Il n’y a pas besoin de beaucoup de moyens pour bien jouer. Le Celta Vigo est un exemple typique. Malheureusement, l’équipe de Galice fait peu de bruit en France. 6eme de Liga l’année dernière, elle se retrouve en quart de finale d’Europa League cette saison contre Genk. Avec un peu plus de 35 millions de budget, c’est moitié moins qu’un club comme Saint-Etienne ou Bordeaux. Comme chez les Verts, aucune star ne joue dans cette équipe. Pourquoi y a-t-il donc un tel écart entre ces deux institutions tant à l’échelle européenne que dans le jeu proposé chaque weekend ? Premièrement, le coach Eduardo Berizzo est ambitieux et courageux dans son projet de jeu. Puis, la direction sportive souhaite pérenniser ces principes, en recrutant intelligemment, avec cette volonté de respecter le supporter qui vient au stade ! Décryptage d’une alchimie envoûtante.
Composition et animation
Le Celta, l’attaque avant tout
Défenseur rugueux des années 1980, Eduardo Berizzo n’a pas fait une immense carrière même si certains se souviennent de son passage à l’OM. « Toto » a aussi joué assez longuement au Celta Vigo. C’est donc un club qu’il connaît très bien. Mais ce sont surtout ses débuts comme entraîneur qui permettent de comprendre sa philosophie actuelle. Il se rapproche très vite du technicien qui l’a le plus marqué comme joueur : Marcelo Bielsa. « Bielsa m’a enseigné que tout est encore à découvrir. Il a été comme un guide », explique-t-il. Lorsque « El loco » gère la sélection chilienne entre 2007 et 2010, c’est Berizzo qui s’assoit et discute quotidiennement avec lui. Des débats qui construisent sa vision du football.
Il est alors prêt à voler de ses propres ailes. L’Argentin prend en main O’Higgins au Chili et y réalise en 2013 l’une des plus grandes saisons de l’histoire du club, en proposant un jeu léché et offensif. La suite, vous la connaissez, puisqu’il signe au Celta Vigo et s’apprête maintenant à jouer un quart de finale de Ligue Europa !
Si Berizzo n’a pas de joueur star, il dispose d’un budget très serré pour recruter à l’image de la majorité de nos clubs de Ligue 1. Comment fait-il donc pour proposer un jeu alléchant et efficace ? La réponse est simple : contrairement à certains coachs, ses principes de jeu sont courageux et risqués. « Toto » valorise d’abord la création, la prise d’initiative, tant que celle-ci est collective et cohérente.
Il sait par avance qu’avec un tel projet de jeu et des joueurs limités, il ne gagnera pas tous les matchs. Berizzo n’analyse pas les matchs sous le prisme des faits de jeu, des erreurs d’arbitrage ou des absents. Ce qui l’intéresse concerne ce qui peut dépendre de lui sur le terrain, à savoir l’animation collective.
Sur le pré, l’équipe d’Eduardo Berizzo affectionne le 4-3-3 pointe haute, ou le 4-2-3-1 qui en est un dérivé. Lorsque le premier critère de recrutement est la technique individuelle et l’intelligence collective, il est toujours plus simple d’opter pour le projet de jeu difficile soit la volonté de toujours dominer l’adversaire.
Ici, la technique individuelle de chacun des joueurs de Vigo et leur science du mouvement amène une animation très variée. Un premier carré de joueurs composé de G. Cabral, Roncaglia, Radoja et Pablo Hernandez permet de sécuriser la sortie de balle face aux attaquants adverses. La qualité de la circulation du ballon entre ces quatre joueurs latéralement de droite à gauche voire dans l’axe, consent de faire remonter le bloc et notamment les latéraux. Ces joueurs n’ont pas pour qualité principale la vitesse, qu’elle soit gestuelle ou la vitesse de course. Mais leur sobriété et leur propreté technique est une bonne garantie pour leur entraîneur.
Les décalages viennent ensuite de multiples manières et la notion d’imprévisibilité est déterminante. Le premier objectif est de trouver Daniel Wass entre les lignes pour que celui-ci écarte le jeu ou dévie ou en une ou deux touches sur un joueur de côté lancé comme Pione Sisto, Théo Bongonda voire Jozabed ou Iago Aspas qui aurait dézoné.
Ce jeu dans les couloirs est rendu très imprévisible par l’apport des latéraux comme Castro ou Hugo Mallo, qui peuvent aussi être servis lancés ou constituer des fausses pistes. Le dédoublement, est une notion centrale chez Berizzo. Réaliser des passes verticales, trouver des joueurs lancés pour qu’ils provoquent en un contre un, représentent certes un risque (dans le dos du latéral), mais les entraîneurs hexagonaux oublient trop souvent que la réussite se provoque !
Ajoutons les qualités intrinsèques des joueurs de couloir qui peuvent facilement éliminer grâce à leur motricité, leur sens du dribble et vous comprendrez pourquoi les spectateurs savent qu’ils n’achètent pas leur billet pour rien. Les nombreux centres et combinaisons avec l’attaquant Iago Aspas viennent conclure ces décalages souvent très bien menés.
Iago Aspas est d’ailleurs un élément très important pour déstabiliser les défenses adverses. À l’instar d’un Kévin Gameiro, ou d’un Valère Germain, il s’agit d’un joueur au gabarit moyen, peu puissant, mais à la technique subtile et qui fait énormément de différences par ses déplacements intelligents. Il n’est pas rare qu’il vienne au cœur du jeu pour rechercher le une-deux avec Daniel Wass ou créer un espace derrière lui dans lequel s’engouffreront les ailiers. Il peut aussi prendre la profondeur à droite ou gauche pour déplacer les défenseurs centraux et créer des appels croisés avec ces ailiers. Ses deux premiers buts contre Las Palmas lors de la 10ème journée sont éloquents à cet égard.
En outre, le Celta Vigo de Berizzo ne tombe pas dans la caricature du jeu court à outrance. Le jeu long et direct est très souvent utilisé notamment lorsque Berizzo fait jouer le Suédois Guidetti, et des attaquants autour de lui. Dans le match contre Valence lors de la 11ème journée de Liga, les défenseurs ont usé et abusé de ce procédé.
La mobilité de Aspas associé au bon jeu en appui de Guidetti (notamment de la tête) rend cette phase de jeu très efficace. Dans une Liga où les grands gabarits ne sont pas légion, ce circuit de passes associé à l’agressivité du Celta sur les seconds ballons permet de nombreux décalages.
Enfin, en phase de finition, Berizzo à l’image de Bielsa, exige beaucoup de présence dans la surface de réparation.
Le principe de Berizzo est simple : il est plus facile de marquer si on est presque en égalité numérique dans les vingt derniers mètres adverses. Il n’est pas rare de voir un centre d’un latéral à destination de l’autre latéral côté opposé. Par exemple, l’AS Saint-Etienne a produit plus de 419 centres entre août et avril dont 86 réussis, alors que Vigo n’en a produit que 251 dont 46 réussis sur la même période. Pourtant, au niveau des buts marqués, les Verts sont à 39 et le Celta Vigo à 49 buts (34 depuis l’intérieur de la surface pour les premiers, et 39 pour les seconds, les deux équipes aiment donc centrer). Les écarts statistiques à la finition ne sont donc pas négligeables.
De plus, n’est-il pas plus aisé de récupérer très vite le ballon si vous proposez plusieurs joueurs proches de l’adversaire dans les cinq secondes après la perte ? Vous augmenterez vos probabilités de récupérer les ballons hauts, et donc d’avoir moins de mètres à parcourir pour marquer. Par contre, ce travail est très exigeant physiquement et tactiquement et les joueurs peuvent le payer cher en cas de manque de coordination.
Des principes défensifs ambitieux mais énergivores
Eduardo Berizzo est plutôt fidèle aux idées de Bielsa aussi bien offensivement que défensivement. Tant que physiquement cela est possible, le Celta refuse de subir le jeu adverse. Pour ce faire, l’équipe de Vigo évolue très majoritairement en bloc haut en phase défensive et va chercher les défenseurs centraux pour gêner la relance dans leur propre camp. Comme contre le Barça.
Dans cette configuration, il n’est pas rare de voir des joueurs galiciens en marquage individuel, suivre partout leur opposant quitte à laisser des espaces. Iago Aspas, Daniel Wass ainsi qu’un troisième joueur de couloir constituent la première ligne très agressive et à la générosité impressionnante sur le terrain.
Néanmoins, quand cette première ligne est éliminée et si l’adversaire parvient à pénétrer dans son camp, l’équipe se réorganise dans une configuration plus classique. Le bloc est alors médian, dans une configuration en 4-2-3-1 ou 4-1-4-1 avec un quadrillage très précis du terrain, une couverture mutuelle et surtout une volonté de fermer les zones de jeu clés adverse (dans l’axe par exemple sur l’image ci-dessous).
L’exigence physique de ces deux configurations est impressionnante à voir sur le terrain. Cela constitue l’une de leur limite puisqu’ils sont souvent très fatigués à partir de la 70-75ème minute. Le bloc se retrouve alors beaucoup plus bas de fait, avec deux lignes de 4 à 30 mètres de la surface de réparation. L’objectif est alors de coulisser pour temporiser et respirer physiquement.
Cette dernière configuration permet d’insister sur un point clé du projet de jeu du Celta Vigo. En effet, qu’il soit bas sur le terrain ou qu’il récupèr le ballon chez l’adversaire, cet effectif dispose d’un jeu de transition défensives/offensives extrêmement efficace. À la récupératio, les protégés de Berizzo sont capables de développer un jeu ultra vertical durant lequel l’attaquant se retrouve devant la surface en une ou deux passes. Le premier et le deuxième but contre le Barça sont des modèles du genre.
Joueurs clés
Comme tous les effectifs ambitieux, qui veulent agir sur le match plus que le subir, le Celta dispose de plusieurs joueurs qui sont les véritables garants du projet de jeu de « Toto » Berizzo. Parmi eux, Daniel Wass est un élément très important. Joueur de 27 ans formé à Brondby, il a véritablement explosé à Evian-Thonon-Gaillard en marquant 17 buts en deux saisons. Titulaire quasiment à chaque match depuis qu’il est arrivé en terre galicienne, c’est un joueur très complet, technique, au gros volume de jeu, sans oublier sa véritable qualité dans la frappe des coups de pied arrêtés. Une arme supplémentaire à disposition de l’entraîneur. Il se charge donc de tous les corners et coups francs aux abords de la surface de réparation.
Iago Iaspas se régale tous les week-ends des caviars déposés par son partenaire. Il a déjà scoré 16 fois en Liga et 4 fois en Ligue Europa. Sur ce point, reconnaissons qu’Eduardo Berizzo peut s’appuyer sur un buteur de niveau international qui n’a pas besoin de beaucoup d’occasions pour marquer. De son côté un club comme Saint-Etienne dispose de Romain Hamouma en meilleur buteur avec 6 réalisations, en tant que milieu de terrain. Christophe Galtier se bat chaque semaine pour pouvoir aligner Robert Berić. De tels écarts posent quand même la question du travail de la cellule de recrutement et des critères jugés décisifs dans l’ajout d’un attaquant au sein de l’effectif.
Le joueur formé au Celta de 29 ans n’a réussi à briller que dans son club formateur. Malgré sa volonté de s’imposer dans les grands clubs européens comme Liverpool ou le FC Séville, il n’y a marqué que 2 petits buts en deux saisons. Depuis, il revit totalement à Vigo, ville où tous les supporters le vénèrent. Le Galicien de naissance est le véritable symbole de la volonté et de l’esprit d’initiative de cette équipe qui ne lâche jamais rien de la première à la dernière minute d’un match.
(source : goal.com)
Les axes de progrès
Cette équipe ne figure que dans le ventre-mou du classement en cette saison 2016-2017 malgré cette belle aventure en Coupe d’Europe. Elle peut à la fois enflammer un match en quelques minutes mais aussi sombrer tout aussi vite. Pour exemple, le gardien Alvarez n’est pas une assurance tout risque. Il lui arrive fréquemment de faire une erreur de concentration durant un match.
D’ailleurs au poste de gardien, comme pour les autres secteurs du terrain, Berizzo n’a pas énormément de solutions pour faire des rotations et économiser ses troupes. Cette fatigue physique et mentale se voit notamment par l’avalanche de cartons que prennent souvent les Celticos lorsque le match ne tourne pas en leur faveur. Enfin, le manque de vitesse de la charnière et des milieux récupérateurs peut poser des soucis face à la vélocité des attaquants adverses en Liga ou en Ligue Europa.
Conclusion
Le Celta Vigo d’Eduardo Berizzo est souvent enthousiasmant à voir jouer. Mettre en lumière cette équipe joueuse, offensive et efficace, alors qu’elle dispose d’un petit budget et de « petits » joueurs sonne comme un miroir sombre pour beaucoup de nos clubs de Ligue 1 qui se cachent derrière de trop nombreuses excuses pour expliquer leurs échecs en Coupe d’Europe. Saint-Etienne, malgré des progrès que nous soulignons, reste un exemple typique.
Bilan
- Un projet de jeu ambitieux et un entraîneur qui ne veut jamais subir le jeu de son adversaire.
- Un effectif cohérent, sans star, d’une grande qualité technique.
- Des joueurs offensifs constamment en mouvement et au volume physique impressionnant.
- Une vraie qualité sur coups de pied arrêtés (Wass) et de multiples combinaisons.
- Un attaquant qui n’a besoin que d’une occasion pour marquer.
- Un stade chaleureux constamment derrière ses joueurs.
- Un jeu de transitions supersonique.
- Le gardien Alvarez souvent douteux notamment dans son jeu au pied.
- Une profondeur de banc relative notamment en défense.
- Une fragilité mentale. Les joueurs prennent beaucoup de cartons et sont très sensibles aux injustices de l’arbitre notamment Iago Aspas.
- Une charnière et des milieux centraux très lents.
(Eduardo Berrizo sur Zimbio.com)
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