Au terme d’un match débridé, le Barça a totalement relancé la Liga en s’imposant au Bernabeu. Profitant de l’espace créé entre les lignes par un pressing madrilène infructueux, Messi s’est régalé dans la position de faux 9 qui a fait sa légende sous Guardiola. S’il a confirmé ses lacunes défensives, le Barça a montré qu’il était toujours au niveau dans l’utilisation du ballon. Le match a basculé à l’heure de jeu avec l’expulsion de Ramos.
Que serait le football sans la loi 12 ? Plus particulièrement sans l’alinéa qui stipule que l’anéantissement d’une occasion de but manifeste doit être puni d’un carton rouge ? Sur le plan de la stratégie et de l’anticipation tactique, il serait privé de ce qui fait son essence, voire même sa supériorité intellectuelle sur les autres sports collectifs.
Sergio Ramos peut pester, comme Manuel Pellegrini ou Wenger l’ont fait avant lui, le carton rouge qu’il a reçu à la 63e minute du clasico dimanche soir sanctionne un Real qui n’a pas été capable de se prémunir de la qualité d’un adversaire qui lui a été supérieur dans l’utilisation du ballon. Sans cette juste loi, élaborer un plan défensif aurait moins de sens.
Le pressing haut du Real et le problème Xabi Alonso
Dès les premières minutes, les Madrilènes impriment au Barça un pressing très haut. Emmenés par un Di Maria hyperactif, Xabi Alonso, Modric, et même Marcelo, viennent chasser le ballon très haut, espérant perturber la sortie de balle barcelonaise. Certainement dans le but d’intimider d’entrée une équipe catalane qu’ils pouvaient mettre à 7 points en cas de victoire.
La limite de cette conquête téméraire : quand Mascherano casse la ligne et trouve la verticalité par sa relance, Messi se trouve « seul » face à Pepe et Ramos, délesté du marquage de Xabi Alonso, qui devrait être sur son dos lorsque l’on superpose les deux 4-3-3 que se sont opposés Ancelotti et Martino. C’est cette liberté, qui provoque la première frappe croisée de Neymar, et surtout l’ouverture du score rapide du Barça.
À la fois sentinelle et chien fou dans ce 4-3-3, le Basque souffre déjà terriblement sur le premier but (7e). Il est d’abord attiré sur sa gauche par Messi, avant d’aller dans la suite de l’action chasser Xavi jusqu’au rond central, puis Neymar et Cesc sur ce même côté gauche (droite de l’attaque). Facilement éliminé par une passe de Cesc, son « absence » pousse Ramos à sortir, l’alignement madrilène est détruit et la défense à découvert. Messi peut dégainer une de ses spéciales : la passe en diagonale vers la gauche. Carvajal est attiré vers l’axe et Bale continue à marcher, visiblement pas encore au fait du replacement imposé par la vitesse de circulation de balle du Barça.
Ce pressing haut créé le déséquilibre car à la fois le milieu et l’attaque sont attirés par le ballon au moment de la relance barcelonaise. Ainsi, le Real, en phase défensive, s’est souvent trouvé dans une sorte de 4-0-3-3, lassant un trou béant entre le milieu et la défense (la zone de Messi), forçant Ramos et Pepe à des sorties qui ont brisé son alignement et ouvert des portes dans l’axe.
Mais tout part du pressing : chaque joueur doit compenser la zone abandonnée par son voisin donc abandonner la sienne. Le déséquilibre naît de cet effet domino.
- Pepe, attiré par le décrochage de Neymar, sort de son axe droit. Ramos suit le mouvement et demande la remontée de la ligne. Mais Fabregas est sans opposition et la passe peut partir. Messi échoue face à Diego Lopez, mais le Real passe déjà tout prêt de la catastrophe avant son gros temps fort de la première mi-temps.
Le temps fort de l’axe Di Maria – Benzema : Barcelone toujours friable dans les airs
Cela dit, cette approche agressive va un temps donner l’impression d’être payante. Après 20 minutes assez ouvertes, mais très instables défensivement pour Madrid. C’est en appuyant très fort sur la faiblesse aérienne de l’axe central catalan que le Real va revenir dans la partie et même passer devant, à l’initiative de ses deux atouts offensifs majeurs : Di Maria et Benzema.
Les deux buts viennent du côté gauche et finissent au premier poteau, sur l’axe droit du plus petit stoppeur barcelonais : Mascherano. D’une façon assez surréaliste, au ¼ du match, le Real passe devant après deux minutes de folie en attaque placée rapide. En s’appuyant à chaque fois sur le même circuit : une attaque de la droite vers la gauche, qui finit par l’axe Di Maria – Benzema. Le Français passe tout près du 3-1 en appliquant toujours la même recette.
Après cet inquiétant temps faible, riche en enseignements négatifs derrière, confirmant sa faiblesse aérienne, le Barça va remettre le pied sur le ballon, continuant à être dangereux dans les mêmes circonstances que dans les 20 premières minutes, les mêmes causes produisant les mêmes effets. Paradoxalement, le Barça égalise en attaque placée alors que les Blancs défendent à 9 (4-1-4). Mais le but est tout de même symptomatique des maux défensifs merengue. Messi décroche, élimine facilement Xabi Alonso d’une passe verticale avant de faire la différence en percussion face à une charnière centrale à découvert qui doit sortir pour combler le gap. La mi-temps s’achève dans la même frénésie offensive : Ronaldo est cherché directement par Di Maria puis c’est Benzema qui, après une combinaison Carvajal – Bale, est tout prêt de signer un triplé de la tête.
Madrid toujours haut
La deuxième mi-temps part sur les mêmes bases, avec un Madrid agressif et presseur. L’occasion pour le Barça de prouver qu’avec Busquets, Xavi, Cesc et Iniesta, il a toujours la qualité technique pour se sortir de ce pressing haut. Cette approche est tout de même payante sur le penalty polémique de la 54e qui permet à Madrid de repasser devant. En force.
Devant au score mais fatigué par un pressing épuisant, le Real va reculer, repassant à un 4-4-2 à plat. L’occasion pour le Barça de le travailler en largeur en posant de plus longues et plus calmes séquences. Le pressing du Real baisse au fil d’une deuxième mi-temps dans laquelle les Madrilènes semblent connaître un creux athlétique, sûrement exténués par le pressing « simeonesque » qu’ils ont imposé d’entrée au Barça. Ce coup de mou, les fait chuter à la fois physiquement mais aussi dans la lucidité.
Le rouge / 2e Diagonale
Sur l’action fatale du carton rouge, Modric rend rapidement le ballon par manque de justesse et de fraîcheur mentale, avant que Di Maria ne se jette dans un pressing naïf, facilement éliminé par une passe d’Alba à Xavi. Messi décroche pour toucher le ballon entre ces lignes distendues, au cœur d’un Real fatigué. Il pose à nouveau une passe au sol laser et élimine deux lignes d’un coup. Ramos touche Neymar dans la surface. Le Barça fait changer le match dans les mêmes circonstances qu’à Manchester, Messi jouant ici le rôle qu’avait joué Iniesta, et Neymar celui de Messi.
Penalty et rouge. Même s’il a connu d’intenses (mais éphémères) temps forts, le Real passe à la caisse logiquement, payant un déséquilibre effectif depuis le début du match.
Un seul changement après le rouge
Son équipe réduite à dix, Carlo réorganise ses hommes dans un genre 4-4-1/4-3-2 en sortant Benzema pour replacer Varane à la place de Ramos. Logiquement, le Real recule et laisse l’opportunité au Barça de le cuisiner en attaque placée. L’équilibre est de plus en plus précaire, et le ballon rendu de plus en plus rapidement. On peut se demander pourquoi Ancelotti n’a pas choisi d’injecter du sang neuf à ce moment-là, notamment en faisant entrer Illaramendi à la place de Xabi Alonso ou Modric. Surtout compte tenu de la valeur d’un match nul au classement de la Liga. Le coach italien n’opérera son second changement qu’à la 85e. Martino, lui, ne se prive pas et fait entrer Pedro et Alexis sur chacun des flancs de son attaque.
Le Barça joue à sa main, faisant circuler lentement le ballon dans des espaces de plus en plus grands. Alves trouve le poteau à la 74e. En faisant tranquillement vivoter le cuir, à deux-trois touches de balles, les Catalans utilisent la largeur offerte par Alves à droite et par Pedro à gauche. C’est Iniesta, auteur d’un récital technique qui fait basculer la rencontre sur un changement de rythme fatal. Xabi Alonso conclut son chemin de croix par un penalty concédé.
Signe d’un Real exténué et en manque total de lucidité, c’est une prise à deux qui provoque le penalty. En surnombre, Carvajal et le milieu basque sont incapables de stopper l’accélérateur de particule espagnol, à nouveau au dessus du lot techniquement.
Messi – Ronaldo
Hauteur d’une prestation de haut vol récompensée par un triplé et impliqué dans les 4 buts de son équipe, l’Argentin a survolé l’éternel match dans le match qui l’oppose à Ronaldo. La Pulga a épuisé Xabi Alonso par ses décrochages et dominé le 1 contre 2 qui l’opposait à Pepe et Ramos. Profitant de l’espace qui s’est offert à lui entre les lignes madrilènes, il a créé de nombreuses différences par ses mouvements, sa qualité de percussion et ses passes diagonales.
Le Portugais a réalisé une performance plutôt décevante, ralentissant la verticalité du Real en jouant mal les coups offensifs. Trop obsédé par le but, il a favorisé l’aspiration de son milieu et accentué la vulnérabilité défensive de son équipe, la transformant plus que jamais en 4-0-3-3 en polarisant le ballon à mauvais escient, plutôt que de le lâcher rapidement.
Conclusion
Carlo Ancelotti a clairement sous-estimé le Barça. Du moins sa force de frappe offensive, due à sa maîtrise technique toujours supérieure. Faire vaciller le Barça en attaque rapide en insistant sur sa faiblesse dans les airs était pertinent, mais le presser « tout-terrain » est un plan trop harassant athlétiquement. Les Catalans sont facilement sortis du pressing madrilène et ont dominé le milieu. L’écart entre les lignes a été fatal à Madrid. Xabi Alonso a vécu un calvaire et l’absence de Khedira s’est terriblement faite ressentir.
Délicieux en termes de spectacle, de suspense et d’intensité, ce Clasico fut tout de même nivelé par le bas défensivement, tactiquement et individuellement. La charnière centrale du Real fut constamment à découvert, forcée de couvrir le trou laissé par la multiplicité des tâches confiées à Xabi Alonso, trop court athlétiquement pour s’acquitter d’un tel abattage. Ancelotti a clairement eu les yeux plus gros que le ventre en demandant un tel pressing à ses joueurs.
Le Real a touché en un match toutes les limites défensives son trident dans le cœur du jeu. Même si certaines prestations, comme le déplacement à Bilbao, ou au Calderon face à l’Atléti, les avaient déjà laissé entrevoir.
Le Barça a globalement été supérieur mais il a suffit aux Madrilènes d’un plan simplissime (débordement – centre – tête) pour passer tout près de prendre 2 buts d’avance. Iniesta et Messi ont offert une prestation de haut vol et la justesse du losange Busquets – Xavi – Iniesta – Cesc a permis à Barcelone de se sortir du pressing madrilène. Ajoutés à cela, les décrochages de Messi ont rendu la mission impossible et la supériorité totale au milieu. Depuis son âge d’or 2009-2011, c’est surtout défensivement que le Barça a régressé.