La semaine du derby inexistant. Voici une des expressions favorites utilisée dans la presse romaine cette semaine pour qualifier la rencontre de ce week-end. En effet, c’est historique: avec une affluence qui risque d’atteindre péniblement les 30 000 spectateurs, la Lazio reçoit la Roma, ce dimanche, dans un stade qui n’aura jamais sonné aussi creux. Retour sur un football romain écartelé entre mesures de sécurité, nostalgie, folie, désamour et Roma americana.
Le temps du tout permissif est révolu du côté de la Cité éternelle. Si ce n’est dans la vraie vie, du moins au sujet de son football. Avec son sens de la mesure traditionnel, le derby de la ville est – déjà – devenu un vibrant souvenir du passé dans la mémoire de la presse italienne. Quelque chose de sublime et d’électrisant qui s’est transformé en un match honteux, effrayant et mortel. Si la passion n’a pas disparu, sa trop forte intensité l’aura fait voler en éclat : voilà comment Rome la romantique – qui ne sait vivre qu’au jour le jour et pour qui il n’y a que l’instant présent pour faire office de vérité – se plait à expliquer l’échec d’un événement qui fascine bien au-delà des frontières du Calcio.
Et il y a du vrai dans cette analyse. Car en dehors de la mythologie même entourant ce match et qui alimente cette passion folle pour des tifosi des deux équipes; des racines fondamentales du mythe de Romulus et Remus allaités aux mamelles du football italien, en passant par une certaine lutte des classes jusqu’aux couleurs antagonistes des maillots des deux équipes, tout un chacun a sa bonne raison pour ne plus retourner au stade. Avec, comme première victime, la masse populaire des supporters qui va devoir se fader un stade quasiment vide, alors que se jouera l’un des événements majeurs de l’année dans la Ville éternelle.
Il dottor Gabrielli
La crise d’identité est donc profonde. Et le débat sécuritaire, au sujet duquel personne n’aura le dernier mot au moment même ou l’Europe connait une des crises les plus importantes de son Histoire, se retrouve au coeur d’un match qu’on ne sait plus vivre à Rome. À l’origine de la fronde : les barrières de sécurité mises en place afin de diviser les virages du Stadio Olimpico, qui cristallisent le rejet de ce renforcement de la sécurité dans l’enceinte olympique. Et avec ceci, tout ce qui s’accompagne généralement d’une meilleure maîtrise des foules dans les enceintes sportives : tourniquets, filtrage, pré-filtrage, tessera du supporter, présence policière renforcée. Des membres des forces de l’ordre que l’on attend en nombre, dimanche, puisqu’ils devraient être un bon millier à assurer la sécurité aux abord du stade.
À ce sujet, Il dottor Gabrielli, préfet de Rome, n’a de cesse de le répéter : les barrières dans les virages n’auront plus lieu d’être si les supporters dans l’enceinte du Stade Olimpico respectent les règles de sécurité. Un remède qu’il qualifie lui-même de « malheureux » pour une maladie qu’il s’agit de « vaincre »… Encore faut-il qu’il ne s’agisse pas d’un pansement sur une jambe de bois. Parce qu’encore une fois, le débat n’est pas circoncis au seul monde du football, surtout dans une ville comme Rome où le Vatican se situe à une grosse demi-heure de l’Olimpico à pied. Avec un week-end chargé pour les forces de l’ordre : entre les manifestations et les événements du jubilé ponctués par le derby dominical, tant que les échauffourées, les bombes agricoles et le sang sont évités. Va bene.
Roma Americana
Le renforcement contesté de la sécurité est une des raisons pour laquelle le derby de Rome n’aura (presque) pas lieu. Mais coté ultra, on n’a pas totalement abandonné l’idée de battre le pavé. En grève depuis plusieurs matchs, les supporters des deux camps se sont donnés rendez-vous dans des lieux historiques de la ville, afin que tout ceci sente un peu plus la poudre. 12 h 30 à Campo Tor di Quinto, dans le nord de Rome pour les Laziali, qui ont déjà lancé l’initiative de supporter leur équipe devant un écran géant depuis quelques semaines et le match contre l’Atalanta. Une façon d’entretenir à la fois le soutien à l’équipe et la contestation, à seulement quelques kilomètres de l’Olimpico. À 13 h 30 pour les Romanisti àCampo Testaccio dans le centre-sud, lieu qui a accueilli les matchs de la Louve jusqu’en 1940 et considéré comme le coeur historique de la Roma.
Mais les raisons du désamour ne sont pas seulement sécuritaires. En toile de fond, la gestion des deux clubs est contestée par les supporters des deux camps. Du coté de la Lazio, la belle saison 2014-2015 sans lendemain, a laissé beaucoup d’amertume dans la bouche de ses supporters, que l’Aperol Spritz a bien du mal à faire passer. Éliminée sans gloire à domicile par le Sparta Prague en Europa League, après une petite fessée à domicile (0-3) en mars dernier, dans le ventre très mou du championnat; les Laziali, présidés par un Claudio Lotito mal-aimé, ne trouvent plus de raison de sourire. Du coté de la Roma, si les résultats ne sont jugés que « corrects » malgré l’impressionnante série réalisée par les hommes de Luciano Spalletti, c’est parce qu’on rêvait du Scudetto avant l’éviction de Rudi Garcia. Des espoirs qui ne sont pas vraiment ranimés par le sentiment que cette Roma du tycoon américain James Pallotta est trop éloignée de l’âme romanista. Un Pallotta qui a déçu quant à la gestion du cas Totti. Il fallait bien arriver à le placer quelque part, celui-là.