Les barras existent aussi au Brésil. Et c’est bien différent d’une torcida organizada : dans le stade, la manière de supporter n’est pas la même. Inspirées des hinchas d’Amérique du Sud, notamment de l’Uruguay, pour qui les supporters de Porto Alegre ont un profond respect, les barras brésiliennes sont nées au sud du pays, dans l’état du Rio Grande do Sul. Il y en a plusieurs au Brésil aujourd’hui. La Grinta a rencontré Leandro, un membre de la Geral do Grêmio, première barra du Brésil.
Salut Leandro, tu peux présenter ton groupe de supporter ?
Leandro : Je suis supporter du Grêmio, qui a non seulement le plus grand nombre de supporters au sud du Brésil mais aussi la plus grande barra brésilienne (et la première), la Geral do Grêmio.
Le Grêmio a eu un stade tout neuf construit pour la Coupe du monde, « l’Arena do Gremio ». Ça se passe comment en tribune dans cette nouvelle enceinte ? Y a-t-il encore une âme ?
Leandro : Ce sujet fait justement beaucoup débat, même entre supporters du Grêmio. Nous n’avons jamais gagné de titre dans ce stade, et puis on a eu des problèmes quand ils ont décidé d’interdire les avalanches (lorsque les supporters célèbrent un but en descendant tous en même temps vers le bas de la tribune, ndlr). À mes yeux, c’est juste une mesure désespérée de la CBF (Confédération Brésilienne de Football, ndlr) pour imposer le modèle FIFA. À plusieurs reprises, on n’a pas pu rentrer nos instruments et nos banderoles dans le stade. N’empêche, même avec ça, les gens sont toujours derrière les buts, ils supportent leur club, et suivent ce qu’un de nos chants dit : « Avec toi quand ça va bien, quand ça va mal et plus encore ».
Avalanche de la Geral en 2012 face à Bahia
Il y a une grande diversité des réalisations dans le stade… Finalement que fait la barra brava en tribune et plus globalement, qu’est ce qu’une barra brava ?
Leandro : Les supporters du Grêmio sont les premiers à avoir suivi le modèle latino-américain de la barra brava, alors qu’au Brésil on voit plutôt celui de la torcida organizada (TO). Il n’y a pas de structure hiérarchique… La barra brava vient en tribune, derrière le but et chante pendant tout le match, en faisant du bruit… Les TO font des phrases courtes et percutantes, la barra de longs chants à la gloire du club. On utilise des grosses caisses et des instruments à vent, des tirantes (ces grandes bandes de tissu qui vont de haut en bas de la tribune, voir vidéo ci-dessus, ndlr) et des banderoles. On a pas mal de banderoles derrière le but, où figurent le nom des villes d’où on vient, les portraits des idoles de la Libertadores et du Mondial, les équipes historiques… Les chants reprennent les victoires historiques du club et certains branchent ouvertement nos rivaux, l’Inter de Porto Alegre en évoquant les fois où on les a battu.
Le Brésil est vraiment immense… les déplacements, c’est carrément autre chose qu’en France.
Leandro : Oui… Les supporters du Grêmio, les Gremistas n’habitent pas qu’à Porto Alegre, ils sont un peu partout. Il y a des Geral à Caxias, Florianopolis, Brasilia, Salvador, Rio de Janeiro, Novo Hamburgo, Curitiba, Chapecó… Moi je fais partie des gremistes de São Paulo. On va à chaque déplacement de notre équipe contre les équipes d’ici et des États voisins. C’est plus difficile pour les gens de Porto Alegre de se déplacer à tous les matchs. Du coup, les représentants locaux, dans notre cas la Geral de Sampa (Sampa est le diminutif courant de São Paulo, qui se prononce « Sampaolo », ndlr) s’occupe de remplir les tribunes et de supporter le club.
Tu as un souvenir de déplacement en particulier ?
Leandro : Chaque déplacement a son histoire, ce sont souvent de supers souvenirs. Les matchs de Libertadores sont très particuliers, surtout ceux où l’on joue nos rivaux… En Uruguay on est liés à La Banda Del Parque, des supporters du Nacional. En Libertadores l’année dernière, ils ont agrandi la tribune des visiteurs et on pouvait voir les supporters du Grêmio et du Nacional ensemble. Eux portaient notre maillot, nous les leurs. C’est quelque chose qu’on n’a pas l’habitude de voir et qui m’a marqué. Bien sûr je parle de mon expérience, je ne parle pas au nom de la Geral do Gremio, qui est un groupe énorme de supporters. Chaque supporter de la Geral a des souvenirs différents…
Les supporters font face à de plus en plus d’interdictions… Quelles sont les mesures prises à l’encontre des supporters du Grêmio ?
Leandro : Au Brésil il y a une véritable répression envers les supporters. Avec l’organisation de la Coupe du monde, les choses se sont encore empirées. On ne peut plus allumer de fumigènes, et à São Paulo on n’a plus le droit de rentrer avec des instruments à vents, genre les trompettes. À Porto Alegre, on n’a même plus le droit d’entrer des banderoles, que dalle. Pendant un temps on rentrait sans rien… Malgré tout ça, les supporters sont là, et on chante, sans instrument, sans banderole, sans mosaïque, seulement avec nos voix. C’est pour ça qu’une de nos devises dit : « Ils nous tueront jamais ! ». On a vu la même politique en Argentine, au Chili ou en Uruguay.
Tu viens du sud du Brésil, où tout semble plus politisé. Est-ce aussi exact pour le foot ?
Leandro : C’est vrai que les groupes de supporters sont plus politisés au sud. La Geral du Grêmio est apolitique, mais elle soutient quand même l’indépendance du Rio Grande do Sul. Cela dit, il n’y a pas de réseau antifa comme en Europe, les groupes de supporters, même les torcidas organizadas sont apolitiques la plupart du temps… sans prise de position politique. Perso, je le regrette.
Vous vous intéressez aux championnats étrangers, européens ?
Leandro : Les footeux regardent fréquemment les blogs et les réseaux sociaux qui parlent du foot d’un peu partout… J’apprécie bien le foot français et italien, des équipes comme l’Olympique de Marseille et Sampdoria en Italie, parce que les supporters sont engagés. Et parce qu’en France, il y a beaucoup de joueurs musulmans (Leandro est de confession musulmane, ndlr).
https://www.youtube.com/watch?v=SS_0UIOZz1E&feature=youtu.be
Les Borrachos de São Paulo, section de la Geral do Grêmio, contre le Cruzeiro dans l’Arena en 2015
Propos recueillis par Ophélia F.