Il y a quelques jours on apprenait dans les grands médias argentins le décès de Richard William Laluz Fernandez alias « l’Uruguayen ». Figure centrale des tribunes de la 12 de Boca Juniors pendant près de 10 ans, une vie à cent à l’heure, composée d’excès et de délits, a fait de lui l’un des barras les plus craints du pays. Portrait.
Dans la nuit du 13 au 14 mars 2011, Richard William Laluz Fernandez se pointe à l’entrée de Cocodrilo, une boite de strip tease du centre-ville de Buenos Aires où Maradona avait ses habitudes. L’endroit est également l’un des fiefs de la 12, la barra brava de Boca Juniors. Pendant que les filles se trémoussent, Richard se dirige vers la table des omnipotents frères Di Zeo, la brève conversation se transforme en dispute. La vingtaine de personnes présentes appartenant à la 12 lui intime de quitter les lieux. Richard obtempère mais dix mètres plus loin, il reçoit trois tirs dans le dos. L’hôpital Fernandez de Buenos Aires lui sauve la vie cependant Richard sera désormais paraplégique. Voilà comment l’on arrête l’un des personnages les plus violents du monde des tribunes argentines.
Grand banditisme et légende des prisons
Né à Montevideo en 1958, il a vite appris les rudiments du grand banditisme dans son quartier de Cerro aux portes de la capitale uruguayenne. Dans les années 80, Buenos Aires est le théâtre d’une vague d’immigration importante de l’Uruguay vers l’Argentine. Richard sera du voyage sauf qu’à la différence de ses compatriotes, il n’est pas là pour travailler mais pour voler. Le bandit avait entendu parler de gros coups réalisables dans la capitale argentine. Et ses affaires marchent plutôt bien : braquages de bijouterie et attaques de fourgons blindés étaient devenus ses spécialités. À la fin des années 80, « l’Uruguayen » était en tête de la liste des voyous les plus recherchés par la police argentine.
Rawson, Melchor Romero, Caseros, Chaco et Villa Devoto, voilà autant de prisons qui ont accueilli Richard en leur sein. À chaque fois, il devait être transféré dans un autre établissement pénitencier à cause de son comportement problématique. Dans toutes les prisons où il passait, « l’Uruguayen » en devenait un
leader. En 1993, il dirige même une mutinerie dans la prison de Villa Devoto à Buenos Aires. L’image de 24 otages, dont un gardien pénitencier avec un couteau sous la gorge fera le tour des chaines d’information. Ce jour-là a consacré Richard en « légende » des prisons argentines.
Ses premiers contacts avec Boca Juniors et la 12 se noueront en 1994. Cette année-là, suite à l’assassinat de deux supporters de River à la sortie d’un Superclasico, le noyau dur de la 12 et notamment son emblématique chef, Jose « el Abuelo« Barrita, sont emprisonnés dans le même établissement que « l’Uruguayen ».
Mais en Argentine, les chefs de tribune sont loin d’être les chefs de prison. Le Guacho Gaston, l’un des poids lourds de la tribune de Chacarita habitué des séjours en prison, invité lors de l’émission de radio spécialisée Codigo de barras, racontait la vie dans un pénitencier en Argentine : « Les barras, en prison n’ont pas leur mot à dire. Ici, on a des mecs qui se sont tirés dessus avec les flics, toi, tu t’es juste battu pour récupérer un bout de tissu au stade. Ne fais pas le fou, ne parle pas fort et respecte les vrais voyous. En prison, t’u s une hiérarchie, le toxico est en bas de la pyramide, ensuite, tu as le dealer lui, il vend la mort, après, tu as le gars de la tribune et ensuite le reste. Tu as beau être le boss de la barra brava la plus puissante d’Argentine comme la 12, en prison, tu n’es personne. Ici, tu as des mecs qui ont tué des flics, braqué des fourgons blindés, ici, c’est la jungle. Quand ça part en couilles en promenade, les premiers à se cacher sont les barras. »
Rafael Di Zeo, qui a entre temps récupéré le virage de la Bombonera, continuait de visiter les anciens chefs incarcérés. Surpris du pouvoir de « l’Uruguayen » en prison, Di Zeo lui propose de rejoindre ses rangs. Le pacte est clair : tu profites de nos contacts dans la police pour faire tes affaires mais en échange, tu nous sers de force de frappe. À sa sortie de prison au début des années 2000, Richard appelle Di Zeo et devient alors intouchable. Du lundi au mercredi, il continuait ses habituelles activités de voyous et le week-end, il prenait son billet grâce à la 12 à La Bombonera. Voitures allemandes, tables VIP dans les endroits les plus branchés de la capitale et montres hors de prix s’invitaient au quotidien de « l’Uruguayen ».
En 2006, un groupe de la banlieue sud de Buenos Aires se pointe, cagoulé et armé lors du match et asado (barbecue) qu’organise la 12 dans les installations du club tous les jeudis soirs. Les balles fusent, « l’Uruguayen » réussit à repousser l’attaque armé d’un calibre 38 dans une main et d’un 45 dans l’autre.
Dès lors, son image et sa réputation ne cessent de grandir au sein de la 12. L’année suivante, Di Zeo, le leader, est condamné pour une bagarre avec des supporters de Chacarita. « L’Uruguayen » en profite pour récupérer le trône en compagnie de Mauro Martin et Maxi Mazzaro après une bagarre avec les bras droits de Di Zeo lors d’un déplacement. La 12, dans son délire cocaïnomane, devient alors la barra brava la plus crainte du pays. Pablo Migliore, gardien remplaçant du club de l’époque et proche de certains barras du club, en subit les frais. Richard William Laluz Fernandez lui casse une dent lorsque ce dernier refuse de « collaborer » financièrement avec les boss de la tribune populaire de La Bombonera.
Trafic de cocaïne et deux narcos colombiens abattus
Son ambition aura raison de lui. Après avoir voulu récupérer le contrôle de la barra au profit de ses anciens associés Mauro Martin et Mazzarro, son fils est séquestré contre une rançon de 100 000 dollars. En 2009, devenant trop gênant au sein de la 12 et à la suite d’une violente fusillade, il est balancé aux autorités pour une sombre affaire de cambriolage et passera deux ans derrière les barreaux. À sa sortie, il déclare à Olé, le principal quotidien sportif : « La 12, c’est une succursale de la police. Moi, on me traite de monstre. J’ai conduit des mutineries, les flics me voient et ont peur de moi. Tous ces barras ce sont des guignols qui ont besoin de la police. Ne vous inquiétez pas, je ne vais pas les tuer même s’ils le méritent. Si dans ce pays, il y a une justice, je vais les envoyer en prison. »
Il décide alors de reprendre contact avec son ancien chef tout juste sortie de prison et avide de reprendre sa place au sein de la tribune : Rafael Di Zeo. Des contacts qui se solderont par la fameuse fusillade du club de strip tease. Malgré le corps à moitié paralysé et en chaise roulante suite à cette fatidique nuit de mars 2011, Richard squatte la moitié des plateaux de télé pour dénigrer Di Zeo et ses sbires. La carrière de voyou de « l’Uruguayen » ne s’arrête pas pour autant. Loin de La Bombonera, en 2015, il est arrêté avec une cargaison de 15 kilos de cocaïne. Du fait de son invalidité, il bénéficiera de la résidence surveillée.
L’année dernière, il affrontait un procès pour le meurtre de deux trafiquants de drogue colombiens en 2008 dans le centre commercial Unicenter en banlieue Nord de Buenos Aires. Egalement cité dans le procès du meurtre de Gonzalo Acro, un barra de River, la dépression le consume.
Depuis une semaine, il était interné à l’Hopital Fiorito dans l’attente d’une plaque en titanium pour atténuer ses douleurs. C’est une infection lors de l’opération qui lui sera fatale.
Richard s’est éteint le 1er octobre loin des lumières de La Bombonera et de l’obscurité d’une prison, seul dans un lit d’hôpital. Une légende urbaine dira même que « l’Uruguayen » était supporter de River…