Si tous les amateurs de sport et de football connaissent parfaitement les marques mainstream que sont Nike ou Adidas, et si de nombreux fans en tribunes se reconnaissent grâce à un code vestimentaire plus confidentiel et détaillé, il en est une avec un drôle de logo, qui semble s’être perdue au fil du temps. Cette marque à consonance française, mais bel et bien issue de la culture italienne, c’est Pouchain. Un petit poisson qui n’a pas connu la réussite commerciale d’un Fred Perry de sa création jusqu’à nos jours, mais qui a grandement participé au développement du design moderne de la Roma et habillé quelques équipes du Calcio au début des années 1980.
1974. Les championnats d’Europe d’athlétisme se déroulent dans la chaleur de ce début de septembre, au stade Olympique de Rome. Entre deux records de sauts en longueur et de lancers de javelot, Gilberto Viti, exécutif de la Roma alors au comité d’organisation, réalise que le design est au cœur de la structure promotionnelle des championnats. À cette époque, les clubs du Calcio utilisent un système global beaucoup moins développé que la compétition à laquelle il est en train d’assister. Convaincu qu’il y a là quelque chose à faire pour le club de son cœur, Viti rencontre Piero Gratton, un designer en charge de la promotion de l’événement afin de lui faire part de ses remarques. C’est l’étincelle. Rapidement, les deux hommes décident de travailler ensemble et celle-ci se matérialise d’abord par une petite révolution au niveau des tickets vendus pour les matchs de l’AS Roma. L’opération de design commence par les carnets qui regroupent les billets. Ceux-ci sont dotés d’un petit espace sponsors, de lignes orange et rouge sur le talon, déclinés ensuite en business cards, en t-shirts et en nouveaux logos. L’idée est bonne et elle fait son petit bonhomme de chemin. Mais la nécessité de faire de l’argent pour le club va souffler sur ces braises de créativité et donner une autre dimension à cette aventure qui va briser les codes dans le football de la ville éternelle et apporter sa petite révolution dans le Calcio.
L’oncle américain
La Roma est en route vers le futur, mais elle ne le sait pas encore. À la fin des années 1970, Gaetano Anzalone le président de la Louve ne possède pas suffisamment de fonds pour renforcer l’équipe. Anzalone prie Gilberto Viti de l’aider à trouver une solution afin d’acheter les joueurs dont la Roma a tant besoin pour s’élever sportivement. Anzalone décide alors d’organiser un voyage aux États-Unis avec toute une équipe, afin d’étudier les méthodes de marketing en vigueur outre-Atlantique. L’exemple est édifiant et inspire fortement Anzalone qui rentre en Italie convaincu. Il l’ignore encore, mais il ne va pas tarder à le découvrir : il a déjà toute les cartes en main pour réussir son pari. L’AS Roma ne possède pas son logo à cette époque. Un problème quand il s’agit de créer du merchandising et d’écouler ses marchandises. Le club a besoin de jouir d’un visuel qu’il puisse développer et mettre en valeur. Du pain béni pour Gratton qui signe la louve cerclée d’orange et d’ocre juste avant la saison 1978-1979 et qui fera sa première apparition lors de la tournée américaine de la Roma. Idée, créativité. Ne manque que la réalisation. C’est à ce moment-là que Maurizio Pouchain entre en piste.
La Sainte Trinité
Maurizio Pouchain est un homme ambitieux. Il possède une florissante entreprise de restauration de monuments en Italie, mais c’est surtout un homme en constante recherche de nouvelles idées de business. L’histoire raconte que c’est durant un voyage aux États-Unis – dont on ne sait pas s’il s’agit du même que celui entreprit par Anzalone et compagnie – qu’il aurait pris conscience de l’importante influence du sport sur la mode. Il remarque que les fans américains ont l’habitude de porter des vêtements et autres goodies aux couleurs de leur équipe favorite. En contact avec Gratton, il s’implique dans le projet de merchandising de la Roma à laquelle il offre sa force de production : il ouvre une usine de vêtements à Borgorese, dans la région des Abruzzes, et achète les droits commerciaux de la Roma pour 100 millions de lires. Le contrat prévoyait également la fourniture de kits de jeu de l’équipe première et de l’académie des jeunes, précédemment détenu par Adidas. À cette époque, la notion d’image de marque se résumait en fait à un échange de marchandises que l’équipe exhibait à domicile comme à l’extérieur. L’AS Roma change totalement de système. Elle casse son contrat avec la marque aux trois bandes et gère dès lors sa propre marque et établit ses propres points de vente. Malgré quelques résistances et quelques difficultés logistiques, la Roma gagne son pari et change les règles, forte du système mis en place par Viti, de son designer Gratton et de sa force de production, Pouchain, le pionnier industriel.
Une place à prendre ?
Le reste fait partie de l’Histoire : La Roma est devenu le club que l’on connait et le logo de la louve dessiné par Gratton est devenu un mythe, même si celui-ci a connu la vie dure lors de la passation de pouvoir entre Anzalone et Viola, le président giallorosso suivant. Pouchain, quant à lui, a habillé une grosse partie des équipes du Calcio (Lazio, Palermo, Udinese, Cesena, Bari, Ascoli…) et a fait porté le petit poisson méconnu aujourd’hui sur la poitrine de quelques-un des plus grands joueurs de l’époque. Et il faut le reconnaître : avec une bonne dose de classe et de style à l’italienne, loin des standards américains.
Distribuée aujourd’hui par notre boutique en ligne partenaire Sportsaga, la marque veut se concentrer sur le sportswear rétro et le casual inspiré par les clubs qu’elle a équipés par le passé. Mais peut-être devrait-elle s’inspirer de ce qui a fait la force de la Roma à l’époque : une modernisation d’un logo au design incongru, qui gagnerait à gagner en modernité afin de faire connaitre une marque somme tout élégante et chargée d’histoire. Le système d’Anzalone a montré la voie, une créativité tournée vers le futur qui a permis au design des Giallorossi d’entrer dans une autre dimension. À Pouchain d’entrer dans la modernité.