Au début du mois de mars, l’IFAB (International Football Association Board) à validé plusieurs changements concernant les lois du jeu du football. Parmi celles-ci, la loi 16, offrant la possibilité de jouer le ballon dans la surface sur les renvois aux six mètres du gardien, pourrait lancer une nouvelle ère du football.
L’ère du jeu segmenté à celle de la souplesse tactique en passant par le football total, du 2-2-6 écossais au 3-2-2-3 (WM) d’Herbert Chapman ou le 4-4-2 de Sacchi, de Helenio Herrera ou Valeri Lobanovski à José Mourinho et Marcelo Bielsa, par des tendances, le football a évolué sans interruption. Mais depuis toujours, les règles du jeu n’ont pas suivi la même dynamique. En ce sens et comme le souligne Jonathan Wilson dans son ouvrage « The Barcelona Legacy », le football actuel étant sculpté autour des idées de Johan Cruyff modernisées par Guardiola et de la quête de triomphe du modèle inverse défendu par José Mourinho, ce football des années 2010 a très peu changé et laissé imaginer l’existence d’un plafond de verre concernant les innovations tactiques majeures. Ainsi, la décennie a été marquée par des avancées dans la quête de gains marginaux. Bidonnantes, parfois, comme lorsque Martin Schmidt imposait à son groupe de Wolfsbourg de se brosser les dents après l’effort en vue d’une récupération optimisée. Plus tangibles quand les clubs recrutaient des spécialistes du sommeil avec l’objectif d’améliorer le repos des joueurs afin de gagner en récupération et en performance, ou quand Liverpool faisait appel à Thomas Gronnemark le recordman du monde de la touche la plus longue, pour conseiller les joueurs sur l’exercice.
À la tête de West Ham entre 2015 et 2017, l’ancien défenseur croate Slaven Bilić estimait que « la prochaine révolution sera la mort du système de jeu. » À la même période, dans une interview à France Football, Lucien Favre jugeait qu’il n’était plus possible d’innover via de nouveaux systèmes de jeu et rajoutait : « Mais dans la polyvalence du système, si on peut appeler ça comme ça, oui ». Au New York Times en 2017, Renzo Ulivieri, responsable de la formation des entraîneurs italiens abondait : « Nous sommes convaincus que le futur du football, ce sera la flexibilité tactique. Le futur, ce sont des équipes qui savent changer de vêtements. » Si à ce jour, avec Pep Guardiola, Mauricio Pochettino, Thomas Tuchel et d’autres techniciens comme adeptes, l’ère de la flexibilité tactique s’installe doucement comme un indispensable, la récente loi 16 du football selon l’IFAB, l’instance qui détermine et fait évoluer les règles du football, pourrait conduire à de nouvelles innovations tactiques majeures.
Émergence d’une variante
Le début de cette nouvelle époque donnera le sourire à tous les entraîneurs qui voulaient absolument mettre en œuvre une sortie de balle depuis le bas du terrain mais se trouvaient inquiétés par la propagation des blocs hauts, bouchant l’ensemble des solutions de passes à leurs gardiens. Louis Van Gaal soulignait d’ailleurs récemment à El País qu’aujourd’hui « les déclencheurs du jeu doivent être les défenseurs centraux et le milieu de terrain le plus défensif, parce qu’il n’y a de l’espace pour construire qu’à l’arrière ». Cette année encore, un grand nombre d’équipes ayant la possession du ballon par choix ou par obligation – imagées par le Betis ou le Barça -ont dû faire face à des adversaires poussés à presser haut avec un marquage individuel sur tout le terrain, renversant les rencontres dans une situation où pour les équipes protagonistes à travers la balle, les solutions n’existaient ni à l’avant, ni à l’arrière.
Si le 11 novembre 2018, la rencontre folle entre le Barça de Valverde et le Betis de Quique Sétien (3-4), figurant parmi les rencontres les plus animées de la saison sur le plan tactique, a été orchestrée autour d’un marquage radical en un contre un des deux équipes et des difficultés de leurs gardiens à trouver une solution de passe, ces limites dans l’organisation du jeu devraient, en 2019 plus que jamais, disparaître.
Dès maintenant, l’évolution conduit les défenseurs centraux qui devaient se positionner hors de la surface et attendre de recevoir la balle pour se profiler, ce qui permettait à l’adversaire de presser durant le temps de passe, à s’insérer à l’intérieur de leur surface, recevoir le ballon avec une vision large sur tout le terrain et disposer de secondes précieuses pour lever la tête et s’associer. Cette mutation du jeu favorise le jeu de position car il permet de trouver un « homme libre » dès les premiers mètres du terrain.
De nouvelles possibilités offensives
Depuis quelques semaines, les sélections tentent différentes approches sur les sorties de balles depuis le gardien et la plupart ont automatisé une façon de faire : les deux centraux dans la surface, un milieu défensif à l’avant autour de l’arc de cercle et des latéraux très haut. Aspirer la ligne d’attaque adverse près de la surface, profiter de la supériorité numérique puis tirer profit du déséquilibre.
Début juin, le Mexique de Tata Martino était l’une des premières équipes à s’adapter à ce nouveau scénario. Et l’approche des Mexicains a consisté à vouloir à tout prix être en supériorité numérique aux abords de la surface afin d’attirer la pression rivale et libérer des zones plus haut sur le terrain. Cela s’est manifesté de deux manières. D’abord par le jeu court, l’objectif des Mexicains a été d’orienter le jeu vers l’intérieur, d’y attirer un grand nombre de Vénézuéliens et d’offrir de l’espace et du temps aux joueurs de côtés. Puis par le jeu long, en aspirant la ligne offensive adverse grâce au positionnement des défenseurs centraux et profitant de l’absence de hors-jeu pour étirer la ligne défensive. Résultat : la recherche de l’« homme libre » au sein du bloc du Vénézuela a été facilitée.
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Quelques jours plus tard c’est un Qatar enthousiaste qui mettait en difficulté le Paraguay à de nombreuses reprises sur sa sortie de balle. Courageuse et louable, l’utilisation haute et le long de la ligne des latéraux créée de grands espaces aux défenseurs centraux, leurs permettant d’avancer balle au pied et de mettre en place le principe de la « conduccion » cher à Pep Guardiola. Au moment du six mètres, le gardien Qatari, deux centraux et un milieu de terrain entouraient le cuir. De l’autre côté, seuls les deux attaquants exerçaient une pression autour de la surface. Ainsi, la supériorité numérique des joueurs de Félix Sánchez Bas et les espaces disponibles s’étaient montrés décisifs pour traverser le bloc paraguayen.
Manchester City, qui aligne Ederson dans ses buts, le gardien possédant le meilleur jeu long d’Europe aux côtés de Ter Stegen, l’utilise souvent pour construire son jeu riche. Avec cette variante du six mètres, il pourrait faire encore plus de différences par la passe et devenir le visage d’une nouvelle stratégie pour l’équipe de Pep Guardiola. Déjà, sur des situations quasiment similaires contre Tottenham en 2017 ou Huddersfield en 2018, l’ancien gardien de Benfica avait servi une fantastique passe décisive à Sergio Agüero. Quand la sortie de but, l’événement géniteur du jeu, le mène lui-même directement à la mort.
Demande d’adaptation
Et du côté de l’équipe sans ballon ? Car comme une assistance respiratoire au jeu de position, la nouvelle règle relance le débat de comment s’adapter et défendre dans une telle situation. Lors des dernières rencontres internationales, une variété de méthodes à été utilisée. D’un côté, harceler l’adversaire très haut près de sa surface pour lui bloquer les axes de progression dès la sortie de but, au risque de voir son bloc désossé en plusieurs parties indépendantes, entres lesquelles l’adversaire peut être dangereux au sein des intervalles. D’autre part, installer un bloc médian, permettant de ne pas être débordé. Plus que la manière dont les équipes vont effectuer la sortie de but, le gros révélateur du changement de paradigme est le comportement des équipes au pressing. En renonçant à la pression tout-terrain sur les défenseurs centraux du Paraguay, le Qatar n’a pas été moins dominateur, ils ont bloqué toutes les solutions de passes, l’aspiration de leur bloc n’ayant pas eu lieu, l’espace entre les lignes était plus réduit et les joueurs Paraguayens ont été forcés à jouer long.
Ambitieuse, car profondément animée par l’espérance de déséquilibre, cette évolution de la sortie de balle est surtout risquée. En jouant le ballon entre les cinq mètres cinquante et les seize mètre cinquante de sa surface, elle rend dangereuse toute récupération adverse. Et de surcroît, pour les équipes qui ne sont pas capables de générer des différences avec la balle, équipes n’étant pas familiarisées avec le jeu de position pour appliquer cette idée de sortie de balle. C’est à condition d’avoir créé cet écosystème précédemment et en alignant Héctor Moreno, Diego Reyes et Néstor Araujo que l’équipe de Tata Martino a réussi à percer le bloc du Vénézuela et à aboutir les actions dans des positions avantageuses du terrain, tout en ayant testé cette nouvelle formule une seule fois à l’entrainement. Si les idées du jeu de position ont fait prendre aux défenseurs centraux et aux gardiens du monde entier un virage à 90 degrés, lequel les joueurs se sont habitués depuis quelques années, la révolution de la sortie de but est le point d’inflexion vers un niveau de capacité physique et cognitive supérieur.
Je trouve que cette nouvelle loi favorise davantage le jeu de passe. En effet, cela permet de ressortir la balle de derrière par les défenseurs au lieu de dégager le ballon loin devant. De plus, cela peut permettre à des équipes de contre-attaquer avec un gros pressing. De ce fait, je trouve que cette nouvelle loi est bénéfique pour le foot.