Salvatore Marino fut arrêté au cours de l’enquête consécutive à la mort du commissaire Beppe Montana, tué par la mafia le 28 juillet 1985. Joueur de football, deux mois plus tôt, Marino permettait l’accession en Serie D à son équipe. Son cadavre fut retrouvé sur une plage palermitaine où des policiers l’eurent abandonné des suites d’une nuit de torture.
C’est une histoire oubliée, méconnue. Une histoire qui s’étend du printemps à l’été de l’année 1985. L’histoire d’un jeune milieu de terrain et de son ultime partie en tant que joueur de football. Loin du faste de la Serie A et de la Coupe d’Europe des Clubs Champions, cette histoire marqua pourtant l’apothéose d’une saison de football en Sicile. Une histoire qui, le temps d’un match réussit à transformer le Stadio Nino Novara d’Agrigente en poudrière explosive tant le sud de l’Italie, peu doté en grands clubs se passionne pour les équipes des championnats mineurs. Une histoire qui fit se déplacer des dizaines de cars des villes limitrophes – Bagheria, Casteldaccia, Palermo – en vue de soutenir la Pro Bagheria, équipe première de son championnat avec un point d’avance sur Ribera, futur adversaire.
Salvatore Marino, héros de la Pro Bagheria
26 mai 1985, le grand jour. Sur le terrain de la Ribera, un nul suffit à la Pro Bagheria pour assurer sa promotion en Serie D (quatrième division). Russoto, l’entraîneur de l’équipe visiteuse en a conscience. Confiant, le coach compte dans ses rangs un jeune milieu de terrain aux qualités impressionnantes et au sens du but éprouvé. Il s’agit de Salvatore Marino, joueur à la réputation grandissante dans la région, au point dit-on, de susciter l’intérêt du grand Napoli. Quelques jours plus tôt contre l’Olimpia Abitare, menée 1-0, la Pro Bagheria s’en était remise à son milieu de terrain qui, avec deux superbes buts avait offert la victoire et la première place de la division à son équipe. Avant la partie, Russoto avertit son joueur cadre, insistant avant toute chose sur la nécessité de bien défendre. À 25 ans, Marino voue un réel respect à son entraîneur qui au cours des dernières saisons l’a grandement fait progresser. De son côté et n’ayant plus rien à perdre, Ribera se prépare à jouer le tout pour l’attaque. Mais au bout d’une trentaine de minutes, les locaux comprennent que bousculer la Pro Bagheria sera extrêmement difficile. Marino, placé devant la défense coupe l’ensemble des transmissions entre le milieu et l’attaque adverse. Mieux encore, les visiteurs frappent deux fois, à la 41ème et à la 57ème minute. Le but de Ribera à la 89ème n’y change rien, après quarante années de purgatoire, l’équipe de Marino retrouve enfin la Serie D. Une immense fête est organisée à Bagheria pour célébrer l’occasion. Avant le départ en vacances. L’été approche, Salvatore Marino va pouvoir se consacrer à son autre passion : la plongée sous-marine.
L’assassinat de Beppe Montana
À cette époque, la Sicile est en proie à une forte criminalité. La Pieuvre – Cosa Nostra – sous l’égide du capo dei capi (chef des chefs) Salvatore Riina est aux prémices de sa nouvelle politique de la terreur. Parmi les gens qui luttent contre l’organisation, il existe beaucoup de héros du quotidien, de ceux qui ne font pas la Une des journaux, mais qui, chaque jour risquent leur vie en faisant leur travail. Beppe Montana, sicilien d’origine et fonctionnaire de police, était l’un d’eux. Ayant souvent collaboré avec le célèbre juge Falcone, Montana était un inspecteur de police reconnu et respecté dans sa lutte contre la mafia. Connu pour ses méthodes peu orthodoxes, il n’hésitait jamais au péril de sa vie à déambuler dans les rues de Palerme en moto en quête d’informations sur Cosa Nostra. À l’inverse d’une idée très répandue à l’époque, Montana avait conscience que la criminalité sicilienne prenait naissance au sein même de la ville, et non pas par-delà les continents. En 1983, 1984 et 1985, le policier s’était fait remarquer pour avoir court-circuité plusieurs affaires majeures, et coincé plusieurs gros pontes de la mafia, dont le célèbre clan Greco.
En ce dimanche 28 juillet 1985, Montana décide de se détendre en organisant une partie de pêche avec sa famille et des amis à Porticello. Pour ce faire, il utilise un canot pneumatique, si souvent étrenné depuis le littoral dans son combat contre la mafia. Le policier est connu et respecté dans la ville. Après plusieurs salutations chaleureuses distribuées à quelques connaissances, Montana demande à un mécanicien sur le port, de jeter un œil au moteur de son bateau. Il en profite également pour lui demander où manger un assortiment de poissons. Le policier n’aura jamais le loisir d’entendre la réponse. Au même instant, deux hommes sur une moto déboulent et criblent son corps de balles devant sa femme.
La traque policière se met en marche
Immédiatement, l’unité mobile de Palerme coordonnée par le commissaire Nini Cassarà se met sur les traces des tueurs. Ce dernier, lucide, aura alors ces mots envers ses hommes :
« Nous pouvons être sûrs que nous sommes tous des morts en sursis ».
Entre Palerme et Casteldaccia, ce sont près de 200 personnes qui seront auditionnées. Des témoins racontent notamment avoir aperçu une Peugeot 205 rouge que les membres du commando auraient emprunté après leur expédition en moto. Par chance pour les enquêteurs, il s’agit là d’une voiture connue dans la localité, appartenant à une famille de pécheurs non loin d’ici. Son nom ? Marino, famille connue pour avoir donné à la région un joueur de football particulièrement talentueux, Salvatore. La police soupçonne fortement le jeune homme d’avoir pris part à l’expédition ayant coûté la vie à Giuseppe Montana et se met donc à sa recherche.
La famille Marino, le père la mère et les sept frères de Salvatore sont rapidement auditionnés au commissariat. Seul ce dernier demeure introuvable pour les policiers. La maison familiale fait l’objet d’une perquisition minutieuse, perquisition au cours de laquelle, deux jours après l’assassinat de Beppe Montana, est retrouvée la somme de dix millions de lires italiennes (environ 5000 euros). Vingt-quatre autres millions sont découverts dissimulés dans une armoire. Au lendemain de cette perquisition, Salvatore Marino se présente spontanément au poste de police, accompagné de son avocat. Le jeune homme est immédiatement interrogé par l’unité mobile de Palerme qui lui demande où il se trouvait dans la soirée du dimanche 28 juillet. Marino confesse qu’il se trouvait sur la place de Porticello, et qu’il mangeait une glace avec sa fiancée. Les officiers lui demandent alors d’où provient l’argent trouvé chez lui. Ce à quoi il répondra en disant que cet argent lui a été donné en partie par son équipe, et qu’il représente en sus l’agent gagné par sa famille dans le cadre de son activité professionnelle. Suspicieuse, la police prévient d’ores est déjà le témoin de sa mise en garde à vue pour la nuit. L’interrogatoire se termine finalement par des questions sur la supposée fiancée, dont l’identité sera bel et bien confirmée le lendemain par des témoins.
Un soulagement que ne connaîtra jamais Salvatore Marino.
Une nuit de torture
Durant la nuit, les hommes de Giuseppe Montana, sûrs de tenir le coupable décident de poursuivre leur interrogatoire de façon musclée. Quelques policiers vont chercher Marino dans sa cellule et l’installent sur une chaise d’abord, sur une table ensuite. Un des policiers hurle :
« Maintenant, nous allons te montrer qui est le patron ici ». Brandissant le papier journal contenant les liasses de billets à Marino. « Ça ce sont donc tes revenus de footballeur ? Dis-nous qui a tiré, et qui a payé. Tu aimes la plongée ? C’est ce que nous allons voir ».
Marino est alors rué de coups par les agents présents. Avant d’être immobilisé sur une table où les policiers lui font la cassetta, pratique consistant à introduire un tube dans la bouche et dans lequel sont déversés eau et sel. Salvatore, le footballeur héros de la ville deux mois plus tôt est torturé toute la nuit. Au petit matin, son corps est rendu à l’état de cadavre. Un des policiers a poussé trop loin le tube et a percé la trachée du suspect. Son visage, largement tuméfié témoigne des souffrances vécues. Malgré des tentatives de réanimation désespérées des policiers, il est trop tard, Marino est parti, le fabuleux technicien du milieu de la Pro Bagheria n’est plus. Paniqués, les policiers tentent de dissimuler la bavure en abandonnant le cadavre sur une plage. Une fois découvert, le corps sera pris durant douze heures pour celui d’un émigré clandestin.
Quand la vérité éclate au grand jour
Quelques heures après les faits, le commissaire de police Nini Cassarà apprend la vérité sur les dessous de cet homicide. Ne sachant quelle attitude adopter vis-à-vis de ses hommes fautifs, il se confie à son ami Giovanni Falcone qui lui explique :
« Nous avons mis dix ans. Dix longues années à obtenir un peu de crédit auprès de la population sicilienne. Étouffer cette affaire est impossible. Si nous violons la loi, nous nous délégitimons tout seul ».
La vérité éclate. Le 2 août, l’ensemble de la presse italienne montre en photo le cadavre du footballeur, les yeux hors de leur orbite, le visage marqué par les coups, le bras abîmé par des traces de dents humaines. Plusieurs journaux titrent « Impossible à étouffer… ».
Via cet acte de cruauté, ce sont des années de lutte contre la mafia qui furent remises en cause. Au terme de longues enquêtes, de beaucoup de bonne volonté et de courage, un vent nouveau commençait à se répandre sur la Sicile. Les forces de l’ordre n’étaient plus vues comme des ennemies par la population. Une confiance longue à acquérir, fruit de multiples arrestations et coup d’éclats ayant durement touché la Pieuvre. La mort cruelle de Marino a sensiblement fait évoluer les choses. La lutte anti-mafia s’était construit des héros qui, du jour au lendemain ont perdu beaucoup de leur superbe. C’est ainsi que les funérailles du courageux Beppe Montana se passèrent devant une minuscule assistance. Peu d’hommages, peu d’anonymes souhaitant faire montre d’une dernière pensée pour le policier, et surtout, aucune force représentative de l’Etat italien ou presque… À l’inverse, les funérailles de Marino drainèrent une foule immense. Son équipe de foot toute entière, de même que de nombreux supporters se rendirent sur place. Banderoles, maillots, couronnes de fleurs par centaines rendirent hommage au héros de la Pro sous une salve d’applaudissements pour un homme qui, deux mois plutôt faisait rêver la Sicile.
Son entraîneur Russoto présent à l’enterrement raconte :
« Nous l’appelions tous Big Jim pour son incroyable musculature. Il était capable de descendre à vingt mètres de profondeur sans bonbonne d’oxygène lorsqu’il faisait de la plongée. Il enchainait les parties sans aucune difficulté. Il était bon, souriant, un compagnon inoubliable. C’est une histoire bien trop brutale et cruelle pour qu’elle soit réelle ».
Le soir du 5 août, le ministre Scalfaro et le président du Conseil Italien relèvent de leur fonction le capitaine de la police de Palerme ainsi que les agents ayant participé à la nuit de torture. Tous furent condamnés, puis acquittés pour homicide involontaire.
Le 6 août, la mafia reprenait quant à elle le pouvoir. Un commando de 15 personnes était organisé et s’en allait tuer un agent de police, ainsi que le commissaire Nino Casserrà devant sa femme. Le sursis dont il parlait 7 jours plus tôt avait pris fin.
En septembre, le championnat de Serie D reprit. Le nom de Marino ne figurait plus dans aucune équipe. Salvatore avait joué son ultime partie le 28 mai. En héros.