Après notre rencontre avec un membre de la Geral du Grêmio de Porto Alegre, La Grinta se devait de représenter l’autre équipe incontournable de la ville, le Sport Club Internacional. Représenté par le Saci Pererê, ce personnage métis unijambiste issu de la littérature et ancré dans le folklore brésilien, l’Inter de Porto Alegre s’est positionné très tôt dans la lutte antiraciste face à un club du Grêmio à l’époque encore réservé au Blanc. D’où son image de club du peuple, ouvert à tous. Nous avons échangé avec Luis Otávio, dit Tonico, le directeur adjoint de l’association de supporter Camisa 12, « la plus grande du sud du Brésil ». Il nous transmet avec beaucoup d’humilité les valeurs essentielles de Camisa 12 : la passion, la tolérance et la solidarité. Une belle mentalité.
Bonjour. Peux-tu nous présenter l’association de supporters (Torcidas Organizadas, TO) dont tu fais partie, Camisa 12 ?
Tonico : Je vous remercie de nous permettre d’expliquer notre état d’esprit et l’histoire de la Torcida Organizada Camisa 12. Camisa 12 a été créée en 1969, c’est la première du sud du Brésil. Elle s’inscrit dans la continuité des torcidas de l’époque qui suivaient l’esprit de Vicente RAO, ancien joueur du Sport Club International. Après avoir pris sa retraite sur le terrain, Vicente RAO a continué à représenter le club dans les tribunes, en inventant un mode de supporter festif inspiré du carnaval.
Camisa 12 est réputée pour tenir un rôle dans les résultats de son club. Elle n’a jamais cessé de supporter son équipe même dans les moments difficiles…
Tonico : C’est vrai que notre but, c’est de toujours supporter notre club, où qu’il soit. Notre devise c’est : « Hier, aujourd’hui et toujours ». Nous pensons que les dirigeants, les joueurs et même les supporters sont de passage, alors que l’histoire et la tradition du club sont éternelles. Nous avons toujours été indépendants de la direction à la tête du club, il n’y a que comme cela que nous pouvons suivre cet état d’esprit, que ce soit dans les moments glorieux ou dans les moments difficiles.
L’association est composée de plusieurs « commandements » qui ont une imagerie et des symboles différents, par exemple, le jiu-jitsu, le train, le rappeur, la bière, le squelette… Comment est-ce que cela fonctionne ?
Tonico : Camisa 12 a des ramifications dans tout le Brésil. Chaque section, qui est appelée « commandement », représente la région des membres qui la composent. Il y en a beaucoup dans la ville de Porto Alegre, dans l’État du Rio Grande do Sul et aussi dans les autres États du Brésil. Aujourd’hui, on a plus de 20 commandements actifs.
Chaque commandement a son symbole qui s’inscrit dans l’idéologie de notre TO, toujours en accord avec nos caractéristiques. Un commandement se forme dès qu’un membre souhaite représenter l’association Camisa 12 et le Sport Club Internacional dans sa région. Il prend contact avec la direction pour régulariser le commandement et commencer le boulot… pour pouvoir fabriquer des drapeaux, des banderoles ou des vêtements du commandement il faut suivre certaines règles.
Au Brésil, les Torcidas Organizadas ont un système d’alliance bien particulier. Vous avez aussi des “amitiés” qui vous relient. En quoi cela consiste ?
Tonico : Nous faisons partie de l’alliance appelée « Union poings croisés » (UPC) qui réunit la Torcida Jovem do Flamengo (TJF, du club de Rio de Janeiro, ndlr), la Torcida Tricolor Independente (TTI, São Paulo Futebol Clube, ndlr), Torcida Jovem do Sport (TJS, Sport Club do Recife, Recife, ndlr) et la Torcida Máfia Azul (TMA, Cruzeiro Esporte Clube, Belo Horizonte, ndlr). On a aussi une certaine amitié avec d’autres TO, qui sont bien souvent des groupes de supporters venant des mêmes clubs que les autres de notre alliance, ou bien des associations qui nous ont simplement bien reçu dans leur ville. Mais les termes « alliance » et « union » sont bien plus forts pour un Brésilien que « amitié », tout au moins dans l’univers des associations de supporters.
L’Inter est connu comme « le club du peuple ». Camisa 12 est né durant la dictature… Comment expliquer cette image de club du peuple et est-ce important pour vous ?
Tonico : C’est très important. Notre club a été fondé à cause de l’exclusion des identités raciales et économiques qui n’étaient pas acceptées dans d’autre club de la ville à l’époque. Le club du peuple est né ainsi : il acceptait en son sein, que ce soit sur le terrain ou dans les tribunes, tout type de personne, quelque soit ses origines ethniques et sociales. Pareil pour Camisa 12 : on a toujours été contre la dictature et la répression, lié au peuple, blanc, noir, indien, pauvre, riche, étranger, porteur de besoins spécifiques…
Camisa 12 est la seule TO dont la présidence est assurée par une femme, Juliana Coutinho. Est-ce une preuve de l’ouverture d’esprit de Camisa 12, ou peut-être plus généralement des Colorados (nom donné aux supporters de l’Inter) ?
Tonico : On est et on sera toujours une entité du peuple. Cette année notre présidente va terminer son mandat de 4 ans (2 ans initiaux et 2 ans de réélection), elle a été élue avec 80% des voix de l’association. Elle le doit au travail et à l’histoire qu’elle a construit au sein de l’association. Ici, nous regardons ce que la personne fait pour l’entité et pour le club, pour ce qu’elle est, pour l’idéologie qu’elle véhicule, sans se laisser guider par les stéréotypes et les affinités.
Camisa 12 mène des actions sociales pour les enfants de familles pauvres, les SDF… Cette solidarité de la part des TO est chose commune au Brésil.
Tonico : Oui et malheureusement, les médias ne mentionnent pas ces campagnes, parce que ça ne fait pas vendre. Une TO c’est un groupe de personnes, issues de diverses classes de la société, qui se réunissent en faveur d’une même chose. Comme nous sommes nombreux, ce serait vraiment trop dommage de ne pas unir nos forces pour ceux qui en ont le plus besoin.
Déjà, au sein de l’association il y a une vraie solidarité entre ceux qui ont les moyens et ceux qui en ont moins. Aujourd’hui on mène plusieurs actions, distribuer de la soupe, des couvertures et des vêtements chauds aux sans-logis pendant l’hiver (non, au Brésil ce n’est pas l’été toute l’année… l’hiver dans le sud du Brésil est à peu près similaire à l’hiver de Paris, ndlr), distribuer des chocolats et des jouets à Pâques et à Noël aux enfants nécessiteux, du matériel scolaire aux étudiants…
7 juin 2015, hommage à Fernandão au Beira-Rio, le stade de l’Inter
Le Brésil, comme d’autres pays, mène une politique de répression contre les associations de supporters. Camisa 12 souffre-t-elle des mesures prises contre les supporters ?
Tonico : Oui, il existe une forte campagne des médias brésiliens pour diffamer les associations de supporters. Un papier percutant vend mieux qu’un papier mentionnant la générosité et l’aide à son prochain, ou celui qui montre tout le travail effectué pour réaliser une grande fête dans un stade. Donc bien sûr, de là naissent les préjugés. Je vais vous donner un exemple. Notre TO, Camisa 12, a présenté un projet de première mosaïque du sud du Brésil. On a discuté avec le club, on s’est entendu sur le projet… On a créé une commission au sein de l’association dédiée à ce projet, étant donné son ampleur.
Entre l’analyse, les réunions, la préparation et la fabrication, il s’est écoulé un mois. Tout ce travail serait visible pendant seulement 1 minute, avant un match du Sport Club Internacional. Tout s’est déroulé comme on l’avait prévu… les médias brésiliens ont diffusé pleins de photos et de vidéos de l’événement, en évoquant à peine l’origine et les auteurs. Tout ça pour ne pas donner de crédibilité à une association de supporters. Pourtant, si tu prends le moindre des combats ou discordes qui peuvent avoir lieu, tu es sûr que là les journalistes en font des tonnes en soulignant bien le rôle des associations pour dénigrer leur image.
Malheureusement, dans le foot et dans les tribunes il y a des désaccords comme dans n’importe quelle strate de la société. Cela arrive dans les concerts, au carnaval… même au congrès ou à l’assemblée, il y a des fonctionnaires publics qui manquent à leur service ou qui volent dans les coffres publics… ainsi, comment les TO, la meilleure représentation de l’amour du football, cette passion nationale, pourraient-elles échapper à ça ? Il ne faut pas généraliser aux groupes de personnes… Généraliser, c’est toujours de la bêtise.
Tonico tient à adresser un message aux lecteurs de La Grinta : « Nous sommes là si vous en avez besoin. Notre porte est ouverte à l’équipe de La Grinta, à ses lecteurs et à toute personne qui souhaiterait connaitre notre travail. » Sympa, ça.
Merci à Camisa 12 et à Julcemar pour leurs photos.
Propos recueillis par Ophélie F.