En 15 ans, le football professionnel italien a vu plus d’une centaine de clubs disparaître. Alors que la dette globale des équipes italiennes avoisine les 2 milliards d’euros, nous avons décidé d’enquêter sur les raisons de ce fléau.
C’est officiel depuis le 14 juillet, neuf clubs de Lega Pro seront exclus du football professionnel la saison prochaine, faute de moyens. Un mois avant, c’était l’emblématique club de Parme qui était déclaré en faillite, alors que son ex-président fait l’objet d’une enquête pour détournement de fonds et auto recyclage avec méthode mafieuse.
Parme, la Fiorentina (2002) ou encore Naples (2004), sur le chemin du déclin, le Calcio ne compte plus ses clubs qui ont sombré. En l’espace de 15 ans, ce n’est pas loin d’une centaine de sociétés footballistiques, toutes divisions confondues, qui ont été déclarées en faillite.
« Le mal est structurel », affirme Marco Bellinazzo journaliste à Il Sole 24 Ore, quotidien italien d’information économique. Selon ce spécialiste de l’économie sportive, il faut remonter une vingtaine d’années en arrière pour trouver les raisons de toutes ces faillites. « Dans les années 90, le championnat italien était à son apogée, les droits TV ont explosé, les clubs italiens ont touché beaucoup d’argent ». Cet argent, ils ne l’ont pas bien utilisé, « au lieu d’investir dans des nouveaux stades, en merchandising ou dans les centres de formation comme les Allemands ou les Anglais, les Italiens ont acheté les meilleurs joueurs, au prix fort ».
Le Calcio est alors l’un des championnats les plus puissants, entre 1994 et 2010, 5 Ligues des champions sont remportées par les clubs transalpins.
Des stades «vétustes»
Mais ce succès a eu son temps. Dans les années 2000, beaucoup de clubs se retrouvent endettés. Alors que les ressources liées aux stades et à la vente de maillots explosent dans les autres grands championnats, la Serie A reste dépendante des droits TV. Ils représentent 58 % des revenus, tandis que la part des recettes liées à la vente des billets n’est que de 11%, contre une moyenne européenne à 30%. « À part la Juventus et quelques clubs, la plupart des stades italiens sont vétustes, cela n’attire pas les foules. Les clubs italiens peinent aussi à vendre leurs produits dérivés », constate Marco Bellinazzo.
À titre de comparaison, la billetterie de la Juventus de Turin, la plus rentable d’Italie, a généré 38 millions d’euros de recettes. Celles d’Arsenal, de Barcelone ou du Real Madrid dépassent les 100 millions. Pour les recettes commerciales (ventes de maillots, sponsors) elles rapportent 96 millions d’euros à l’AC Milan en 2013, meilleur élève d’Italie en la matière, devant l’Inter et la Juve avec 68 millions d’euros chacun. La même année, le Borussia Dortmund touche 109 millions d’euros de recettes commerciales, et le Bayern Munich 237 millions.
Les années avancent, l’écart se creuse. L’instauration du fair-play financier par l’UEFA est un coup dur pour le Calcio. Les clubs n’ont plus le droit de dépenser plus d’argent qu’ils n’en gagnent. Mis à part la Juventus et le Napoli, les clubs italiens sont très endettés, « pour rééquilibrer leurs bilans, ils ont dû vendre leurs meilleurs joueurs », explique Marco Belinazzo. Le Calcio devient moins attractif et rentre dans un cercle vicieux : les matchs sont moins spectaculaires, les stades vétustes, l’affluence baisse, les recettes diminuent ou n’augmentent peu… Les dettes s’allongent.
En 5 ans, la dette globale des équipes italiennes augmente de 27 %. Elle s’élève à 1,7 milliard d’euros aujourd’hui. Dernière victime en date : le Parme FC, ancien club de Thuram, Cannavaro et Crespo qui a fait les beaux jours du championnat italien (4 Coupes d’Europe). Les joueurs ne sont plus payés et le club parmesan n’est pas en mesure de rembourser ses dettes, elles sont colossales : 218 millions d’euros.
« Massimo Moratti a déboursé plus d’un milliard d’euros pour l’Inter »
Avec la crise, les riches propriétaires sont de plus en plus réticents à investir sur le marché ou à combler les dettes de leur poche. « Massimo Moratti a déboursé plus d’un milliard d’euros en 18 ans pour l’Inter Milan. Silvio Berlusconi, a sorti 750 millions de ses poches depuis qu’il gère le Milan AC », relève Marco Belinazzo.
Et basta ! Fini les gros coups des années 1999-2001. À l’époque, le Milan achetait Rui Costa pour la bagatelle de 42 millions d’euros, l’Inter en claquait 45 Pour Vieri, la Juve s’offrait Buffon pour 54 millions, tandis que la Lazio enrôlait Mendieta, et surtout, Crespo, respectivement pour 48 et 55 millions d’euros. Depuis 2001, ce top 5 des transferts les plus onéreux d’Italie n’a pas bougé d’un iota.
Panique en Lega Pro
Conséquence directe de cette baisse d’investissement : une hécatombe parmi les clubs de Lega Pro. La troisième division italienne est de loin, la plus touchée par la crise. « Les clubs de Serie A achètent désormais à moindre coût, note Valentin Pauluzzi, fondateur du site Calciomio. Les joueurs évoluant dans les divisions inférieures sont italiens, mais trop chers, les grosses écuries préfèrent donc importer des joueurs étrangers bon marché ».
Résultat, la part des ressortissants étrangers dans les effectifs de Serie A est passée de 36 à 54,8 % entre 2006 et 2014, selon l’Observatoire du football, un sérieux manque à gagner pour la Lega Pro, dernière division professionnelle avant le championnat amateur (Serie D). En 15 ans, l’ancienne Serie C a vu couler 107 de ses navires, parmi lesquels Piacenza, la Salernitana ou Avellino.
Mais si la majorité des clubs ruinés sont issus de Lega Pro, c’est aussi et surtout parce que ces derniers manquent de sponsors sérieux. « Avec moins de revenus issus des ventes, et des droits TV quasi-inexistants, les clubs de Lega Pro dépendent des recettes de la billetterie, et surtout, d’entrepreneurs, qui, avec la crise, sont de plus en plus rares », renchérit Valentin Pauluzzi. En témoigne l’aveu d’impuissance de Gianluigi Buffon, propriétaire du club de sa ville, la Carrarese. Le portier de la Nazionale a décidé de vendre les parts de son équipe d’enfance, faute d’avoir trouvé des entrepreneurs locaux enclins à lui donner un coup de main pour entretenir ce club, qui sera entraîné l’année prochaine par Gennaro Gattuso.
Des salaires de Lega Pro à plus de 60000 euros l’année
Sans financement, difficile d’assumer les salaires de joueurs « trop bien payés », d’après Valentin Pauluzzi. Les joueurs de Lega Pro touchent en moyenne 25000 euros par an, et 15% d’entre eux touchent plus de 60000 euros, un revenu digne d’un joueur de Serie B. Au total, les salaires représentent 78% des dépenses des clubs de troisième division. Selon le fondateur de Calciomio.fr, les présidents sont aussi fautifs : « Ils dépensent beaucoup d’argent, notamment en salaires, sans assurer leurs arrières », à l’instar de Parme, plusieurs faillites en Lega Pro ont été imputées aux gestions désastreuses de leurs propriétaires.
Avec trop de dépenses et des difficultés à diversifier ses ressources, celle qu’on appelait la Serie C est sur le déclin. Depuis 2008, 75 clubs ont fait faillite. Et l’hécatombe continue, l’année prochaine, neuf sociétés sportives de Lega Pro quitteront le football professionnel, faute d’avoir pu régler l’inscription au championnat. Parmi lesquelles, Venise, la Reggina, ou encore, le Real Vicenza.
D’autres clubs proches de la faillite
Mais que font les pouvoirs publics ? « Les responsabilités sont aussi celles de la FIGC [la Fédération Italienne de Football, ndlr] et de la Ligue, qui n’ont pas suffisamment contrôlé la situation. C’est dans l’intérêt de tous de renforcer les contrôles », estime le capitaine du Parma FC, Alessandro Lucarelli. Michele Uva directeur général de la fédération italienne nous répond : « La FIGC fait tout ce qui est en son pouvoir en matière de contrôle des activités financières des clubs ». Et d’ajouter : « La nouvelle direction a entamé des réformes pour renforcer la structure de la fédération et ses mécanismes de contrôle ».
Des négociations sont en cours, les dirigeants de la FIGC et son président, Carlo Tavecchio, doivent trouver un accord avant le 14 août. Plusieurs mesures sont étudiées comme l’instauration d’un quota minimum de joueurs italiens par effectif et une réduction du nombre d’équipes dans les championnats professionnels. La Serie A passerait de 20 à 18 équipes, la B de 22 à 20 équipes. Mais les grands bouleversements concerneraient la Lega Pro, actuellement jouée par 60 équipes divisées en 3 poules régionales, elle se verrait amputée de moitié, avec 36 formations réparties en 2 poules.
En attendant les mesures, d’autres clubs risquent de subir le même sort que Parme. Catane (Serie B), impliqué dans un scandale de matchs truqués, est aussi dans l’œil du cyclone.