Vous avez peut-être déjà entendu sa voix par hasard, en cherchant un lien d’Ajaccio époque Guillermo Ochoa ou du PSG depuis l’ère QSI. Trahi par son accent français, Sébastien Burgess commente depuis 3 ans les matchs de Ligue 1 sur la chaîne mexicaine Televisas Deportes Network (TDN). L’homme idéal pour nous livrer son regard sur l’arrivée d’André-Pierre Gignac au Mexique.
Comment t’es-tu retrouvé au Mexique à commenter sur Televisas Deportes Network (TDN) ?
Sébastien Burgess : Un coup de bol, à vrai dire. J’ai eu la chance de rencontrer le directeur de TDN à mon arrivée à Mexico. Je travaillais à l’époque pour une agence d’aménagement territorial, donc rien à voir avec le monde du foot. Il venait tout juste de négocier les droits de diffusion de la L1 au Mexique, et les commentateurs avaient un peu galéré sur les premiers matchs. Il faut se rappeler qu’à l’époque en 2012, la L1 était encore très franco-française. Les stars du foot international ne jouaient pas encore en France. L’intérêt pour la L1 à l’international, particulièrement en Amérique latine, était relativement limité. Mes futurs collègues avaient du mal à trouver du contenu sur les clubs et les joueurs, vu que l’information disponible sur le Web n’existait souvent qu’en français. L’idée était donc pour moi de garnir un peu les transmissions à l’aide d’anecdotes sur les joueurs, d’explications sur l’histoire des clubs, de suivre la presse sportive française, les forums de supporters, etc… pour rajouter en fin de compte une touche d’authenticité aux matchs diffusés.
Quelles ont été les conséquences de la perte de Guillermo Ochoa sur la diffusion et l’intérêt de la Ligue 1 au Mexique ?
Je n’ai pas demandé les chiffres en termes de baisse d’audience mais j’ai effectivement remarqué un engouement moins prononcé cette saison, alors qu’à mon sens, elle a été la plus riche en termes d’intrigue et de suspense depuis mes débuts à la télé au Mexique. Tout ça reste pourtant très spéculatif, faute de chiffres définitifs. Je l’ai surtout ressenti à mon modeste niveau sur les réseaux sociaux, particulièrement sur Twitter, où nos téléspectateurs avaient l’habitude d’interagir avec nous pendant les diffusions de l’ACA. J’ai reçu moins de tweets pendant les matchs et ce critère a toujours été un indicateur pour moi… peut-être à tort. Il ne faut pas oublier que mis à part le départ de Memo, la perte de Falcao et de James Rodriguez à l’ASM ont aussi très certainement contribué à cette baisse d’intérêt. Pour autant, l’arrivée de Bielsa et l’excellent début de saison de l’OM, tout comme les bonnes perfs du PSG et de Monaco en Ligue des champions, ont pu légitimer le niveau de la L1 au yeux du public mexicain.
Qu’est-ce que tu penses de l’arrivée de Gignac aux Tigres ?
Sportivement, il faut être lucide sur la « question Gignac ». Je suis intimement convaincu que Gignac pouvait faire une croix sur une éventuelle participation à l’Euro, et ce avant même son arrivée aux Tigres. Ensuite, il fallait regarder les offres, qui se résument si mes informations sont bonnes : au Dynamo Moscou, à Galatasaray, à l’OL et finalement à West Ham, voire Swansea. Je peux à la limite comprendre l’attrait de partir en Angleterre, mais les équipes évoquées restent relativement moyennes par rapport au niveau global outre-Manche. Il lui restait donc les Tigres : le pari était complètement fou, un truc inédit pour un joueur de ce calibre et il l’a fait ! Soyons francs, le niveau de la Liga MX n’est pas extraordinaire, mais les Tigres jouent la Libertadores, le projet sportif est très ambitieux, Gignac sera le footballeur le mieux payé de l’histoire du championnat et les Tigres ont le public le plus chaud du pays, la ferveur dans le Stade Universitario est extraordinaire et je pense qu’un tel cadre pourrait le pousser à se sublimer pour son nouveau club et ses supporters.
Sur le plan humain, je ne peux évidemment que valider la décision de Gignac. Ayant pris la même décision de m’installer au Mexique il y a maintenant quatre ans, je peux témoigner au quotidien de la chaleur et de la gentillesse des Mexicains, de la richesse culturelle du pays, de la diversité de ses paysages, en bref de ces éléments intangibles hors des terrains de foot qui feront de son passage en terres aztèques une expérience tout simplement inoubliable.
À son arrivée à l’aéroport on a pu observer toute la folie qu’il génère déjà… de France, ça semble un peu exagéré. Comment est-il perçu là-bas, les gens le connaissaient ?
Les gens le connaissaient relativement peu. Il était bien connu par les plus mordus du foot européen, les supporters de Memo qui ont religieusement suivi la L1 pendant trois ans. Pour le footeux moyen mexicain, plus à même de suivre la Liga espagnole, le nom de Gignac devait sûrement leur évoquer un bon buteur en France, et encore. Je crois que c’est le montant de son salaire qui a attisé toutes les passions. Les Mexicains ont pu soudainement mesurer l’ampleur du contrat et Gignac est devenu une star du jour au lendemain. On ne parlait que de lui sur les réseaux sociaux, il est apparu en première page de tous les quotidiens sportifs, le public s’est très vite familiarisé avec un personnage sorti un peu de nulle part pour eux, il faut l’avouer. Peu d’Européens jouent au Mexique, il ne faut pas l’oublier. Donc naturellement, son arrivée et son CV footballistique plus qu’honorable ont suscité l’intérêt du pays.
Quelles vont être les attentes des supporters de Tigres ? Vont-t-ils le laisser s’adapter tranquillement ?
Avec un tel salaire, les attentes sont évidemment immenses. Le rythme de la saison mexicaine est absolument effréné. Elle est divisée en deux, mais pour faire simple, les joueurs jouent 10 mois de l’année entre le championnat, la Coupe mexicaine, voire les participations en Ligue des champions CONCACAF et Libertadores. Le stade Universitario des Tigres va être très impatient de voir la nouvelle star réussir, la personnalité sanguine de l’entraîneur El Tuca Ferreti créeront à mon avis un cadre où un rendement important et immédiat de la part de Gignac sera impératif. Le souhait de la direction est de gagner la Libertadores qui reprend mi-juillet, et Gignac n’est pas venu pour être spectateur.
On a pu lire beaucoup de choses, qu’il « s’enterrait » à seulement 28 ans. Le championnat mexicain est l’un des plus puissants financièrement d’Amérique latine, mais qu’est-ce que ça vaut en termes de niveau ?
Le niveau est hétérogène avec quelques équipes capables de très belles performances (America, Chivas, Leon), le tout dans un cadre souvent assez physique et parfois un peu limité techniquement. Je ne suis pas énormément le football mexicain mis à part la « liguilla », le tournoi de fin de saison qui décide du vainqueur final et qui est toujours très riche en émotions.
Propos recueillis par Adrien Verrecchia