L’été dernier, vous êtes peut-être passé à côté d’un contenu qu’il ne fallait pas manquer. Une matière qui dépasse la quotidienneté du football, ses résultats et son tumulte incessant. Menée par le site Training Ground Guru, il s’agît d’une interview (en deux parties) de Pepijn Lijnders, adjoint de Jürgen Klopp. Pendant près d’1h30, le jeune entraîneur de 40 ans partage aussi bien sa vision du football que le modèle de jeu de Liverpool, ses secrets d’entraînement et son parcours fulgurant.
Dans cette première partie, Pep Lijnders revient sur l’identité de jeu des Reds. Pour la renforcer après une saison 2022-2023 moins aboutie, Lijnders évoque les changements introduits en cours de saison, dévoile certains exercices d’entraînement (rondos, jeux) pour stimuler la performance ainsi que les innovations apportées au fil du temps qui permettent au club de rester fidèle à son modèle de jeu tout en restant compétitif à l’échelle nationale et continentale. Traduction.
PARTIE 1 DU PODCAST : https://trainingground.guru/articles/pep-lijnders-liverpools-intensity-identity
Merci beaucoup de nous rejoindre pour ce podcast, Pep.
Non, c’est très cool. C’est bien qu’on soit face à face. Généralement, c’est d’ordinateur à ordinateur depuis le Covid. C’est bien qu’on puisse faire ce type de rencontres en se regardant dans les yeux.
Nous avons eu accès au centre d’entraînement aujourd’hui. Comment se déroule la préparation de de cette pré-saison ? Il ne reste plus que quelques jours avant votre premier match.
Ça se ressent que le premier match de la compétition approche. On le sent. On revient juste de notre tournée commerciale à Singapour. Une fois que la saison est lancée, tu joues tellement de matchs et tu dois atteindre un tel niveau de jeu pour battre l’opposition… Vous savez à quel point la Premier League est un championnat difficile, à quel point la Ligue des champions est une compétition difficile… Et avec la façon dont on aborde les coupes nationales – on avait d’ailleurs gagné la League Cup et la FA Cup la même saison (2021-2022) –, ça rallonge d’autant plus la saison. Il y a plus de matchs, chaque match ressemble à une finale, chaque match est à remporter parce que tu veux remporter ces compétitions mais tu es en compétition face à Manchester City donc tu te dois de gagner. Tu dois considérer chaque match comme une finale et tu abordes la saison suivante avec une courte pré-saison. Là pour cette saison, on a enfin eu l’impression d’avoir nos joueurs pendant 5-6 semaines. Et on sait tous que pour redémarrer une saison comme pour intégrer de nouvelles idées, il faut que les joueurs restent ensemble un long moment, loin du centre d’entraînement AXA où nous sommes là. C’est un endroit superbe mais tu ne veux pas rester là tous les jours. Les joueurs ont beaucoup d’amour et de gratitude ici dans cette structure. Donc c’est bien aussi qu’on ait pu s’en éloigner et rester 24h/24 entre nous pendant 12 jours en Allemagne (lieu du camp d’entraînement des Reds cette saison, ndlr). On a pu faire des triples séances d’entraînement donc c’était bien.
C’était une pré-saison différente de la saison dernière. Comme vous l’avez dit, vous n’aviez pas eu ce camp d’entraînement en Allemagne. À quel point est-ce important ?
C’est colossal. Je sens que l’équipe, non seulement en termes d’idées mais aussi dans sa mentalité, cette rage, qu’elle grandit en tant que groupe. Surtout quand certains joueurs partent, que d’autres arrivent, c’est très important qu’ils voient les choses tous de la même façon. Vous pouvez travailler sur beaucoup d’aspects.
Votre livre a pour titre “Intensity”. Est-ce que le camp d’entraînement de pré-saison est à ce point important pour bâtir cette intensité ?
Oui, tu construis cette intensité à petites doses avec plus de récupération entre les séances. Mais oui, il y a toujours cette idée qu’il y ait cette intensité maximale. Par exemple, aujourd’hui, on a travaillé notre rondo pour le contre-pressing. Trois équipes. Elles doivent gagner le droit de rester sur le terrain en confisquant le ballon. Car plus ils ont le ballon, moins ils ont à défendre. Mais ceux qui sont au centre doivent récupérer pour jouer face à l’équipe qui ne l’a pas perdu donc c’est un chaos constant. Par exemple, on a débuté la pré-saison avec des exercices de 2 minutes d’efforts et 1 minute/1 minute 30 de récupération avant de repartir pour jouer 8, 9, 10 minutes de suite. C’est comme ça qu’on a créé cette intensité pour ces 5 semaines. Aujourd’hui, on est à J-3 du match contre Chelsea et tu vois dans les timings, la façon dont les joueurs (il claque des doigts) se trouvent sans même se regarder, comment ils agissent quand on casse les lignes… C’est là que tu vois que la compétition se rapproche.
Avant qu’on enregistre, vous me parliez des exercices d’entraînement que vous meniez avec différentes couleurs de chasubles. Est-ce que vous pourriez partager ça à nouveau ?
J’ai toujours été très ouvert, je le serai toujours et je crois qu’on a tous la responsabilité de partager. En tant que coach, je pense que c’est très important. Je me suis inspiré de beaucoup de gens. Fort heureusement, j’ai travaillé avec beaucoup de personnes compétentes et cela a fait de moi qui je suis et je n’hésite jamais à partager quoi que ce soit. Aujourd’hui, on a travaillé sur… On aime travailler sur notre “bloc”. Quand je dis le “bloc”, je veux parler des 7 joueurs. Du 4+3. Des 4 défenseurs + les 3 milieux. Ils doivent fermer l’axe et ils doivent être capables d’aider notre trio d’attaque. On les appelle les “joueurs de piano” (rires). C’est [Bill] Shankly qui disait qu’une équipe a besoin de 3 joueurs de piano et de 8 autres capables de le porter. Bref… Le bloc doit être capable de soutenir le trio d’attaque et le trio d’attaque est chargé de chasser 5 à 6 joueurs adverses. Mais ils doivent sentir qu’ils seront suivis par les 7 joueurs derrière. S’ils sentent l’aide et qu’on est compacts et qu’on les accompagne (il tape son poing dans sa main) ils vont chasser et continuer.
Puis quand ils voient qu’un milieu les aide, ils y retournent… Cette idée est importante. Donc j’aime travailler le “bloc”. On aime travailler le bloc avec 7 ou 8 joueurs. Ça dépend quel ailier on veut impliquer dans notre pressing défensif (sic). Mais j’aime aussi que l’équipe qui attaque joue avec notre structure en étant très focalisé sur le contre-pressing en pressant à 7 vers le but. Les 7 doivent tenter de récupérer le ballon et de trouver nos trois attaquants qui eux ne défendent pas mais qui attendent de reprendre vie. Donc aujourd’hui, la défense à 3 et le n°10 étaient en chasuble jaune, le milieu à 4 avait des chasubles différents pour qu’on puisse aussi différencier le n°6 du n°10 de la même équipe donc on peut même avoir 4 couleurs différentes.
Donc disons Virgil [Van Dijk], Ibou [Konate] et [Andrew] Robertson en jaune, ensuite 4 milieux qu’on appelle la « box » en orange (pour comprendre le concept de “box midfield” : https://www.youtube.com/watch?v=hz2RsIe3cEw&list=WL&index=114, ndlr) et le trio d’attaque en vert. Et ils ne peuvent jamais jouer vers un joueur de la même couleur. Donc ce que vous créez, et c’est ce qu’on a vu aujourd’hui, c’est qu’on veut une sortie de balle flexible. Ça signifie qu’un défenseur central ne peut pas jouer vers l’autre central et donc que le n°6 doit déjà lui offrir un angle de passe pour venir au soutien. Donc ça élève le niveau de concentration. Et dans le même temps, on travaille le pressing des milieux avec le bloc.
On met la pression, un autre bloc se forme pour chasser le côté aveugle, on trouve d’autres déclencheurs même si les 7 (le bloc) défendent haut. Bien sûr, vous travaillez beaucoup de choses avec la ligne défensive, mais ça augmente le niveau de concentration parce qu’ils jouent face à 10 joueurs. En jouant face à 10 joueurs, tu élèves ton niveau de concentration parce que tu ne peux pas jouer vers le même joueur. Par exemple, si on trouve Luis Díaz, il ne peut pas jouer pour un attaquant donc tu as besoin d’un 8 ou d’un latéral qui se proposent. C’est comme ça que vous créez des jeux en triangle sur la largeur, une flexibilité si je puis dire.
Ce moment où tu perds le ballon, vas-tu reculer pour défendre derrière le ballon ou veux-tu utiliser ce moment pour créer et marquer ?
Donc il y a beaucoup de mouvements entre les lignes, les joueurs permutent…
Oui, et j’adore ça. L’un de nos principes de base, c’est de contre-presser le contre-pressing comme le dit Jürgen [Klopp]. Ce n’est pas une proposition, c’est une loi qui nous caractérise. Le contre-pressing induit la protection. Par “protection”, je veux parler de l’équilibre, comment tu trouves l’équilibre de l’équipe, comment tu presses, où veux-tu presser, selon la hauteur des joueurs je défends là… Et c’est une organisation qu’on travaille vraiment. Donc aujourd’hui, on a vu la protection, l’impulsion du pressing, le joueur qui vient de perdre le ballon est le joueur qui va presser le ballon ou les joueurs les plus proches… Peu importe la situation où l’adversaire a le ballon. Ça peut être un latéral qui monte au pressing pour donner le ‘go’…
Et là on travaille sur comment on presse les derniers mètres, les deux derniers mètres du pressing. On parle beaucoup du fait que le pressing ne fonctionne pas si tu y vas à 95%, ça fonctionne seulement si tu y vas à 100%, sur cet effort maximal sur les 10, 12, 15 derniers mètres. Et s’ils sont en retard, le joueur suivant qui presse doit être présent. Ce sont toutes ces petites choses sur lesquelles on travaille ces derniers jours et j’adore ça. Ça augmente le niveau de concentration de l’équipe qui attaque, qui doit trouver le joueur libre, que ce soit entre les lignes ou en créant des un-contre-un sur le côté.
Dans quelle mesure le contre-pressing est différent du pressing ?
Le contre-pressing débute au moment où tu perds le ballon. Ce moment où tu perds le ballon, vas-tu reculer pour défendre derrière le ballon ou veux-tu utiliser ce moment pour créer et marquer ? On veut jouer avec beaucoup d’agressivité offensivement. C’est une de ces choses qu’on rappelle toujours sur les objectifs du pressing et du contre-pressing. À la fin de la saison, ça fait une différence en termes de points. Ça fait une différence entre le fait de gagner et de perdre. Entre le fait de remporter le championnat ou de finir second. Je crois vraiment en ça. Donc le contre-pressing est le moment où quand tu joues, tu perds le ballon, l’adversaire a le ballon donc tu le chasses. Tu récupères le ballon et tu utilises ce moment, comment dirais-je, tu utilises ce moment… pour attaquer à nouveau. Parce que très souvent, à cet instant, l’adversaire n’est pas bien organisé parce qu’il défendait. L’adversaire vient de regagner le ballon, veut ouvrir le jeu et c’est le moment où tu récupères le ballon.
Je crois que l’aspect mental est le plus important parce que tu veux jouer dans le camp adverse. Tu veux y rester le plus longtemps possible. Tu veux rester le plus proche possible du but adverse parce que ça donne l’opportunité à ton trio d’attaque de s’exprimer plus souvent. Ça permet et force les progrès que vous attendez d’eux sur le plan individuel. Et le contre-pressing a une grande part dans ça, de rester haut… Jürgen appelle ça un chaos organisé. Il est organisé parce qu’on y travaille chaque jour et le chaos est pour l’opposition parce que le porteur voit débouler 2 ou 3 joueurs pour le presser. Tu as besoin d’être frais, les joueurs doivent se sentir libres. Tu peux voir le match avec plein d’erreurs et tu peux voir le match avec plein d’opportunités. Par exemple, tu joues la passe décisive, tu la manques, peut-être que c’était pas le bon moment pour la donner mais que c’est une opportunité incroyable pour contre-presser et utiliser ce moment.
Donc on travaille toujours toutes ces situations de match en même temps parce qu’on veut de la fluidité entre elles. On veut que l’équipe bouge ensemble, quand on perd le ballon d’être déjà là (dans le contre-pressing). Le grand, grand changement la saison dernière (2022-2023), c’est quand on a de nouveau trouvé l’équilibre au sein de l’équipe : quand on a mis Trent [Alexander Arnold] à l’intérieur du jeu et Cody [Gakpo] est devenu le 9, le joueur en plus. Ça veut dire qu’on a retrouvé des joueurs en relais sur des espaces de 15 mètres. Ça semble ridicule mais on a trouvé cette solution à ce moment de la saison.
Est-ce que ça change tactiquement du 4-3-3 que vous aviez avant ?
Non parce que vous avez aussi lu le livre, on avait déjà stimulé les jeux en triangle sur la largeur pour trouver Trent plus souvent depuis l’intérieur du jeu. Il allait dans le demi-espace aussi pour presser avec Hendo [Henderson]. Mais maintenant, on le fait jouer 6 pour créer du doute chez l’adversaire, pour avoir un 6 plus libre, pour que Fabinho ait quelqu’un à côté de lui pour créer ce doute. On voulait un joueur en plus mais on voulait avant toute chose jouer avec Trent Alexander-Arnold au milieu parce qu’on sait tous que depuis l’axe du terrain, il peut aller partout. Même frapper de loin. Il peut trouver les attaquants comme personne. Il donne des ballons que les attaquants adorent avoir. Je me souviens de nos discussions avec Jürgen où je lui disais : “Je renonce à mon salaire de l’an prochain si ça ne fonctionne pas, mais on doit essayer. Parce que ce garçon depuis l’axe sera juste…” Ce que j’essaie de dire, c’est que l’équipe est devenue de nouveau compacte avec le ballon. L’équipe jouait de nouveau ensemble et était de nouveau équilibrée. On a plus tant souffert de contre-attaques comme par le passé. Ce sont des petits changements de la sorte, ces changements suffisants qui permettent aux joueurs de se sentir à nouveau libres, à nouveau à l’aise. Car la pire chose – et c’est la différence entre le 4-3-3 et le système dont on parle (3-2-2-3) – c’est quand tu perds le ballon, qu’ils peuvent contre-attaquer et que ton contre-pressing ne fonctionne pas. Car le doute s’installe au sein de l’équipe. Et le doute est la pire chose dans le football. Donc la clarté et le succès que tu veux voir dans les différentes situations de match sont très importants. À cette période, on a de nouveau trouvé notre équilibre et la victoire. Et tout le monde se disait : ‘Ouf, le contre-pressing (re)fonctionne.’ Ibou n’a plus besoin de sprinter sur 60 mètres. Ça arrive encore bien sûr, mais pas sur chaque ballon perdu.
Est-ce vous qui avez introduit l’idée à Jürgen (de faire jouer Trent Alexander-Arnold au cœur du jeu) ?
Oui, oui. Mais on l’avait déjà fait avant. La saison précédente, on l’avait déjà fait jouer plus souvent au cœur du jeu, en n°10, mais d’une façon plus flexible. Mais là on sentait qu’on avait besoin de faire quelque chose. Et j’adore ça quand les choses fonctionnent. Et je n’ai pas perdu mon salaire, ce qui est encore plus important !
Est-ce que c’est similaire à l’approche qu’a eu Manchester City vis-à-vis de John Stones même s’ils ont des caractéristiques différentes ? Il a aussi été déplacé au cœur du jeu.
Je pense que ça vient de la même logique. Quand on avait Bobby [Roberto] Firmino, il liait l’ensemble. Sa façon de jouer “faux 9” faisait qui nous étions, il était quelque part l’âme de l’équipe, notre glue, l’aimant, peu importe comment vous l’appelez. Il était celui qui faisait le liant entre le milieu et l’attaque de telle sorte que Sadio et Mo pouvaient être Sadio et Mo. Et avec le temps, cet apport commence à te manquer donc tu dois trouver de nouvelles solutions tout en gardant les mêmes principes. Tu veux une sortie de balle où tu crées le doute, où tu peux trouver l’axe,… Cruyff le disait très bien, si tu contrôles le milieu de terrain – même si c’était à une autre époque – tu vas dominer le match. Donc d’une certaine façon, tu dois rechercher ça.
C’est du moins la façon dont je vois les choses. J’ai été chanceux de naître dans le pays de Cruyff. Un pays où il a été capable de choquer une nation dans sa façon d’enseigner. Mais c’est une autre histoire… (rires). Stones le fait d’une certaine façon avec des passes faciles, rapides et courtes. C’est top, incroyable. En termes de développement, c’est ce que j’aime. Deux équipes peuvent avoir une dynamique similaire, mais chaque équipe est complètement différente en raison des caractéristiques de ses individualités.
Trent est Trent. Avant de recevoir le ballon, il voit des passes que personne dans le stade ne voit. Je pense vraiment que cette liberté, ce côté rue, cet individualisme, je ne sais pas comment on pourrait dire… Cette technique, cette liberté doit être présente en match. Autrement, l’imprévisibilité, la spontanéité n’a pas lieu. C’est aussi quelque chose qu’on veut vraiment stimuler dans le jeu. Parfois, les solutions naissent après quelques difficultés. Je ne suis pas certain, mais je crois que Guardiola a replacé Stones parce qu’il n’avait plus le latéral qui rentrait au cœur du jeu. Je ne sais pas…
Est-ce que vous continuez d’évoluer ?
Oui, bien sûr. Je pense qu’avec l’imprévisibilité, tu dois toujours créer du doute. Les analyses des adversaires sont d’un très haut niveau dans chaque club de Premier League, donc les équipes savent quelles sont vos idées et comment vous faites la différence. L’entraîneur a un impact important mais les joueurs à travers leurs qualités individuelles font toute la différence. Par exemple, la différence entre une bonne équipe et une grande équipe est la qualité de son trio offensif, de ses joueurs de piano (au milieu) qui jouent la partition, ceux qui créent.
Dans votre livre, vous dites que “notre identité, c’est l’intensité”. Je crois que c’est l’écriteau qu’on retrouve aussi au centre d’entraînement.
Oui, on l’a aussi dans le bureau du staff avec au dos “Together strong”. Ces deux notions sont très importantes pour nous.
Pensez-vous que l’équipe manquait d’intensité la saison dernière ?
Elle n’était pas au niveau qu’on avait atteint jusque-là. Pour moi, ça n’a rien à voir avec l’opposition, c’est vraiment lié à nous et au niveau d’implication à chaque instant du match. Je n’aime pas revenir dans le passé mais j’ai lu ou entendu cet été quelqu’un dire – je ne sais pas si c’est sur un de vos podcasts – que tu atteins des performances optimales, des performances jamais vues jusqu’à présent, que si tu traverses des périodes vraiment difficiles. Ce qui est certain, c’est qu’on a traversé des moments vraiment difficiles la saison dernière. Mais ce que j’ai adoré et que je respecte toujours, c’est que la passion à l’entraînement n’a jamais changé.
L’humilité au sein du club n’a jamais changé. Ça nous a montré d’autant plus comment il est difficile de concevoir chaque match comme une finale. Tous les trois jours, tu dois avoir un niveau de performance très élevé avec la nécessité de gagner. La saison précédente, on remporte la League Cup, la FA Cup, on est en finale de la Ligue des champions, on joue une finale en Premier League où on perd le titre dans les 20 dernières minutes du match entre Manchester City et Aston Villa (victoire 3-2 des Citizens après avoir été menés 0-2). Ensuite, tu perds la finale de la Ligue des champions face à une bonne équipe, pas une grande équipe du Real Madrid. On a eu suffisamment d’occasions pour gagner, Courtois a été l’homme du match…
Donc cette fatigue, cette attente de gagner encore et encore tout en ressentant dans le même temps qu’on a besoin de réintroduire de nouveaux joueurs, de créer une nouvelle équipe font que ces choses peuvent arriver. Si je regarde en arrière aujourd’hui, j’espère et je suis sûr que ça nous a rendu plus humbles, mais on doit à nouveau être prêts et ne plus jamais ressentir ce sentiment.
Je pense qu’il doit aussi y avoir un sentiment différent de faire cette pré-saison sans James Milner et Jordan Henderson qui ont été des joueurs-clés.
Oui. Mes grands respects à eux. Ils ont été nos capitaines depuis que je suis là, il y a 9 ans. Je crois vraiment que derrière Milly et Hendo, il y a un autre groupe très performant avec Allison, Robbo, Virg’, Trent, Mo, vous voyez le nombre de capitaines qu’il y a dans notre équipe. Ils ont laissé derrière eux un certain niveau d’exigence. Par exemple, dans notre vestiaire à crampons, juste avant de sortir pour aller à l’entraînement, il y a une horloge.
Et généralement, James Milner était toujours là pour voir et contrôler qui est là à l’heure. James est parti et je me suis dit : ‘Ok, on doit faire quelque chose avec cette horloge (rires).’ Donc j’ai inscrit une citation juste au-dessus qui dit : “Les normes sont établies par ceux qui se doivent de les vivre”, juste pour que les garçons comprennent qu’on doit tous passer un cap maintenant qu’ils sont partis.
Ils ont marqué leur temps. Je suis content qu’ils aient pu quitter le club en ayant remporté tout ce qu’on a gagné : une Ligue des champions, la Premier League 30 ans après la dernière… Il y a un moment où chacun de nous quittera ce magnifique club et une chose est sûre, on a marqué notre époque avec notre style de jeu, Jürgen et tous ces garçons. Parce que dans 20 ans, on pourra nommer l’équipe qui a joué.
Vous avez l’habitude de parler des “joueurs de piano”, peut-être que les gens ne se rendent pas compte du travail des trois milieux si hauts sur le terrain. Pour mettre en place ce pressing, ça demande beaucoup de travail.
Oui, c’est pour ça que je dis que le bloc est vraiment très important. Tu ne peux pas sous-estimer le travail de notre trio offensif qui doit chasser 5-6 joueurs. Donc ils ont vraiment besoin de ressentir le moment, ce n’est pas : ‘A-B-C, les choses sont comme ça et pas autrement’. Tu as des petits principes, des petites dynamiques mais le plus important, c’est qu’ils croient vraiment à l’idée de tenter de récupérer le ballon le plus haut possible et que si on joue de cette façon, ils vont avoir beaucoup plus souvent le ballon haut sur le terrain.
Et c’est ce que tu dois leur faire comprendre en tant qu’entraîneur. Tu dois les persuader. Mais c’est le cas. Dans la façon dont ils pressent ensemble, leur connexion, leur coopération, dans la façon de s’ajuster par rapport à l’autre… C’est pour ça que j’adore Sacchi. En raison de sa façon dont il entraînait ses joueurs dans un système totalement différent mais ça a marqué beaucoup d’entraîneurs. Dans cet entraînement avec le trio offensif, l‘idée est qu’on défend toujours pour attaquer.
Et bien sûr, les 3 derrière eux, et même les 7 derrière eux – parce que tu ne peux pas les voir de manière séparée – doivent attendre (le bon moment) bien qu’ils veulent presser (rires). Ils doivent laisser une toute petite brèche pour… (il tape son poing dans sa main) défendre et sortir au pressing sur les joueurs. Et le latéral doit être prêt à quitter son homme pour sortir aussi…
On peut développer 100 exercices mais la meilleure chose à faire serait de créer, représenter la rue.
Vous pensez que les rondos sont importants pour entraîner cette philosophie ?
Oui, ce ne sont pas juste les rondos. Par exemple aujourd’hui on a travaillé un rondo sur le contre-pressing. On a différents rondos sur tout ce qu’on veut travailler. Je crois vraiment que le joueur doit tout donner durant la séance. Tout. Je parle pas seulement de ses jambes, de ses poumons, de ses pieds, mais de son cerveau, de son cœur. Et je pense que vous pouvez seulement réussir ça que si vous êtes habité par une grande inspiration au-dessus de vous, donc disons Jürgen, ou par la compétition. Et c’est pour ça que j’aime me rappeler de l’époque où on avait 7, 8, 9, 10 ans où la règle était : ‘le vainqueur reste sur le terrain’ quand on jouait dans la rue. Des finales, des tournois… Et le rondo a ça.
Parce que plus tu attaques bien, plus tu gardes le ballon et moins tu vas au milieu. Par exemple, ces choses, ce principe que le joueur doit tout donner pendant 60, 75 ou 90 minutes, concentré à 100%, c’est la seule façon pour eux de progresser. On croit vraiment que notre style de jeu fait progresser nos joueurs parce qu’ils sont forcés de prendre plus d’initiatives, ils sont forcés d’être plus spontanés, ils sont forcés de presser plus, de contre-presser plus donc ça crée un certain développement. Ça les force à avoir ce développement sans compter la compétition. La compétition, ça peut être un simple rondo. ‘Ok, tu n’es pas bon, tu vas au milieu’.
Mais c’est ce que j’aime aussi dans le contre-pressing : trois équipes, si tu ne joues pas, tu dois défendre. Et là, ça parle entre joueurs… On l’appelle notre ‘identity game’ (match de l’identité). Ce sont trois équipes qui s’affrontent sur grand terrain. Deux équipes jouent l’une contre l’autre et la 3ème attend sur l’autre moitié de terrain. Donc une équipe défend la ligne médiane et attaque le but ; et une équipe défend le but et attaque la ligne médiane. Quand ils passent la ligne médiane, ils jouent contre l’équipe qui s’y trouve. Et j’adore ce principe de gagner ce droit d’attaquer plus en défendant très bien. Ce principe est présent dans chaque exercice. J’essaie de “ressentir” la rue, vous voyez ce que je veux dire ? (de faire ressortir le foot de rue, ndlr) On dit toujours que les 30% du temps où on n’a pas le ballon est le moment où on devrait être différents par rapport aux autres équipes du championnat.
Et ces 30%, tu les stimules par ce genre de choses. J’ai demandé à Jürgen quel était le budget de la saison dernière parce qu’on a un budget pour essayer des choses au centre d’entraînement : accueillir tel neuroscientifique, faire un dîner avec le groupe, quelque chose qui ne coûte pas très cher… Ou avoir une conférence de quelqu’un… Et je lui ai dit : “J’adorerais qu’on construise une gaiola.” C’est comme un “city stade” mais avec une pelouse naturelle, exactement comme le terrain qu’on a à Anfield (95% en pelouse naturelle). Donc on a maintenant un terrain de 20mx40m avec de grands buts – entouré de planches en bois avec une pelouse naturelle, un système d’arrosage pour qu’ils puissent l’arroser avant de jouer – dans le seul but de travailler cette agression offensive.
Ce terrain, on l’appelle la Melwood Arena (rires). Avec les bords en bois et les filets, la balle ne sort jamais, elle est constamment en jeu, c’est du 5 contre 5 avec 3 équipes, le vainqueur reste, si tu n’es pas bon avec ton équipe, tu ne joues pas, tu ne mérites pas de jouer. Et ce que je vois dans ces moments… La création, le type de courses… ça m’hallucine. Ça revient à ce que je disais, le corps dans son intégralité doit être concerné durant la séance. Et vous insistez sur l’aspect défensif, ces 30% : le pressing, le contre-pressing, le pressing haut, le pressing sur le gardien… Dans ces 30%, on veut être différent. Vous avez besoin de créer des exercices où ils ressentent que mieux vous attaquez, moins vous défendez et quand vous défendez vraiment bien, vous pouvez beaucoup plus attaquer. Ça vient de l’idée du rondo.
Quand avez-vous inauguré la Melwood Arena ?
Cette saison (2023-2024). Ça a mis du temps et ça a coûté beaucoup d’argent mais on avait le budget. Et dans ces moments, Jürgen est brillant. Je lui ai expliqué l’idée : “C’est ce que je veux pour ça, ça et ça. Je pense vraiment qu’on doit être meilleurs dans le dernier tiers adverse, être plus créatif, dans les petits espaces on a besoin de mieux tenir le ballon…” On peut développer 100 exercices mais la meilleure chose à faire serait de créer, représenter la rue.
Est-ce que vous l’avez conçue ?
Oui. D’un côté, on peut lire ‘Melwood Arena’ et de l’autre, Vitor Matos a inventé cette citation : « Ce lieu appartient à ceux qui n’ont en tête que la victoire.« C’est une longue citation qui couvre les 40 mètres de long. L’idée du terrain vient de Porto parce qu’à Porto, on dit : “On adore ceux qui détestent perdre.” Cette culture club, cette institution à succès créée par Pinto Da Costa il y a de nombreuses années, les valeurs et tout ce qui vont avec, cette mentalité de gagner, de tout gagner et de ne rien lâcher, c’est quelque chose dont vous avez besoin. Cette faim, cette passion… […] Vous avez besoin de stimuler quelque chose. Derrière chaque chose qu’on fait, il y a toujours une idée tactique derrière. Que ce soit l’exercice des chasubles, des “blocs”, le match de l’identité, le jeu de la ligne médiane… À chaque fois pour chaque exercice je ne donne qu’une seule règle. Tu peux jouer libre mais cette seule règle rend la chose extra. Ça peut être défendre la ligne médiane… La seule limite, c’est votre propre créativité. L’important, c’est de jouer sur une pelouse naturelle. Si vous construisez le terrain, il doit être exactement comme celui d’Anfield. Donc on a notre terrain d‘entraînement calqué sur Anfield.
Ah, autre chose. On a un terrain A et un terrain B avec les mêmes dimensions qu’à Anfield. On s’entraîne principalement là. Et on a un terrain C qui est un terrain plus grand, comme celui de Brighton par exemple. Et on fait nos oppositions de veille de match ou 3 jours avant le match sur ce terrain. On les fait là parce qu’avec les dimensions, les joueurs ressentent les choses comme en match. Et j’ai dit à Jürgen : “J’ai cette idée. On devrait créer un terrain pour les coups de pied arrêtés.”
Donc aujourd’hui, après l’entraînement d’1h15, on est restés un quart d’heure là et ce que j’ai créé c’est sur tout le terrain, quatre surfaces de réparation avec la petite surface des gardiens et un but entre elles. D’un côté, ils s’entraînent seulement pour les corners rentrants et des deux côtés j’ai ce panier de basket. Je l’ai mis à l’horizontal de telle façon à ce qu’ils le visent. Dans une autre surface, ils travaillent seulement les coups-francs excentrés, dans une autre, ils travaillent seulement les penalties et dans une autre, ils travaillent seulement les coups-francs directs. Et le terrain D est consacré aux exercices de finition. Et les joueurs tournent toutes les 15 minutes. “OK, maintenant, tu tires 4 coups-francs côté droit ou 4 penalties. Au 3e, tu dois dire au gardien où tu vas tirer…” Et le niveau de concentration est dingue ! Et bien sûr, ça chambre… Donc on a un terrain pour les coups de pied arrêtés maintenant. On essaie d’innover de cette façon. Avec la gaiola, la Melwood Arena, le terrain pour coups de pied arrêtés… […]
Il s’agit juste de compétition, tu n’as pas besoin de plus. Et il y aura de la bonne humeur, de la joie… et ils vont passer un cap. Parce que je pense qu’en football, il s’agit d’honneur. Vous voulez des titres mais le plus important, c’est l’honneur. Tu veux être le meilleur joueur possible. Parce que comment je peux inspirer Mo Salah après tant de matchs ? Je mets Mo Salah dans le match de l’identité, je lui dis : “Tu prends 6 joueurs”. Ensuite, je dis à Trent : “Tu prends 6 joueurs” et ensuite je dis à Virgil : “Tu prends 6 joueurs”. 7 contre 7. Vous savez comment ça se passe ? Vous savez comment ça se passe ?!!! Et là ils s’entraînent le couteau entre les dents ! Vous leur faites atteindre un niveau que vous ne pouvez pas atteindre sans ça.
Donc j’essaie de jouer avec l’honneur des joueurs. J’en joue beaucoup. Ils ne le savent pas (rires) mais c’est ce que j’essaie de faire parce que c’est la seule façon de progresser. J’ai d’autres exemples. J’ai trouvé vraiment compliqué de travailler le milieu à 3 avec le trio offensif sans le fait de considérer la ligne médiane. Donc par exemple, pour le match de l’identité, je mets le milieu à 3, disons Macca [Mac Allister], Dominik [Szoboszlai] et Cody [Gakpo] de notre dernier match puis Mo, Jota et Luis Díaz. Je prends ces 6 joueurs et Jürgen prend l’autre groupe. Et je dis aux 6 : “OK, les gars vous allez jouer contre deux équipes de 8 et vous défendez la ligne médiane. Donc maintenant, vous travaillez tous les 6 ensemble, vous m’interceptez les ballons et dans le même temps, vous me défendez la ligne médiane.” Et par exemple, je mets une porte au niveau de la ligne médiane pour que ce soit un peu plus compliqué pour l’autre équipe. 6 contre 8. Vous avez déjà travaillé les principes du match de l’identité… Si ça ne marche pas, vous sortez ! Vous ne jouez pas ! Vous pouvez travailler beaucoup de choses au sein de votre structure, mettre de la compétition… Vous corrigez ceux qui ne se déplacent pas de façon coordonnée ou ceux qui ne respectent pas les principes du jeu. Et ensuite les 6 attaquent face aux 8 avec l’objectif de garder le ballon dans certaines situations et créer par le dribble ou en dominant l’équipe adverse. Au lieu que le 6 soit toujours libre, on le met sous pression, il ne peut pas jouer vers l’arrière, il doit trouver la passe vers l’avant ou dans l’intervalle donc vous stimulez dans le même temps le développement individuel du joueur. C’est ce que j’aime dans le coaching et dans la préparation de l’entraînement.
Partie 2 à suivre la semaine prochaine…