Si vous aimez le football, vous aimez forcément le Napoli de Maurizio Sarri. Un football où l’objectif premier est d’être efficace sans renier un idéal de jeu exigeant et spectaculaire. Mais, dans ce championnat italien en pleine transformation, qui, contrairement aux idées reçues, propose chaque week-end des matchs jouissifs, Sarri n’est pas seul à tirer son pays vers le haut à travers son jeu. Dans l’ombre des grands médias, son plus fidèle disciple, Marco Giampaolo, réalise un travail remarquable avec la Sampdoria de Gênes. Le championnat est plus qu’entamé et les joueurs de la Samp pointent à la 6eme place, aux portes de l’Europe. À leur tableau de chasse figurent l’ AC Milan, la Juventus ou encore l’ AS Roma ! Mais au-delà de ces résultats, Giampaolo bonifie journée après journée la Serie A en proposant un football unique très agréable à voir. Pour La Grinta, c’est un grand entraîneur qui est en train de naître ! Explications.
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Le Parcours de Marco Giampaolo
Marco Giampaolo, c’est d’abord une carrière de joueur professionnel sans éclat. Joueur pendant plus de 10 ans dans les divisions inférieures italiennes, il montre surtout à tous les sceptiques que l’on peut devenir un entraîneur de haut niveau sans avoir côtoyé l’excellence en tant que joueur. Ses débuts en tant qu’entraîneur sont à l’image de son parcours : sobre. Il fait ses preuves dans de nombreux clubs italiens comme Trévise, Ascoli, Cagliari ou Sienne.
Toutefois, c’est en arrivant à Empoli à la place de Maurizio Sarri en partance pour Naples, qu’il passe un cap décisif. Admirateur de ce dernier qui le recommande pour prendre sa succession, Marco Giampaolo réussit à assurer sa continuité, en alliant efficacité et spectacle sur le terrain. Empoli représente une vitrine idéale pour accéder à un club encore plus huppé : la Sampdoria.
Dans ce parcours très échelonné, Giampaolo reste fidèle à lui-même et à ses méthodes : c’est un entraîneur relativement réservé, discret dans les médias, qui peut faire face à certaines difficultés face aux joueurs à la grande personnalité. Ses équipes se ressemblent toutes : volonté d’être protagoniste, de jouer en respectant le spectateur et en proposant un football spectaculaire et efficace. Il ne cesse de répéter à ses joueurs qu’ils doivent jouer avec « légèreté » en pensant toujours à prendre du plaisir sur le terrain.
En cette saison 2017-2018, les joueurs adhèrent parfaitement à son idéal de jeu et cela se ressent : la Sampdoria ne gagne pas toujours, mais reste constamment belle à voir jouer !
Composition et animation
La phase offensive de la Sampdoria : éloge du jeu en une touche de balle
Giampaolo valorise la prise de risque, et souhaite créer des décalages au sein de la défense adverse le plus vite possible. Dans ce cadre, le gardien doit être perçu comme un véritable joueur de champ sur lequel peuvent s’appuyer les autres joueurs pour éliminer le pressing adverse.
Etant donné que beaucoup d’équipes se positionnent en bloc médian, sans forcément presser très haut la Sampdoria, ces derniers doivent redoubler d’ingéniosité s’ils veulent réussir un décalage chez l’adversaire sans sauter de lignes. Le rôle des défenseurs centraux et des milieux tels que Torreira est fondamental à cet égard.
Cette première séquence d’attaque placée de la Sampdoria met en lumière une zone très importante pour Marco Giampaolo : l’axe ! En effet, le coach de Gênes, joue en 4-4-2 losange. C’est un système relativement peu utilisé en Europe et dont l’animation peut vite s’avérer piégeuse. Au sein de celui-ci, l’entraîneur demande à ses milieux non pas d’occuper les côtés mais de rester proche les uns des autres, dans l’axe, afin de pouvoir combiner en jeu court, et créer des supériorités numériques. Les couloirs, très importants malgré tout, sont dynamisés par les défenseurs latéraux.
Cette séquence d’attaque placée est un circuit préférentiel réalisé à merveille par les joueurs. Dans cet effectif pourtant déserté de stars, tous font preuve d’une qualité technique remarquable, fruit d’un recrutement brillant au sein du club. Torreira, le milieu défensif uruguayen et plaque tournante à la relance incarne cet excellent travail. Petit gabarit, mais gainé et disposant d’une couverture de balle remarquable, il démontre match après match son sens du placement. Il ramasse un nombre incalculable de ballons grâce à son anticipation. Associé à une très grande qualité de pied, celui-ci lui permet d’enchaîner prise du ballon et passe verticale quasi instantanément, sur une seule touche de balle. Cette capacité à faire du 2 en 1 est une compétence rare chez le footballeur. Thiago Motta à Paris et Pjanic à la Juventus sont des exemples célèbres qui excellent dans ce type de récupération.
Gaston Ramirez est aussi un joueur clé pour sublimer le principe crucial du jeu en une touche de balle réclamé par Marco Giampaolo. Uruguayen comme Torreira, après Southampton il se perd dans des clubs de seconde zone du championnat anglais comme Hull City ou Middlesbrough. C’est grâce à Giampaolo qu’il repasse un cap décisif cette saison. Très grand en taille contrairement à Torreira, il montre chaque semaine que grand gabarit peut rimer avec élégance. Très fin sur ses contrôles, sur les coups de pied arrêtés et dans son orientation du jeu, il n’est pas avare d’efforts sur tout le front de l’attaque. Sa protection de balle remarquable et son volume de jeu en font un joueur détesté par les défenseurs.
Au-delà de ces deux cas particuliers, il est très facile d’observer à quel point tous les joueurs de la Sampdoria sont sur la même longueur d’onde. Ils semblent se trouver sans se regarder et partagent tous une grande aisance technique associée à un sens du déplacement certain.
Par conséquent, l’entraîneur peut se permettre de proposer de nombreuses variantes à cette séquence.
Ici le jeu long est employé à la fois pour initier le décalage, en alternance avec le jeu court. Il est aussi utilisé en phase de finition pour prendre la défense à revers et se procurer une action de but.
La Sampdoria joue avec 3 attaquants dont les profils sont assez proches. Ce sont d’assez grands gabarits (Zapata est impressionnant physiquement), toutefois très mobiles. Ils sont très à l’aise dans le jeu aérien et sous forme de point d’appui, ce qui permet d’alterner avec succès les séquences de construction en jeu long ou en jeu court.
Ainsi, l’idéal de jeu défendu par l’entraîneur Giampaolo semble parfaitement intégré dans l’esprit des joueurs. Priorisant le jeu court, le redoublement de passes (54% de possession en moyenne), il s’appuient sur leur grande qualité technique (83% de passes réussies) pour réaliser des mouvements simples, en peu de touche (des une-deux, des passe-et-va, des appuis-remises) très souvent dans l’axe du terrain. L’occupation des couloirs est notable : dans ce 4-4-2 losange il n’y a pas d’ailiers purs, les latéraux se projettent, mais n’ont pas de joueurs derrière avec qui dédoubler. Ainsi, il n’est pas rare de les voir au début de la phase de finition, initier un centre mais à dix bons mètres de la surface de réparation. On pourrait presque plus parler de « passe longue dans la surface » que de centres. En même temps, cela se justifie totalement puisque Zapata, Ramirez, Quagliarella et d’autres apportent un impact conséquent dans cette zone cruciale. Même si tous les joueurs n’hésitent pas à frapper de loin, notons que seulement 4 buts ont été marqués depuis l’extérieur de la surface pour 37 à l’intérieur.
La défense selon Giampaolo : rester compact en toute circonstance
À l’image de la phase offensive où Giampaolo priorise l’occupation intelligente de l’axe pour créer des décalages, il exige de ses joueurs la même précision dans le placement défensif et la couverture du centre du terrain à la perte de balle.
À partir de ce bloc compact, l’équipe alterne souvent entre 2 schémas (selon des temps faibles et des temps forts) : un pressing assez haut ou un repli dans ses 30 mètres autour de la surface de réparation.
Lorsque le bloc est en place, il s’agit ensuite de forcer l’adversaire à jouer sur les côtés. Une fois ceci fait, la ligne de craie blanche est le meilleur allié défensif. Sur les côtés l’espace est réduit pour l’adversaire, les chemins de passes moins lisibles et l’agressivité défensive des joueurs de la Sampdoria oblige souvent l’opposant à se précipiter et à perdre le cuir.
Ces premières images pourraient laisser penser que la Sampdoria presse pendant 90 minutes dans le camp adverse. Ce n’est évidemment pas le cas et la phase de repli et de défense de sa surface de réparation est tout aussi travaillée que la phase de cadrage-pressing
Durant toute la phase défensive l’observateur avisé remarquera la polyvalence et les compensations multiples opérées par les milieux de terrain. Si Torreira doit se déporter sur un côté, le milieu à l’opposé doit se recentrer. Si un joueur comme Praet, Barreto ou Linetty se fait éliminer, Ramirez n’hésite pas redescendre pour compenser. Ils sont toujours au minimum 5 joueurs dans la surface pour couper les centres adverses. La coordination et l’harmonie sont deux éléments aussi cruciaux sur coups de pied arrêtés notamment parce que Marco Giampaolo exige une défense en zone sur ces phases. En bref, cette solidarité à toute épreuve et cette défense éminemment collective est un facteur important qui explique aussi la réussite de la Sampdoria cette saison.
Les axes de progression de l’équipe de Giampaolo
Si le travail de Marco Giampaolo est remarquable, son équipe reste encore très loin du niveau des meilleurs clubs européens comme Liverpool en ce qui concerne les phases de transition. Celles-ci sont souvent très primaires, avec des déplacements très linéaires et peu d’appels croisés. Ils aboutissent trop souvent à des frappes très lointaines sans espoir d’inquiéter le portier adverse. Néanmoins, cela s’explique aussi aisément au regard des profils des 3 joueurs les plus offensifs. Zapata, Quagliarella ou Ramirez sont des joueurs qui savent très bien se déplacer. Malgré tout, ce ne sont pas des avaleurs d’espaces et leur configuration morphologique les empêche pour une part de briller dans cet exercice aussi bien qu’un Sadio Mané ou qu’un Mohamed Salah. Rappelons que le capitaine Fabio Quagliarella a tout de même 35 ans.
D’autre part, même si la ligne de quatre défensive est remarquable d’abnégation, elle présente encore des lacunes dans les un contre un. La charnière centrale manque de vivacité. Face à des attaquants rapides qui savent plonger dans les espaces et qui les obligent à défendre au large, ils se retrouvent souvent dans l’embarras. Dries Mertens, Insigne et Callejon du Napoli ont par exemple, fait vivre un calvaire à cette charnière lors de la défaite 3-2.
De surcroît, la prise de risque assumée en phase de relance peut se retourner contre eux. Les adversaires de Serie A défendent de mieux en mieux contre Giampaolo et ses hommes. Encore une fois, le Napoli de Sarri qui connaît par cœur son disciple a montré la voie à suivre. En harcelant Barreto ou Torreira dans l’axe dès leur premier contrôle, sans leur laisser une seconde pour se retourner, ils ont pu récupérer des ballons très hauts. Le but d’Allan à la 15ème minute du match est révélateur à ce propos (lien ici : le résumé du match).
Enfin, l’effectif semble présenter quelques limites. D’abord les joueurs notamment au milieu de terrain et en attaque présentent des profils très proches. Par exemple, aucun joueur au profil de dribbleur ne semble pouvoir s’intercaler dans les rotations même sur des bouts de matchs. En ce qui concerne les attaquants, Dawid Kownacki et Gianluca Caprari n’apportent pas de solutions différentes malgré un temps de jeu respectable. Caprari est ainsi très proche de Quagliarella dans sa morphologie mais aussi dans son jeu.
Conclusion
Dans une Italie en pleine mutation footballistique, Marco Giampaolo incarne un football rêvé. Celui du football protagoniste, hérité de Sacchi, fondé sur le déplacement, la perception visuelle et la qualité technique collective pour gagner les matchs. Quelle que soit l’issue de chaque journée de championnat l’équipe reste fidèle à l’idéal de jeu de Giampaolo : d’abord être performant sur le terrain pendant 90 minutes puis « éventuellement » se projeter sur un objectif de classement. Les objectifs de résultat passent toujours après les objectifs de maîtrise ! Dans un pays intrinsèquement attaché au principe de la gagne à tout prix, Marco Giampaolo et toute « l’école de pensée » incarnée par Maurizio Sarri joue gros. Si au terme de la saison Sarri et Giampaolo associent « football construit » et victoire finale; ils pourront peut-être permettre à l’Italie de se convaincre de prendre le virage déjà amorcé par Prandelli à l’époque : celui qui ne voulait dissocier la victoire d’un football esthétique et élaboré. En cas d’échec d’une Sampdoria qui n’accéderait pas à l’Europe, ou du Napoli une nouvelle fois dauphin derrière la Juve, ils laisseraient probablement à nouveau la porte ouverte à « l’idéologie Trapattoni » : quels que soient les moyens, peu importe le beau jeu, le plaisir des joueurs et des spectateurs, seule l’efficacité et les titres comptent à la fin. Puisse les Dieux du football faire basculer l’histoire du bon côté.
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