Jorge Sampaoli est un obsédé de l’hermétisme. Un sélectionneur qui ne laisse rien au hasard pour garder secret ce qui fait la force de la sélection chilienne. Et pour cause. Il a toujours mis tous les moyens de son côté avec des assistants particuliers pour optimiser les performances en facilitant la préparation de match par la découverte du plan de match adverse. Sauf que parfois, tout ne se passe pas comme prévu. Récit.
Dimanche 11 octobre 2015. À deux jours de la rencontre entre le Pérou et le Chili dans le cadre des matchs qualificatifs à la Coupe du monde 2018, plusieurs journalistes chiliens accrédités assistent à l’entraînement de la sélection péruvienne en passant sans encombre le point de contrôle à La Videna (le centre d’entraînement du Pérou). Parmi eux, figure un homme grand, mince, timide, accréditation et veste nouées au cou. S’il parle et échange avec ses « confrères », il est surtout là pour écouter et recevoir des données et des informations du Pérou et de ses joueurs.
Parce que notre homme n’est en réalité pas journaliste. Il s’agit de Cristián Leiva, un des collaborateurs de Jorge Sampaoli. Un des espions du staff technique de la sélection chilienne. Un fonctionnaire qui, jusqu’à maintenant, exerçait son travail dans le plus strict anonymat avant d’être repéré par un journaliste du journal local, Le Líbero, qui a révélé l’affaire et qui a, de facto, mis en danger le rôle stratégique de Leiva. Car avant chaque match, une pensée obsède Jorge Sampaoli : comment se déroule la préparation adverse ? Pourtant, les Péruviens connaissent les méthodes de Sampaoli pour récolter des informations. Ils le savent puisque le stratège a dirigé les clubs péruviens de Juan Aurich, Sport Boys et du Sporting Cristal avec la même minutie. Ce qu’ils ne savaient pas en revanche, c’est si Leiva serait infiltré ce jour précis.
Comment Sampaoli utilise-t-il un espion ? De différentes façons. Certains se comportent comme des supporters, d’autres montent aux arbres, à des toits ou des bâtiments adjacents. Si tous les profils sont les bienvenus, la figure du journaliste reste la plus souvent utilisée. Par exemple, lors de la dernière Copa América, Matías Manna a rejoint une conférence de presse de la Bolivie avec le même rôle, sans être remarqué. La clé est la discrétion. Et Francisco Varela, espion de Sampaoli lors de la Coupe du monde 2014, le sait mieux que quiconque.
Cristian Leiva, lui, s’est fondu dans la masse pour mieux se rapprocher des journalistes péruviens. C’est ainsi qu’il a pu connaitre les problèmes physiques du latéral Luis Advíncula. « Il a assisté à l’entraînement durant les 20 minutes autorisées pour les médias. Il a discuté avec quelques-uns d’entre nous. Il n’a pris aucune note ni enregistré quoi que ce soit », a révélé Carlos Lara, journaliste pour Perú 21.
Si bien qu’après avoir gagné la confiance des médias locaux, il a pu récolter quelques infos. « On lui a dit que Ricardo Gareca (le sélectionneur péruvien) avait des doutes sur le côté gauche de sa défense. Il nous a aussi demandé si Jefferson Farfán allait jouer. Il a seulement écouté, il n’a jamais pris de notes et cela nous a interpellé. Un journaliste en prend toujours habituellement. » Dans la discussion, Leiva a également appris que les joueurs avaient l’habitude d’utiliser des bâtiments voisins à la Videna. Alors il en a profité pour observer quelques entraînements.
Avec ses « confrères », pour mieux masquer ses prétentions, plutôt que de parler football, Leiva a préféré faire quelques références à la gastronomie péruvienne. « Il nous a dit que la nourriture était très riche et qu’il avait déjà goûté à beaucoup de produits différents. Et après, il nous a promis qu’il nous inviterait à manger », clame un témoin. Et tout cela en faisant fi des véritables raisons de sa présence et en cachant sa véritable identité. Mieux, en donnant de fausses informations. « Il nous a dit qu’il logeait à l’hôtel Sheraton, certains se sont proposés à le déposer, mais il a répondu qu’il préférait rentrer seul. »
Lors de sa conférence de presse d’avant-match à Santiago, Sampaoli a nié le fait que Leiva avait joué l’intrus. « Cristian travaille avec nous et il est avec nous (ndlr : à Santiago, et pas au Pérou). Peut-être que le nom est sorti de là-bas et pas ici. Nous avons un groupe de travail qui est à la recherche de la moindre information pour le match, et Cristian est avec nous. » Leiva était un ancien adjoint de Sampaoli à l’Universidad de Chile et son rôle d’espion au Chili aurait commencé lors du match qualificatif à la Coupe du monde face à la Colombie à Barranquilla (3-3).