Le 4 janvier prochain auront lieu les élections à la présidence de la fédération chilienne de football. Du nouveau président et de ses décisions dépendront l’avenir à la tête de la sélection chilienne de Jorge Sampaoli.
Les offres ne manquent pas pour Jorge Sampaoli en ce moment. Chelsea, Real Madrid, AS Roma, Fluminense, Cruzeiro sont les grands clubs parmi lesquels l’homme de 55 ans a été lié ces dernières semaines. Mais pour AS, l’entraîneur du Chili a révélé que sa priorité restait le projet avec la sélection chilienne. Ainsi, il a évoqué ses plans, les matchs face à l’Argentine en mars prochain ainsi que les élections du nouveau président de la fédération chilienne de football.
Vous avez reçu plusieurs offres de la part des clubs les plus respectés du monde entier. Sur quoi dépend votre continuité avec le Chili ?
J.S. : Tout dépend si le nouveau président aimera notre projet. Ma continuité dépendra des changements opérés le 4 janvier prochain à la fédération. Chacun mettra en avant ses plans et ses idées. Je suis certain que certaines choses auront besoin d’être modifiées et des nouvelles lignes directrices seront établies. À l’heure actuelle, je suis concentré sur ce qu’il se passera ce jour-là. Avant d’écouter les offres de quiconque, je dois avant tout présenter mon nouveau projet pour le Chili, et c’est ce que j’ai dit à tous les clubs qui m’ont contacté.
Pensez-vous qu’il y a « un avant et un après » votre nomination parmi les trois meilleurs coachs FIFA de l’année ?
J.S. : Je suis très heureux d’être considéré de la sorte. La nomination est le résultat d’un travail collectif que nous avons effectué avec le Chili. Je suis seulement la figure représentative d’une équipe qui joue avec une grande détermination et avec un réel esprit rebelle. Le Chili a joué contre quelques-unes des plus grandes nations, on peut connaître celui qui a mené l’équipe mais il y a beaucoup de monde qui travaille dans l’ombre. La conséquence de toutes les bonnes choses que l’équipe a pu obtenir cette année, c’est cette nomination.
Pour vous, quelle est la meilleure équipe du monde à l’heure actuelle ? Quelle est celle qui vous divertit le plus ?
J.S. : Si je devais choisir, le FC Barcelone fait partie de ces équipes que j’ai le plus de plaisir à regarder mais la meilleure équipe du monde, c’est le Bayern Munich. Parce que l’entraîneur est à la recherche de toutes les moindres nuances tactiques pour tirer le meilleur de ses joueurs et leur permettre de trouver des solutions au moindre problème rencontré en cours de match. Et le Bayern fait ça de manière naturelle. Au-delà d’avoir des joueurs de grand talent, l’équipe s’est transformée en une force collective qui maîtrise ses adversaires. Ils les étouffent, ne leur donnent aucune chance de reprendre leur souffle. Pep est un maître pour faire en sorte que ses équipes maîtrisent totalement leur match et c’est quelque chose que j’aime voir. Autrement, j’aime voir d’autres équipes comme le Real Madrid ou le Barça, deux équipes avec des styles de joueurs opposés mais qui peuvent, par leurs individualités, faire la décision à tout moment. Ou parfois je regarde des anciens matchs parce que les joueurs prenaient du plaisir à jouer. Une atmosphère différente de la tension qui entoure les matchs aujourd’hui.
Qu’avez-vous appris lors de votre rencontre avec Pep Guardiola à Munich ?
J.S. : Je me suis retrouvé face à un entraîneur qui a une grande habileté à gérer les stars, comme il l’a fait au FC Barcelone et comme il le fait actuellement avec le Bayern Munich. Et des stars qui se mettent au service du collectif. Ce qui m’intéressait, c’était de comprendre comment il est capable de modifier les aspects structurels du positionnement de son équipe sans qu’il y ait un effet néfaste sur l’idée générale de comment l’équipe doit jouer. C’était une discussion très intéressante. Et Guardiola définit les paramètres pour faire en sorte qu’un joueur optimise la performance d’un autre. C’était l’autre sujet qui m’intéressait tout particulièrement dans notre discussion. C’est quelqu’un de très généreux.
Pensez-vous que les joueurs modernes prennent autant de plaisir à jouer au football que ceux du passé ?
J.S. : Non, parce qu’au sein de la majorité des équipes, les joueurs se contentent de se passer la balle entre eux – avant, on se passait la balle pour jouer. Le football d’aujourd’hui ne porte pas sur le plaisir de jouer, toutes les équipes sont sous pression, tendues… les contestations sont l’apanage de la plupart des matchs. Nous avons perdu le sens de ce qui signifie jouer au football. Les joueurs créatifs sont en voie d’extinction et nous devons retrouver cet environnement où les joueurs que nous aimons tous peuvent s’épanouir.
Après avoir développé vos équipes dans la droite lignée des idées prônées par Marcelo Bielsa, pourquoi êtes-vous désormais si enclin à promouvoir la liberté de vos joueurs ?
J.S. : L’influence initiale du « bielsisme », c’est la préoccupation d’essayer de dominer dans le jeu – toutes les équipes de Marcelo jouent un football très offensif – mais il y a un autre élément qui va au-delà de ça. Pour moi, Marcelo est un coach qui peut entraîner n’importe quelle équipe au monde et qui peut affronter n’importe quelle équipe équipe au monde sans peur et sans complexe. Dans le football d’aujourd’hui, les complexes sont de plus en plus présents. Regardez River Plate contre Barcelone : l’équipe de Luis Enrique a gagné aisément. Ces types de matchs me mettent un peu mal à l’aise parce que vous voyez une équipe qui tente de faire l’Histoire mais qui se fait vite rattraper par la réalité. Il y a certaines situations où vous savez que vous aurez affaire à des joueurs totalement désinhibés – des joueurs comme Messi, Ortega, Maradona, Cruyff, Pelé, des joueurs qui ont la personnalité pour arrêter la séquence de jeu en cours, dribbler la moitié de l’équipe adverse… Ils n’ont aucune appréhension à l’idée de perdre le ballon – ils peuvent perdre la balle 10 fois mais ils reviendront pour tenter de nouveau la même chose sans peur. Aujourd’hui, il n’y a plus le temps, tu ne peux pas perdre le ballon, et la critique sur cet aspect du jeu est excessive et disproportionnée. Ça génère de la peur et entrave le jeu incisif, flamboyant. Le jeu de position. Et au final, les spectateurs se retrouvent avec un match avec son flot de contestations.
Le Chili peut-il maintenir ce niveau de compétitivité ?
J.S. : Oui. On sait qu’on doit jouer comme une équipe et que le jeu doit primer sur les individualités. Le joueur chilien doit être convaincu que c’est le meilleur moyen d’affronter les grandes nations. Nous allons donc continuer à travailler pour les affronter avec cette volonté d’être maître de la rencontre si mon projet est soutenu le 4 janvier prochain.
Si vous continuez, vous retrouverez l’Argentine au mois de mars cette fois dans le cadre des éliminatoires. Vous pensez faire douter l’Albiceleste ?
J.S. : C’est déjà le cas. Perdre la finale de la Copa América avec des joueurs si importants a fait très mal à l’Argentine. La douleur de cette finale après celle du Mondial a soulevé des questions. Je crois qu’ils vont se relever, participer au prochain Mondial et peuvent même finir champions du monde. Ils ont les arguments pour y parvenir et le meilleur joueur du monde qui, à lui seul et en étant bien, peut faire gagner un Mondial. C’est un plus que n’ont pas les autres sélections.
Pour un coach argentin, ça doit être spécial d’affronter l’Argentine ?
J.S. : Jouer l’Argentine est toujours spécial. Écouter l’hymne national quand vous êtes sur le banc adverse, c’est vraiment difficile à vivre, c’est pourquoi je n’ai pas célébré notre victoire en finale de la Copa América avec mes joueurs. Ce qui est de bien à propos du match du mois de mars, c’est que tout sera axé autour du match, au Monumental. Mais nous ferons face à des joueurs qui sont difficiles à maîtriser, qui jouent à un très haut niveau et nous devrons être à notre meilleur niveau pour battre l’Argentine après leur retour en forme contre la Colombie.
« Être sélectionneur de l’Argentine est un rêve »
Est-ce que vous tenterez à nouveau de neutraliser Messi comme le Chili l’a fait en finale de la Copa América ? Vous êtes l’un des rares entraîneurs à être parvenu à réussir cela…
J.S. : Contre l’Argentine, on ne voulait pas neutraliser Messi, on voulait l’isoler pour qu’il n’ait pas de continuité dans son jeu. On a essayé de couper tous ses circuits de sorte qu’il ne reçoive pas le ballon face au but. Et même en dépit de ce plan, Leo a créé une grosse occasion à la 90ème minute qu’Higuain n’a pas su mettre au fond. C’est le meilleur joueur du monde. En isolant Messi, on pouvait les repousser dans leur propre moitié de terrain et faire en sorte que nous n’assistions pas à la meilleure version de Messi. Je ne comprendrai jamais les critiques envers Leo. C’est juste que nous sommes parvenus à mieux résoudre différentes situations de jeu que l’Argentine. Le plan était d’éviter leurs mouvements dans notre partie de terrain parce qu’en attaque, ils ont de meilleurs joueurs que nous. Et ils savent aussi mieux défendre que nous. Tout ce que nous avons tenté de faire, c’était de veiller à ce qu’ils aient moins le ballon possible et on a pu dominer le match pour les mettre dans une situation inconfortable. Le match s’est déroulé comme on l’espérait et on a fini par s’imposer aux tirs au but.
Guardiola a dit que l’une des clés de son travail est de savoir à partir de quand appuyer sur le bouton pour activer chacun de ses joueurs, vous êtes d’accord avec ça ?
J.S. : Oui. Un entraîneur de football est quelqu’un qui doit être capable de gérer les émotions. Vous avez besoin d’être proche de vos joueurs, parler à chacun d’eux de manière différente. Chaque joueur est différent et chacun arrive en équipe nationale avec une dynamique différente. Les entraîneurs d’aujourd’hui doivent gérer les émotions de l’ensemble de l’effectif. On essaie de trouver des moyens de les rendre enthousiastes. Je peux développer un plan de match mais il doit être compatible avec les joueurs que j’ai à disposition. Les joueurs doivent correspondre au plan. La technologie a tellement avancé aujourd’hui, ils ont beaucoup de stimuli externes, ils sont millionnaires, ils peuvent avoir tout ce qu’ils veulent et cela crée des conflits. Je voyage deux à trois fois par an juste pour voir comment ils vont, comment ils sont. Tous. Et je suis très direct avec mes joueurs. On parle de tout, c’est un exercice quotidien. Mais je les implique. C’est bien d’être proche d’eux parce qu’on peut essayer de leur rappeler ce qu’est le football au niveau amateur – jouer pour le maillot, pour le drapeau, pour la joie de votre peuple. Je pense que les joueurs chiliens ont très bien compris ça.
Certains entraîneurs d’aujourd’hui se voient comme étant plus importants que leurs joueurs…
J.S. : C’est un point sur lequel je ne suis pas d’accord. Au football, le plus important ce sont les joueurs. Parfois, un entraîneur peut établir des plans pour lui-même et non en fonction de ses joueurs. Moi, j’ai appris que je devais établir un plan pour obtenir le meilleur de mes joueurs. Cela signifie aussi qu’il faut les convaincre, les encourager et ainsi de suite. Avant, c’était plus facile, le football était plus pur et les joueurs prenaient du plaisir à jouer – plus qu’aujourd’hui. Quiconque est appelé à jouer pour le Chili sait qu’il va prendre du plaisir à jouer dans notre équipe.
Comment parvenez-vous à optimiser le peu de temps que vous avez avec vos joueurs ?
J.S. : Je ne sais pas comment travaillent les autres sélections mais nous, nous avons un groupe de sparrings qui travaille déjà depuis décembre et qui pense déjà aux futures échéances. En janvier, nous allons affronter des nations d’Amérique centrale (ndlr : la Jamaïque le 28 janvier prochain puis le Panama le 2 février) qui vont nous permettre d’évaluer certains joueurs locaux. Et après, on sera déjà en mars pour affronter l’Argentine puis le Vénézuela. Le but, c’est que nos sparrings nés en 97, 98 et 99 progressent et puissent intégrer le jeu de l’Argentine et notre jeu de possession. Et après ces matchs (face à la Jamaïque et le Panama), que chaque joueur de la sélection ait les outils pour savoir vers quel type de match on se dirige en mars face à l’Argentine.
Pourquoi avoir intégré la technologie lors des entraînements ?
J.S. : Parce qu’au-delà des montages vidéos qu’on montre aux joueurs, il y a des choses que nous pouvons seulement voir dans les vidéos et qui n’intéressent pas les joueurs. Donc nous avons cherché des outils pour susciter l’intérêt du joueur. Or, les joueurs aiment jouer à la PlayStation. Nous sommes donc sur le point de lancer une application qui va permettre au joueur d’intervenir lui-même dans le match avec différentes options selon son poste et de corriger des situations que nous devrions faire à l’entraînement mais que nous n’avons pas eu le temps de corriger. Cet outil nous permettra de savoir quel problème nous avons à la relance, dans le pressing, comment l’équipe se comporte dans le positionnement. Et avec le logiciel, les joueurs eux-mêmes pourront résoudre des situations qu’ils n’auraient peut-être pas su résoudre en match.
En tant que fan de River Plate, avez-vous souffert lors de la finale de la Coupe du monde des clubs contre Barcelone ?
J.S. : Oui, beaucoup. J’ai souffert de la même manière que tous les fans de River ont vu notre équipe incapable de battre Barcelone. C’était une opportunité que tous les fans de River attendaient. C’est dommage de ne pas avoir su la saisir.
Aimeriez-vous devenir sélectionneur de l’Argentine à l’avenir ?
J.S. : Oui. Être sélectionneur de l’Argentine est un rêve parce que c’est la sélection de mon pays. J’ai rêvé de jouer en sélection quand j’étais plus jeune, mais ça n’est jamais arrivé. Vous devez comprendre que c’est une place difficile à occuper en raison de la compétitivité entre les entraîneurs argentins, mais je ne cesserai jamais de croire que je deviendrai le futur sélectionneur de mon équipe nationale.
Propos traduits par Romain Laplanche