Cette année encore, les championnats d’Europe de l’Est n’auront guère laissés place à la surprise. Videoton et le Dinamo Zagreb sont d’ors et déjà champions de Hongrie et de Croatie. Ce n’est maintenant qu’une question de semaines pour Maribor, le Partizan ou Ludogorets qui égayeront à nouveau les tours qualificatifs de Ligue des champions. Cependant en Roumanie, si tout le monde s’attendait à un sacre du Steaua, une énorme surprise pourrait bien se produire puisque Targu Mures est en tête à quatre matchs de la fin du championnat. Comment en est-on arrivé là ? Réponse avec un supporter de Targu Mures.
Revenons douze mois en arrière. À l’époque, le Steaua gagne son deuxième titre consécutif après une saison brillamment gérée et une seule défaite à la clé. À l’échelon inférieur, Targu Mures ne finit que cinquième de la Seria II de Liga II mais réussit à gagner sa place en Liga I à la suite de merveilleux play-offs. Cependant Targu Mures n’est pas vraiment le promu le plus attendu au début de la saison : le Rapid Bucarest et surtout le CSU Craiova semblent mieux armés pour briller dans l’élite du football roumain.
Une équipe montée à la va-vite pour le promu
L’ambition n’était d’ailleurs pas débordante en début de saison chez les supporters de Targu Mures comme nous l’explique Ionut, fidèle supporter du club : « Quand nous sommes montés, nous voulions juste parvenir à nous maintenir. Une semaine avant le premier match, nous n’avions pas d’équipe. Il n’y avait que dix joueurs à l’entraînement. » Les dirigeants peuvent malgré tout compter sur un soutien de poids pour l’aider à composer une équipe qui tient la route : « Le club est financé de manière très importante par la municipalité de Targu Mures. En fait, ils ont même augmenté un peu les impôts pour assurer un budget plus conséquent pour l’équipe de football. »
Du coup, fin juillet 2014, le club sort la planche à billets pour signer des noms du football roumain avec un profil commun : des gars plutôt sur la fin avec une énorme expérience de la Liga I. Là encore Ionut nous explique la démarche de l’ASA : « Nous étions déprimés avec aussi peu de joueurs à quelques jours du début de la saison. Le club a donc acheté et s’est fait prêter uniquement des joueurs avec une énorme expérience du football roumain. N’Doye avait signé 6 mois avant cela, Muresan est arrivé gratuitement parce qu’il est de la région. Zicu a été laissé libre par le Petrolul et l’ASA a été le seul club à lui offrir un contrat. Comme je le disais, la plupart ont été signés dans l’urgence, des gars plutôt vieux et expérimentés. On s’est aussi fait prêter trois joueurs clés du CFR Cluj (Hora, Voiculet et Sepsi) et il est aujourd’hui clair que le risque a été gagnant. »
Des noms et des années donc. Ousmane N’Doye ? 37 ans dont les sept derniers passés en Roumanie. Gabriel Muresan ? 33 ans et taulier des années de gloire du CFR Cluj à la fin des années 2000. Ianis Zicu ? 31 ans, ancienne idole du Dinamo Bucarest, de Timisoara et du CSKA Sofia. Et on pourrait continuer ainsi pour une bonne partie des titulaires actuels de l’équipe. Cependant, cette équipe composée en quelques semaines n’a pas fonctionné par magie. Après le match inaugural de cette saison, fini sur un 0-0 à domicile contre U Cluj, le journaliste roumain Catalin Barzaghideanu écrivait : « L’argent ne fait pas le bonheur. Le match à Targu Mures a confirmé ce célèbre dicton. Sur un terrain compliqué et en manque clair de « chimie » dans le jeu, la troupe de Falub a déçu. Ils ont parfois laissé entrevoir qu’ils pouvaient faire plus. Le matériel est là mais les relations de jeu sont inexistantes. »
L’arrivée de Ciobotariu huile la mécanique
Après ce nul initial, Targu Mures arrive malgré tout à faire des résultats en s’appuyant sur une défense de fer. « Après quelques bons résultats, tout le monde a commencé à penser qu’une qualification européenne serait possible », ajoute Ionut. Et pour cause, à mi-saison, l’ASA Targu Mures pointe à la quatrième place du classement à 13 points du Steaua Bucarest.
Les bons résultats n’empêchent pas le club de changer deux fois d’entraîneur (une coutume roumaine : quasiment une quarantaine de changements sur les bancs cette saison en Liga I) et Liviu Ciobotariu prend les rênes de l’ASA à la fin de l’hiver. Si Targu Mures était une équipe solide avant la trêve, ayant notamment battu le Steaua à domicile, Ciobotariu en fait une machine. Avec son 4-2-3-1 immuable, le stade de Targu Mures reste une forteresse imprenable et les voyages se font sereinement.
« Personne n’avait prédit notre incroyable suite de résultats en 2015 avec onze victoires et deux nuls. » Depuis le 23 novembre, l’ASA Targu Mures n’a ainsi plus perdu. Pas toujours avec brio cependant, il aura ainsi fallu un carton rouge et deux exploits de Muresan pour venir à bout du Dinamo ; la victoire 1-0 sur le terrain du Steaua était un petit hold-up. Malgré tout, l’ASA utilise toujours les mêmes recettes : une solidité à toute épreuve (8 buts encaissés en 12 matchs en 2015), un stade imprenable (13 victoires et 2 nuls, 5 buts encaissés) et un onze qui tourne assez peu.
La défense composée de Feussi, Constantin, Bejan et Sepsi ne bouge jamais. Au milieu, le duo Muresan-N’Doye marche sur la Liga I du haut de ses 70 ans ; N’Doye ayant déjà marqué 12 buts cette saison… Mais l’animation offensive n’est pas en reste avec les anciens Hora et Zicu et surtout le néo-international Bumba, sorte de Valbuena local.
Le match Steaua-Targu Mures de la semaine dernière ressemblait grandement à une finale. Et peu de gens mettaient une pièce sur Targu Mures qui a su attendre, bien défendre, profiter d’une occasion pour l’emporter et prendre deux points d’avance au classement. Une avance qui place toute une ville dans l’euphorie : « Les gens ici deviennent fous, ce serait la plus grande performance de notre histoire. Nous sommes confiants, nous prendrons dix points lors de nos quatre derniers matchs et serons champions. Nous avons battu le champion en titre deux fois cette saison, il y a peu d’équipes qui peuvent nous arrêter. »
Une mauvaise nouvelle pour le football roumain ?
La saison n’est pas terminée et le titre n’est pas encore acquis pour les anciens de Targu Mures. Il reste d’ailleurs deux matchs compliqués contre des « ténors » du football roumain. Du moins présumés ténors, en l’occurrence le Petrolul Ploiesti et l’Astra Giurgiu.
Des ténors qui ont tous déçus cette saison en Roumanie. Car la réussite de cette équipe de Targu Mures, composée en un été, met aussi en lumière les errances des autres clubs de Liga I. Le Steaua a pris 15 points de moins que l’ASA sur la phase retour. L’entraîneur du Steaua, Constantin Galca, a certes des circonstances atténuantes : il a perdu ses trois meilleurs joueurs cet hiver avec les ventes de Szukala, Sanmartean et Keseru mais cela aurait dû suffire. Quelquechose s’est cassé au Steaua cette saison, avec la perte d’un logo, d’un public, d’un esprit et peut-être d’un président ; Gigi Becali ayant expliqué au soir de la défaite contre Targu Mures qu’un an sans trophée en football n’avait aucune importance pour lui après avoir passé deux ans en prison dont un sans voir ses enfants.
Le Dinamo Bucarest possède sans doute une des plus belles lignes offensives du pays mais nul entraîneur ne parvient à les faire jouer ensemble, le Petrolul est exsangue financièrement et se délite. Que dire de l’Astra Giurgiu qui a laissé filer l’entraîneur de l’exploit contre l’OL (Daniel Isaila, licencié) et qui regagne peu à peu l’anonymat ?
Dans quelques semaines, l’ASA Targu Mures sera peut-être champion. Cela serait une belle histoire, celle d’un groupe et d’un entraîneur qui se sont trouvés. Mais peut-être aussi une histoire sans lendemain, d’autant plus que la Coupe d’Europe devra se jouer loin de Targu Mures, faute de stade aux normes UEFA. Ionut est lui-même sceptique : « Je n’ai aucune idée de la composition de l’équipe l’an prochain. Tous les joueurs ont signé des contrats d’un an et d’après ce que je sais, tous n’obtiendront pas une prolongation de contrat. » Les Muresan, N’Doye, Zicu seront-ils encore là ? Auront-ils des jambes pour une deuxième saison avec l’Europe ? La municipalité aura-t-elle encore augmenté un peu les impôts ?
Tristan Trasca