Comme lors des éditions précédentes, les barras bravas argentines seront présentes en Russie. Depuis plusieurs mois déjà, la fièvre du Mondial a gagné les tribunes populaires d’Argentine et les groupes s’organisent pour atteindre le Graal, la Coupe du monde la plus sécurisée de l’histoire.
Pour bien analyser le panorama des barras potentiellement présentes en Russie, il faut faire un bond de quatre ans en arrière. Au Brésil, on a pu observer un nombre record de barras. Rio a été la cible d’une invasion albiceleste. La présence des barras au Brésil a connu un revers de la médaille beaucoup moins festif. En effet, les 6 mois qui ont suivi la Coupe du monde ont été chaotiques dans les stades argentins. Les butins générés par la revente des entrées (les billets pour la finale et la demi-finale se vendaient aux alentours de 1500 dollars) ont divisé de nombreuses barras et le deuxième semestre de 2014 se soldera par neuf morts.
L’après 2014, la fin de Grondona et un nouveau pouvoir à l’AFA
Quelques jours après la finale, comme le symbole de la fin d’un cycle du football argentin, Julio Grondona, président historique de la fédération, meurt d’une insuffisance cardiaque. Le décès de Grondona marque également 40 ans d’un système quasi mafieux mis en évidence par les investigations récentes sur la CONMEBOL et l’AFA. Ce système se servait en partie de ces barras, preuve en est avec la sécurité privée assurée par la barra d’Independiente lors de son cortège funèbre. Le football argentin est devenu orphelin et avec elle, la relation entre dirigeants et barras. La Copa América 2015 et la Copa América Centenario de 2016 se sont déroulées sans aucune barra. Les autorités chiliennes avaient alors listé 1500 individus de toute l’Amérique du Sud interdits d’entrée de territoire et dangereux pour l’ordre public. 1000 de ces individus sont argentins… Luis Segura, successeur de Grondona, a lui basé son pouvoir sur trois hommes forts : Chiqui Tapia, Moyano, syndicaliste important et accessoirement président d’Independiente et Angelici, président de Boca Juniors. Ce nouveau pouvoir en place aura des conséquences directes sur l’équipe nationale.
Historiquement, les matchs des éliminatoires pour la Coupe du monde ont toujours profité à la barra de River Plate qui jouissait de son statut de « domicile » pour supporter la bande de Messi mais surtout accroître ses revenus : ventes d’entrées, trapitos (sécurité des véhicules en échange d’argent) et vente de maillots à l’extérieur du stade. L’ombre des Borrachos Del Tablon planait à chaque match de la sélection à Buenos Aires mais le changement de direction au sein de l’AFA a redistribué les cartes. River ne fait plus partie des décisionnaires, son poids au sein de la fédération a considérablement baissé. La sélection a d’ailleurs disputé de nombreux matchs en dehors de Buenos Aires notamment à Córrdoba et Mendoza, où les barras de Belgrano, Talleres et Godoy Cruz ont dicté leur loi en tribunes. Les mauvais résultats des hommes de Bauza ont terminé de convaincre l’AFA sur le lieu des prochains matchs des hommes de Sampaoli : la Bombonera.
La 12, la barra officielle de l’équipe d’Argentine
2017 affirme le retour en force de la barra la plus puissante d’Argentine derrière l’équipe nationale : la Doce de Boca Juniors. Le tournant s’est effectué lors de l’élection de Chiqui Tapia aux rênes de l’AFA. Supporter reconnu de Boca Juniors, c’est lui qui a oeuvré pour un retour des matchs à la Bombonera. Certes, il a été bien aidé par des résultats inespérés, la possibilité de ne pas se qualifier pour la Coupe du monde et un Monumental pas toujours au niveau côté ambiance. L’opinion publique réclamait un changement. Pendant près de 20 ans, aucune rencontre officielle n’avait été joué à La Boca. Tapia comptait également sur l’approbation de l’équipe, avec Messi en tête et surtout de Angelici, président du club xeneize. Depuis l’élection de ce dernier à la tête de Boca Juniors, la doce possède une impunité rarement vue au sein d’un club de foot. À la question de savoir si la Doce allait assister au match crucial contre le Pérou, Angelici s’est contenté de répondre : « Du moment qu’on gagne et qu’on se qualifie… ».
Cette présence était un secret de polichinelle. Le 6 octobre 2017, le deuxième anneau de la tribune populaire vibrait de la même manière qu’un match de Boca, les têtes sur les paravalanches étaient d’ailleurs les mêmes. Feux d’artifices, bâche géante aux couleurs de l’Argentine et des parapluies avec le 12 bien visible ont fait partie de l’attirail des hommes forts du virage de Boca. 500 maillots officiels ont même été revendus avec un flocage un peu particulier : « Joueur numéro 12, les gardiens de l’histoire ». Notez que l’AFA a payé la note du tifo, des drapeaux, de la banderole sur Messi (« Messi, le meilleur joueur du siècle, bienvenue à la Bombonera »). Un mois plus tard, à Moscou, la star du Barça posait avec une plaquette à l’inscription suivante : « Pour le meilleur joueur du monde. Lionel Messi. Avec beaucoup d’affection et de respect. Le joueur N° 12 ». L’astre argentin venait de signer le mariage entre lui et ses coéquipiers et la barra brava de Boca Juniors. La lune de miel aura lieu en Russie, où entre 50 et 90 membres de la Doce devraient être présents.
Une histoire de longue date
Le soutien de la barra brava de Boca Juniors lors des Coupes du monde n’est pas nouveau. Il remonte à 1986. Sous l’impulsion de Diego Maradona, la Doce, barra la plus crainte et la plus respectée à l’époque, avait fait partie du voyage. Le contingent argentin était alors composé de trente supporters de Boca, douze d’Estudiantes de La Plata (avec la bénédiction de Bilardo, entraîneur de l’équipe), sept de Chacarita, Racing, Nueva Chicago, Velez et Union. Jose Barritta, alias El Abuelo, était le leader charismatique de la Doce et du groupe de barras présents au Mexique.
En 1990, la Doce régnait de nouveau en patrons des supporters de l’équipe nationale. 150 membres avaient fait le voyage en Italie et trouvé refuge à Naples bien aidé par des membres de la Curva B, toujours grâce aux bons contacts d’un certain Diego Maradona. Leur présence en Italie s’est faite remarquée par de violents affrontements avec leurs homologues d’Independiente en plein centre-ville de Rome.
En 1994, des problèmes de justices au sein des leaders de la Doce (notamment le meurtre de deux supporters de River) les ont empêché de participer au Mondial aux USA. La mobilisation de la Doce a été beaucoup plus mitigée en France (une vingtaine de membres) en 1998. En 2006, les supporters de River sont les plus présents avec une cinquantaine de membres face à une quinzaine de barras de Boca déportés depuis la République Tchèque après une bagarre contre des membres de la barra d’Independiente. En 2010, c’est le groupe de Lomas de Zamora de Boca Juniors (une faction rivale à l’actuelle Doce ) qui prend part au voyage encore grâce à Maradona et Bilardo. Le périple sud-africain sera tragique puisque l’un des membres de ce groupe se fera poignarder par un barra d’Independiente.
Qui d’autre ?
Malgré de sérieux problèmes avec la justice (la plupart de la première ligne est en prison), la barra d’Independiente, historique également, devrait bien être là en Russie. Lors du match contre le Pérou à la Bombonera, en face de la tribune de la Doce, on pouvait lire la mention : « Los Diablos Rojos Rusia 2018 ». Les supporters les plus radicaux de Lanus, Huracan, Racing, San Lorenzo, Belgrano, Talleres et Nueva Chicago devraient également faire partie du voyage. On évalue leur présence à quinze membres par équipe.
En février dernier, des ultras russes du Zénit et du Dynamo Moscou ont été aperçus à Buenos Aires pour préparer la logistique des barras argentines. Selon Gustavo Grabia, journaliste spécialiste de la violence dans les stades argentins, l’objet de la visite des Russes serait de mettre en place des alliances entre Argentins et Russes pour « chasser de l’Anglais ». Ils ont notamment rencontré des membres des groupes de Nueva Chicago, San Lorenzo, Vélez et Boca dix jours avant la Coupe du monde et les autorités russes ont reçu une liste de 3 000 personnes indésirables de la part de leurs homologues argentins.
La plupart des organismes de sécurité argentins sont également présents pour détecter et contrôler les mouvements des barras. Ces mesures ont dissuadé des leaders de barras de voyager en Russie. Toutefois, à deux jours du début des hostilités, de nombreux membres des barras de Union et Estudiantes ont été aperçus dans le centre-ville de Moscou.
Éléments de réponses sur les forces en présence dès le premier match de l’Argentine contre l’Islande.