néanmoins, un élément a facilité la transition estime Michels : le Barça jouait déjà avec des ailiers typiques pour ce football dans le 4-3-3 de Vic Buckingham. “Le plus dur a été de trouver le bon joueur pour chaque poste”, se rappelle-t-il.
Appréhender les stratégies défensives et offensives
Dans la continuité de son exposé des grands principes de jeu avec et sans ballon, Michels poursuit en présentant les lignes directrices à respecter selon le plan de jeu adopté. Ainsi, il se propose de présenter les différentes stratégies défensives en fonction des situations. Premier exemple : comment mettre la pression sur un adversaire protagoniste ? Par le pressing haut. Contre une équipe qui préfère le contre ? En étant bien organisé dans son propre camp. Concernant l’organisation, Michels a ses références : la ligne de quatre à plat avec un marquage de zone comme le modèle anglais, la ligne de quatre (3+1) avec un libero comme le modèle italien ou bien la ligne défensive en 3+2 (3 défenseurs centraux et 2 latéraux) comme l’Allemagne qui a vu Beckenbauer en libero aux côtés de deux défenseurs centraux habiles dans le marquage individuel. Une option qui présente l’avantage d’être solide défensivement grâce à l’occupation de la largeur du terrain mais de manquer de profondeur dès lors qu’il s’agira d’attaquer.
Autre élément important : le marquage de l’attaquant. À quel point dois-je aller loin pour le suivre quand il décroche ? « En tant que défenseur, vous devez avoir la perspicacité de juger si c’est un élément important dans la construction du jeu adverse ou s’il vous leurre pour créer un espace pour un autre joueur. » Michels analyse les deux choix possibles avant d’énoncer les réflexes individuels et collectifs à respecter et d’évoquer le piège du hors-jeu, une grande arme défensive selon lui, même s’il admet ne pas l’aimer beaucoup. Enfin, concernant la couverture et le nombre de joueurs qui doivent rester derrière le ballon en phase de construction, Michels recommande le ‘4-block’ et le ‘6-block’. « Six joueurs sont autorisés à participer à la construction du jeu et les quatre autres doivent rester derrière le ballon. » Mais il ne s’agit pas forcément des quatre défenseurs précise Michels puisque son football total se base sur les mouvements constants des joueurs au sein des trois lignes. Ainsi, plus que de couvrir les attaquants adverses, l’idée est de couvrir les espaces libres. Les joueurs chargés de les couvrir doivent non seulement être constamment en mouvement en fonction des déplacements de leurs coéquipiers mais ils doivent se tenir prêts – à tout moment – à prendre part à la construction du jeu. S’ils sont devant le ballon, leur position sera compensée par la couverture d’un coéquipier.
De la même manière, Michels passe en revue les différentes stratégies en phase de construction et en phase d’attaque : la construction élaborée et sa contrepartie, le kick and rush. Et d’évoquer une troisième voie : l’opportunisme. Comment le définit-il ? « Lorsque vous avez l’occasion de centrer dans la surface, vous devriez tirer profit de cette situation et centrer. » Michels prend ainsi comme contre-exemple la Colombie de 1994 qui a « exagéré dans les combinaisons courtes » durant le Mondial américain. Plus récemment, Marcelo Bielsa a également abordé ce sujet en conférence de presse. Au contraire de Michels, l’entraîneur argentin évoquait les choix judicieux de Manchester City de ne pas centrer dès que l’occasion se présentait dans le but de se créer la meilleure opportunité possible. Mais Michels insiste : « J’avais des discussions avec mes ailiers durant ma période à l’Ajax. Un joueur se demandait s’il était bon de centrer même s’il n’y avait pas de coéquipiers devant le but. Je lui faisais comprendre que ce n’était pas son problème. Quand personne n’est face au but après un bon centre, j’en fais part aux attaquants. Car quand le centre n’est pas du tout délivré, lors de la prochaine opportunité, ils n’entament pas leur course à temps.”
“Plus la culture du club est grande et reconnaissable, mieux c’est”
Après l’aspect tactique, Rinus Michels consacre un chapitre entier à un élément sous-considéré dans la solidité de la cohésion : l’aspect psychologique et la symbiose managériale. Michels prend l’exemple de la gestion du président Josep Lluís Núñez au FC Barcelone en 1997. Ce dernier avait gardé sa confiance à Louis van Gaal malgré des débuts compliqués marqués par une pression médiatique et celle du comité exécutif avant de remporter la Liga lors des saisons 1997-98 et 1998-99. Un fait qui n’est pas sans rappeler le soutien de Berlusconi à l’égard d’Arrigo Sacchi critiqué de toutes parts au début de son mandat après une défaite (2-0) contre l’AS Roma en décembre 1987. Un soutien capital dans l’avènement d’une des meilleures équipes de l’histoire : « Berlusconi avait compris que j’étais en difficulté. De cette manière, il me donnait de l’énergie et de l’autorité auprès du groupe. Il montrait également sa confiance dans le travail des joueurs. » Après cette marque de confiance, le Milan restera invaincu jusqu’à la fin de saison pour glaner le titre de champion.
Autre moyen, plus audacieux cette fois, Michels transformait des incidents négatifs en vecteurs de cohésion de groupe. « Durant la Coupe du monde 1974, un leader de l’équipe s’est fait surprendre à la sortie d’un bar transgressant ainsi une règle de l’équipe. J’ai utilisé cet incident comme un liant pour le groupe, explique-t-il. J’ai réuni tous les joueurs et demandé au joueur fautif en question de rester dans le couloir en attendant qu’une décision soit prise. J’ai dit aux joueurs que je me refusais d’agir comme un officier de police et que je n’avais aucun problème à ce qu’il quitte l’équipe. Je leur ai dit que je voulais les consulter parce qu’écarter ce joueur pouvait avoir de grandes conséquences pour le groupe en raison de son rôle-clé. Le groupe a décidé de lui laisser une chance. Cette décision a immédiatement mis une pression positive dans l’idée de respecter les règles qu’on s’était fixés. C’était l’objectif de cette réunion. J’ai été chanceux que cela concerne un joueur important parce que cette approche a eu l’effet désiré. L’incident n’a pas été révélé aux médias, un signe positif sur la solidarité qui émanait du groupe. » À travers d’autres exemples et d’autres expériences, Michels insiste sur la difficulté d’entretenir cette cohésion d’équipe au quotidien. Que ce soit en raison de la personnalité du coach, du respect ou non de la hiérarchie au sein de l’équipe, etc.
Il en est de même pour la nécessité de se reposer sur la culture du club, un paramètre fondamental pour passer outre toute difficulté. « La culture de l’Ajax est reconnaissable à travers son style de jeu, qui est le résultat du processus de teambuilding. Tous les joueurs, du U10 à l’attaquant de l’équipe première savent à quoi s’attendre quand il joue pour l’Ajax. Cela crée un fort liant pour le club. Plus la culture du club est grande et reconnaissable, mieux c’est. Une question basique à poser pour évaluer le climat d’une bonne construction d’équipe est : Quelle est la culture dans notre club ? Quels principes et accords sont importants pour nous ? Un tel climat crée un environnement digne de confiance et un respect mutuel pour tous les gens concernés. Néanmoins, il ne garantit pas que tout ira pour le mieux. C’est juste l’un des aspects du teambuilding. Quand les temps sont durs – et tous les clubs passent par ces périodes, cela crée une meilleure garantie pour survivre ‘en tant que famille.’ Michels n’hésite pas à énumérer d’autres facteurs pour appuyer son argumentaire : l’importance de la pré-saison, les mises au vert et le succès, évidemment.
Au-delà de ces apports historiques, tactiques et empiriques, la richesse de Teambuilding réside également dans son apport pédagogique. Car dans la deuxième partie de son livre, le discours de Michels a une visée éducative en passant de la théorie à la pratique. Un contenu qui relève plus du manuel pour éducateur que de l’essai footballistique (attention néanmoins, en l’absence de reproductions de séances, nous sommes loin des revues spécialisées telles que Soccer Tutor). Ainsi, après avoir évoqué les bienfaits du football de rue pour l’éducation du jeune footballeur, Michels propose au lecteur son guide de teambuilding de 5 à 21 ans. Durant vingt pages, catégorie par catégorie, il livre ses conseils vis-à-vis de la marche à suivre pour l’entraînement. Exemples ? Avoir recours au 4vs4 sur petit terrain pour les enfants de 5 ans, sans poste, sans gardien, seulement avec des petits buts de 3m ; apprendre et réciter les fondamentaux (passe, contrôle) de 6 à 8 ans autour de 7vs7 pour intégrer ces éléments ; travailler la méthode Coerver à partir de 8 ans ; commencer les oppositions à 11vs11 à partir de 10 ans, âge à partir duquel (et il nous dit pourquoi) l’enfant passe une étape importante dans son éducation footballistique ; faire prendre conscience au jeune de 12 ans qu’il est toujours concerné par le jeu qu’il s’agisse de défendre, de construire ou de finir les actions ; qu’à partir de 14 ans, le joueur doit développer sa mentalité de gagnant et doit être capable de se sacrifier pour son coéquipier et qu’à 16 ans, il doit non seulement démontrer ses qualités mais se prouver à lui-même qu’il mérite de jouer à l’entraînement et en match, etc. Autant d’observations diverses et variées à transposer sur le terrain d’entraînement. Car il est le premier à le mentionner : « le processus de teambuilding est un chemin sans fin. »
Publié lors d’une période transitoire du football moderne (2001), Teambuilding, the road to success garde toute sa pertinence dans une ère où le pressing et le jeu de transition font loi. La justesse de l’ouvrage tient au fait que presque vingt ans après sa parution, les mêmes problématiques sur la façon de concevoir le jeu demeurent preuve de l’intemporalité des propos de Michels. Quelque soit la période historique et malgré les réformes progressistes qui affectent l’évolution du jeu (la VAR en premier lieu), l’histoire du football continue de s’écrire autour d’un rectangle vert et de vingt-deux joueurs sur le pré. Des éléments suffisants pour disserter sur la chose ‘football.’ Et dans ce domaine, par le prisme tactique, psychologique et fort de ses expériences personnelles qui ont façonné sa vision du football, Rinus Michels, dans un ouvrage très détaillé et pointilleux, s’adresse à un lecteur passionné, averti, avide d’histoires et de connaissances sur le développement du footballeur et les secrets du teambuilding en football. Un témoignage précieux sur le football d’hier et de demain et sur la manière de l’aborder.
Comment se fait il que ce livre là qui doit être d’une grande richesse ne soit pas traduit en français et vendu pour les amoureux de ce football.