Porté par une adaptation tactique, devant, derrière et au milieu, inspiré et dirigé par Manu Trigueros, le Villarreal de Javi Calleja a su dominer la Real Sociedad à la suite d’une première période cohérente mais faillible. Derrière au tableau d’affichage, ils se sont mis à aller chercher les Basques. Et ramènent une victoire précieuse pour clore la première partie de saison.
Un après-midi de janvier, deux maillots aux couleurs tropicales, l’un qui exhale le sable et les arbres rabougris des Caraïbes et l’autre son écosystème marin, des joueurs sensationnels sur toutes les lignes et puis, enfin, un soleil qui cogne tellement qu’on dirait que le ciel l’attendait ivre d’impatience, le début du jeu.
Peut-être parce que positionné du côté ombragé d’Anoeta, Javi Calleja n’a pas enfilé ses lunettes de soleil. Pourtant, face à lui, la Real Sociedad brille depuis qu’Imanol Alguacil l’a reprise en main (à lire Athletic Bilbao-Real Sociedad, l’immortalité des philosophies) et scintille de plus belle depuis cet été (à lire La voie d’Ødegaard), tendant petit à petit vers l’équipe que tout le monde aime adorer. Car tout sur le terrain est préparé pour éblouir la concurrence : tous ses meilleurs éléments interviennent seulement dans les cinquante derniers mètres. Ainsi, la constellation Txuri-urdin semble devoir s’observer à distance. Dans la lunette du télescope, on voit rayonner les astres Ander Guevara, Merino, Ødegaard, Portu, Willian José ou encore Oyarzabal.
Le mur jaune et le plan basque
Au coup d’envoi du match, Imanol Alguacil attaque la rencontre avec un onze sans surprise. La Real Sociedad a une identité de jeu marquée, et désormais connue de tous. Ander Guevara est à la manœuvre, Ødegaard à la folie, et Oyarzabal et Willian José à la finition. Pour répondre au défi basque, Villarreal plante un 4-1-4-1/4-5-1 médian, dans lequel Gerard Moreno, l’attaquant de pointe, établit son campement au niveau de la ligne médiane avant de partir à la chasse des défenseurs centraux à l’extrémité haute du rond central.
L’idée de la bande à Javier Calleja est d’empêcher le ballon d’arriver jusqu’aux pieds offensifs basques, et donc d’installer un pressing haut. Le plan gêne rapidement Nacho Monreal, et Álex Remiro, l’occasion pour le submarino amarillo de faire ressentir les premiers frissons dans les tribunes d’Anoeta.
C’est alors que la zone d’influence du numéro 21 de la Real Sociedad devient de plus en plus petite. Si chaque attaque placée transite forcément, presque obligatoirement, par ses pieds fertiles en chevauchées ballon au pied ou coups de génie, il se retrouve desservi de ballon. Car plus bas, Ander Guevara, la rampe de lancement du système composé de joueurs de couloir qui collent la ligne et d’un attaquant qui sert de point d’appui à hauteur de la dernière ligne défensive adverse pour offrir des espaces au Norvégien, se retrouve face au jeu, certes, mais sans jeu vers l’avant possible. Pour éviter de voir Ødegaard accélérer le jeu basque, les joueurs de Villarreal coupent la relation entre Guevara et le milieu offensif.
Pour avancer donc, Imanol Alguacil fait comprendre à son équipe de repasser par derrière jusqu’à son gardien avec des gestes pas très discrets depuis le bord du terrain qui rappellent le Diego Simeone des grands soirs, costume noir sur les épaules, en vue de protéger son avantage au score en fin de rencontre. Ici la portée est totalement différente et consiste à aspirer le pressing de Villarreal le plus loin de son camp et d’étirer son bloc pour créer des espaces.
Une stratégie qui finit par « valoir son pesant de cacahuètes » (lire avec la voix d’Alexandre Ruiz et en omettant le caractère ironique de cette variante de « valoir son pesant d’or »), quand Merino décroche devant son propre rectangle avant de miser sur Wilian José, descendu plus bas à son tour pour rejouer sur Ødegaard seul plein axe dans sa configuration favorite. Quelques mètres plus haut, il lance Oyarzabal dans la surface qui pense dribbler Sergio Asenjo mais qui le pense seulement. L’avertissement est lancé. Cinq minutes plus tard, Álex Remiro est en possession, Merino récolte à nouveau côté gauche, touche Oyarzabal qui se projette entre les lignes puis s’appuie sur Willian José qui envoie le ballon dans la course de Zaldúa côté droit. Le renversement est contré et revient dans les pieds de Guevara, au cœur du jeu, qui essaye aussi. Mais la passe est trop longue. Et la méthode ne paye pas.
Ces manœuvres se répéteront encore quatre fois entre la 40ème minute et la 44ème. À la source, un pressing très souvent mal coordonné des joueurs de Calleja et une attitude détendue dans les duels face à des joueurs d’une qualité technique très élevée. Preuve de cette impuissance à la conquête du ballon : à la mi-temps, Villarreal n’aura intercepté qu’un ballon dans le camp adverse. Et bilan : la Real Sociedad s’est créée beaucoup d’occasions mais si aucune de ces séquences n’a été la bonne, Villarreal le doit en partie à sa défense, maintenant sa surface saine, sans devoir solliciter un arrêt hors-norme d’Asenjo. Un constat qui peut paraître humoristique au regard des maux qui ont rongé l’équipe de Calleja la saison dernière.
Finalement, si durant ces quatre minutes à l’approche de la pause, le quatuor défensif Xavi Quintillá – Pau Torres – Raúl Albiol – Mario Gaspar a sauvegardé le un et non le zéro, c’est qu’une vingtaine de minutes avant, l’équipe a payé les frais d’une saute de concentration à la retombée d’un second ballon dans l’axe. Ander Guevara récupère au centre, passe dans le trou du mur de trois amarillos à Merino qui s’oriente superbement vers le but, transmet à Martin Ødegaard qui joue avec son corps pour fixer puis met Portu sur orbite pour permettre à Willian José de mettre les Txuri-urdin devant. Les joueurs de Villarreal connaissaient les ficelles, mais la Real Sociedad ne pardonne jamais ceux qui lui laisse un intervalle. Le même mécanisme s’était enclenché et ils avaient subi le même sort que les autres.
La passe verticale (et cachée de Guevara), la fixation axiale d'Ødegaard (et le bonbon pour Portu), les petits pas (et la conclusion) de Willian José. Fútbol ! pic.twitter.com/Alt1j84FaM
— Rémi Dendani (@rmdendani) January 5, 2020
La réponse de Calleja
Au retour des vestiaires, Villarreal garde ses ambitions, garde les mêmes cartes, mais change son plan. La clé de la surface basque est désormais cherchée à travers des danses de ballon et des projections de Samuel Chukwueze et Gerard Moreno, associés au sommet d’un 4-1-2-1-2, derrière lesquelles Manu Trigueros se place en n°10 défensif pour activer la pression sur Ander Guevara et les lancer en profondeur. À la manœuvre des trois buts suivants, l’Espagnol interprète le rôle de l’ombre d’actions lumineuses.
Avec un milieu en « rombo », Javi Calleja à pour but d’orienter la sortie de balle sur les côtés et d’y piéger les joueurs d’Imanol Alguacil dans une situation où toutes les solutions courtes sont bloquées, comptant sur le coulissement de ses milieux intérieurs pour resserrer sur les latéraux adverses. Villarreal marque individuellement chaque basque au cœur du jeu. Ce schéma de pressing permet la récupération haute. En seconde période, Villarreal récupère cinq ballons, contre un en première.
Quinze minutes plus tard, alors que les pourcentages de possession de balle ont nettement évolué, passant de 62% à 39% contre 54% à 46%, Trigueros allume la mèche : il récupère le ballon, et lui fait directement gagner des mètres en cherchant la dynamite de son attaquant nigérien. Chukwueze fait maintenant trembler Anoeta quand Zubeldia le tacle au bout d’un run de trente mètres et l’arbitre indique le point de penalty. Puis VAR : penalty confirmé. Après le coup de sifflet de l’arbitre, le milieu envoie la balle au fond des filets.
Alors que l’impression de vitesse peut faire croire à une série de contres vertigineux, les joueurs de Calleja ont fait mal à la Real Sociedad en construisant le jeu sur attaque placée. À la 59ème, Trigueros est à la manœuvre, et à la dernière passe d’une chorégraphie asphyxiante. L’action la plus symbolique de la seconde période. Suite à une récupération de balle sur le côté, où ils ont emmené jouer ceux d’Imanol Alguacil après la pause, Trigueros réorganise la possession de son équipe. Ensuite, six joueurs dont Asenjo participent à la réplique et mènent le ballon dans les pieds de Trigueros, plus haut sur le terrain qu’à l’origine de l’action. Au bout : une caresse du droit, Chukwueze qui court à toute allure vers Remiro et place un lift imparable. Puis VAR : hors-jeu, but refusé. À la 72ème, il se place au début de la chaîne d’une symphonie, qui prend des airs de samba tant les maillots jaunes ne cessent de se croiser et qui termine pour un Cazorla toujours infaillible proche du but. Puis VAR : pas hors-jeu, but validé.
Auteur d’une prestation distinguée comme contre Valence, l’Atlético de Madrid, Séville et Getafe, Manu Trigueros a paralysé la possession basque et organisé la manœuvre avec le ballon. Et a encore marqué les esprits par sa capacité à prendre l’initiative quand son équipe en a le plus besoin. Un volume de jeu et de création colossal auquel la Liga s’est habituée. Par rapport à la saison passée, il faut souligner que la présence de Zambo Anguissa et d’Iborra pour étouffer le porteur et donner de l’air à la relance permet à Trigueros de gagner en liberté. Mais plutôt que Trigueros, c’est Javi Calleja qui a répondu à Imanol Alguacil. Au retour sur le terrain, il a réalisé un grand coup tactique et repris la main. Le pressing à deux attaquants de pointe a fait paniquer la défense de La Real, la présence d’un 10 a bloqué le pivot Ander Guevara, Santi Cazorla entré à la place de Moi Gómez a amené ses bons pieds au cœur du jeu pour favoriser le contrôle et Alberto Moreno entré à la place de Quintilla a verrouillé le côté droit de Januzaj dans une fin de match où ils se sont ensuite résignés à défendre en fermant les espaces.
Face à des basques prêts à tout pour revenir au score, les joueurs de Calleja ont abandonné le ballon et offert une fin de rencontre à remettre en perspective avec la première période. Car s’ils sont parvenus à maintenir leur adversaire à distance dans un match décisif et à gérer le tempo sans le ballon en réduisant les espaces mais en offrant du temps, réussissant ainsi à fermer le jeu en défendant, ils ont montré en première période des soucis dans le pressing haut qui ont failli les faire couler à plusieurs reprises. Si l’éclosion de Pau Torres et l’arrivée de Raúl Albiol ont fait monter en puissance toute une organisation défensive, elle reste un vrai défi.