Le nom de Giuliano Taccola ne vous dit sûrement rien. Pourtant ce jeune attaquant de l’AS Roma a été au centre de l’une des histoires les plus tragiques du calcio. Le 16 mars 1969, Giuliano Taccola décède brutalement dans les vestiaires du stade de Cagliari. Récit de la « première mort suspecte d’un joueur de football » sur fond de dopage.
Giuliano Taccola débarque à Rome en 1967 après des expériences fructueuses à Savone où il participe activement à la promotion du club en Serie B puis au Genoa. L’arrivée de Taccola dans la capitale italienne n’est pas anodine, l’équipe cherche à dynamiser son équipe après une triste dixième place (la Serie A compte alors 16 équipes) lors de la saison 1966-1967. Mais le renouveau des Giallorossi est cristallisé en 1968 par un nouvel entraîneur, l’Argentin Helenio Herrera en qui les supporters voient l’homme providentiel qui saura ramener le Scudetto qui échappe au club depuis 1942. Cependant, l’ancien coach de l’Inter Milan souhaite garder les pieds sur terre : « Si vous pensez que l’AS Roma peut gagner le titre de champion dès cette année, je vous dis tout de suite que se sera difficile. Mais après une saison, l’ambition de l’équipe sera d’aller à la conquête du titre. »
Les nouveaux objectifs du club sont symbolisés par Giuliano Taccola, chargé de mener l’attaque aux côtés de Fausto Landini ou de Joaquín Peiró. Après une première saison pleine de promesses où Taccola termine meilleur buteur de l’AS Roma avec 10 réalisations, sa seconde commence sur les mêmes bases. Mais au même titre que son équipe, les performances de Taccola s’inscrivent en dents de scie en raison de soucis de santé récurrents.
Des médecins sous pression
Depuis le début de la saison les médecins du club ne cessent de détecter des problèmes de santé au joueur : une malformation cardiaque, une opération des amygdales, une bronchite, etc. L’entraîneur Helenio Herrera est loin d’apprécier l’éloignement du terrain de son jeune prodige, n’hésitant pas à faire pression sur les médecins et même à contester leurs diagnostics. Deux semaines après son opération, Taccola revient à l’entraînement à la demande de son coach malgré le repos exigé par les services médicaux. Afin d’accélérer son retour sur les terrains, Giuliano Taccola ingurgite bon nombre de médicaments qui s’avéreront plus tard plus ou moins douteux. Le 2 mars, l’attaquant fait son grand retour lors d’une rencontre face à la Sampdoria. Et la politique médicale du club s’avère inefficace, Taccola sort à la 62ème minute à la suite d’une entorse à la cheville droite.
Malgré sa récente blessure, Giuliano Taccola fait partie du voyage du 16 mars pour le déplacement à Cagliari. Avant la rencontre le jeune attaquant se plaint de fièvre au médecin du club, Massimo Visalli qui lui prescrit alors des antipyrétiques. À la fin du match (0-0), Giuliano Taccola perd connaissance et s’effondre dans le vestiaire romain. Avec l’aide du médecin de Cagliari, Massimo Visalli tente de venir en aide à l’attaquant mais les injections de pénicilline et le massage cardiaque n’y font rien, Giuliano décède avant son arrivée à l’hôpital. Après le décès de l’attaquant, une enquête est ouverte sur la base de l’autopsie du corps. La mort de Taccola donne lieu à un quiproquo médical : de quoi est mort ce jeune joueur âgé de seulement 25 ans ? L’autopsie indique une « insuffisance cardio-respiratoire aiguë ». Mais selon l’ancien médecin du club, le docteur Filipo, l’injection de pénicilline est responsable de l’irréparable. L’enquête avance au ralenti, les années passent et personne n’est inquiété à la suite de cette tragédie. Le 4 janvier 1971, l’instruction menée par le juge d’instruction de Cagliari, Luigi Lombardini, est rendue publique. Et à la surprise générale, la mort de Giuliano Taccola est jugée accidentelle. C’est le début de 30 années de néant judiciaire.
Les joueurs dénoncent les pratiques dopantes
Depuis le début de l’affaire la veuve du joueur, Marzia Nannipieri est persuadée de l’implication de l’AS Roma dans la mort de son mari. Il faut attendre le 19 novembre 1998 pour qu’une investigation sur la « première mort suspecte d’un joueur de football » ne soit ouverte par le procureur de Turin.
Le début de l’enquête amène au premier témoignage. Carlos Petrini, ancien coéquipier de Taccola lors de son passage au Genoa explique alors l’utilisation de « piqûres de régénération » utilisée par les médecins du club.
En parallèle, Marzia Nannipieri est devenu persona non grata en Italie. La veuve est expropriée de son domicile en 2001 et obligée de dormir dans sa voiture. « À Rome le nom Taccola est tabou dans les bureaux de la fédération mais aussi à Trigoria (le centre d’entrainement de l’AS Roma, ndlr) .«
Il faudra attendre 2005 pour qu’un nouvel élément vienne relancer la mystérieuse mort de Giuliano Taccola. L’ancien capitaine romain, Giacomo Losi se confie après avoir gardé le silence pendant 36 ans : « Giuliano avait été récemment opéré des amygdales et après cette opération, habituellement après chaque séance d’entrainement sa fièvre montait et les médecins lui faisaient une injection. Et il se sentait mieux ». Avant d’ajouter : « Le médecin lui interdisait de prendre certaines substances, en raison de ses problèmes cardiaques. » Giacomo Losi en profite pour relater les propos au moins maladroits d’Helenio Herrera une fois la mort de Giuliano confirmée : « Allons, Giuliano est maintenant mort, nous ne pouvons rien faire. Mercredi nous avons un autre match à jouer ».
La même année, Ferruccio Mazzola, ancien joueur de l’Inter Milan sous les ordres d’Herrera, dénonce les pratiques de dopage utilisées par le premier technicien sud-américain a avoir gagné la C1 (1964 et 1965) : « il donnait des pilules à mettre sous la langue » afin d’améliorer les performances sportives.
Presque 50 ans après la mort de Giuliano Taccola, la justice italienne n’a toujours pas établi la moindre responsabilité. Dans sa quête de vérité, Marzia Nannipieri s’est retrouvée seule pour demander justice. Les années ont passé, les scandales liés aux dopages dans le Calcio ont éclaté. La question se pose, la mort de Giuliano Taccola a-t-elle été inutile ?