Vous connaissez certainement la Quilmes. Si vous n’avez jamais goûté à la bière nationale argentine (et, honnêtement, vous pouvez vous en passer), vous avez sûrement déjà vu le nom de cette binouze sur le maillot de Boca ou River dans les années 90.
Mais Quilmes est bien plus qu’une marque de bière, fût-elle la plus consommée du pays : c’est une institution. Grâce à des campagnes de pub d’une qualité rare, elle est devenue un symbole national.
À tel point qu’elle n’a même plus besoin, dans ses pubs, de dire « buvez de la Quilmes » : tout le monde le fait déjà. Alors elle peut parler d’autre chose, pour se donner une image encore plus sympa. Le rêve de tout publicitaire.
Si les pubs Quilmes jouent surtout sur la corde « mes amis, mes amours » et les stéréotypes de genre, elles sont devenues au fil des années une composante de l’identité nationale argentine. Rien que ça.
Et l’Argentin moyen, il vibre forcément devant le foot, n’est-ce pas ?
Oui : dans un pays aussi religieusement footeux que l’Argentine, Quilmes a réussi à se faire le porte-drapeau exclusif de l’Argentine et de sa sélection. Et avec brio. À chaque Coupe du monde, les publicitaires de la marque de bière nationale remettent ça. Mais qu’est-ce qu’on met dans une pub Quilmes pour la Coupe du monde ?
- Du patriotisme
C’est évident, mais dans toutes ces pubs, vous verrez du céleste et blanc. Beaucoup de céleste et blanc. Et aussi des piques aux autres grandes nations en forme de « chiche ! » : en 1998, « Allemagne, Brésil, Angleterre, France, Italie » sont défiés : aucun de ces adversaires ne fera le poids contre la Selección, promet le spot. Et en 2010, une foule fort virile chante l’air de l’hymne national, toute drapée des fameuses couleurs traditionnelles :
- De la musique
Les publicitaires le savent : la pub, quand ça chante, ça marche. Alors Quilmes le fait. Et pas seulement avec l’hymne national. En 1994, c’est sur un air bien de l’époque, massacré au synthé, que l’Albiceleste part pour la USA World Cup. Et en 2002, une chanson de type rock nacional est composée spécialement pour l’occasion. En 2006, deux spots : pour l’un, pas de chanson, mais le récit de la voix off est en vers. Pour l’autre, une reprise d’un classique du groupe de hard rock Attaque 77 :
- De l’histoire
Parce que l’histoire de l’Argentine est indissociable de celle de sa sélection, et inversement. La chanson de rock nacional de 2002 retrace toute l’histoire du football argentin, de l’amateurisme des débuts au XXIe siècle, en passant par les deux titres mondiaux, et les exploits de Kempes et Maradona :
En 2002 encore, c’est justement Maradona qui joue les vieux sages en parlant de l’amour du maillot. En 2010, rebelote : on se repasse les grands moments. La main de Diego en 86, la reprise de volée de Maxi Rodríguez en 2006, le but de Palermo sous le déluge en 2009… Parce que ce sont ces grands moments qui font que le foot est une quasi-religion. D’ailleurs, la religion, venons-y :
- De la religion
On s’en doute, le pays qui a vu naître l’Église maradonienne a un rapport spécial au foot. Et à lui-même, aussi. Disons-le : les Argentins ne se prennent pas pour de la merde. « Dios es argentino », dit-on ? Ça ne s’arrange pas aujourd’hui : le Pape et le Messi(e) aussi sont argentins.
Et c’est pour ça qu’en 2010, c’est tout simplement Dieu himself qui parle aux Argentins. « C’était moi le poteau à la dernière minute en 78. C’était moi la transversale contre la Yougoslavie en 90… Mais ce n’est pas moi qui ai mis cette reprise de volée magique dans l’angle. Ce n’est pas moi qui ai couru 50 mètres avec le ballon… »
En 2006, encore : « Béni soit ce Mondial dont nous rêvons. Bénis soient tous ces garçons que nous formons. Bénie soit notre fierté en entrant dans le stade !… » Et les images des cierges à la Vierge Marie ne manquent pas d’appuyer le propos de cette voix off épique. Ni les images, ni la bande son.
- Du volume
Car oui. Une pub Quilmes pour la Coupe du monde, c’est avant tout une bande-annonce de blockbuster. Il faut motiver les Argentins comme des soldats partant au front. Et pour ça, ne pas hésiter à faire un spot que ne renieraient pas Michael Bay ou Roland Emmerich. En 1998, la voix off est nasillarde et franchement moche. Pourtant, le spot n’est pas loin de lui donner le charisme d’un chanteur d’opéra : « Nous vous envoyons 22 de nos meilleurs hommes, qui ont vêtu sous leur peau 33 millions de personnes assoiffées d’une nouvelle Coupe, pleine de football et de gloire. » Avec moult violons pour enrober le tout. Et en 2010, la parole divine est aussi accompagnée d’une musique de blockbuster aussi fine qu’une fondue savoyarde.
Quant à la pub de 2006, certainement la meilleure et assurément la plus connue, on y trouve assez de dramaturgie et d’exaltation patriotique pour faire passer un meeting de Nicolas Sarkozy pour une réunion Tupperware.
Dans ses pubs pour la Coupe du monde, Quilmes a réussi à s’arroger le quasi-monopole du patriotisme footballistique. L’histoire, le rock national, la religion, tout ça enrobé d’une dramaturgie de film hollywoodien : c’est à n’en pas douter une recette gagnante.
Tout publicitaire qui veut profiter de la Coupe du monde pour faire dans le chauvinisme doit partir de là. Tout simplement parce qu’en la matière, on n’a encore jamais fait mieux. En attendant les nouveaux spots pour le Brésil, qui ne devraient pas tarder !