L’été dernier, vous êtes peut-être passé à côté d’un contenu qu’il ne fallait pas manquer. Une matière qui dépasse la quotidienneté du football, ses résultats et son tumulte incessant. Menée par le site Training Ground Guru, il s’agît d’une interview (en deux parties) de Pepijn Lijnders, adjoint de Jürgen Klopp. Pendant près d’1h30, le jeune entraîneur de 40 ans partage aussi bien sa vision du football que le modèle de jeu de Liverpool, ses secrets d’entraînement et son parcours fulgurant.
Dans cette deuxième partie plus introspective, le technicien néerlandais revient sur sa carrière d’entraîneur, sa vision du football et sa relation avec Jürgen Klopp. De ses influences à ses expériences au PSV Eindhoven ainsi qu’au FC Porto jusqu’à sa promotion d’assistant manager à Liverpool, Lijnders partage les moments-clés de son début de carrière.
PARTIE 2 du podcast : https://trainingground.guru/articles/pep-lijnders-liverpools-intensity-identity
Comment avez-vous évolué dans le monde du football et du coaching ?
J’ai été chanceux. Quand tu es néerlandais, tu grandis avec Cruyff, Rinus Michels, Van Gaal,… J’étais trop jeune pour Michels mais je lisais des livres sur son jeu et tu grandis avec Cruyff, avec la Dream Team. Je regarde encore des matchs de cette époque. Donc tu grandis avec une façon de voir le jeu. Et c’est comme ça qu’on devrait débuter dans le football, avec une idée à l’esprit. Une idée sur le jeu. Donc mon amour pour le jeu, pour le ballon vient du fait que j’ai grandi avec le football. Aux Pays-Bas, tout le monde – peut-être pas tout le monde – mais beaucoup ont ce ressenti. J’étais un joueur convenable mais pas un top joueur. J’avais beaucoup de passion, j’étais un leader – j’ai toujours été capitaine – dans les différentes équipes où j’ai joué et ensuite j’ai eu une très vilaine blessure aux ligaments croisés. J’étudiais déjà dans le sport à Sittard avec l’objectif de travailler dans le football. Donc je me suis fait le genou et le président de notre club – qui était mon oncle – m’a dit : “Pep, pourquoi tu ne deviendrais pas le coach des Séniors 2.”
J’avais 19 ans. Euh… non 18 ans. Donc j’ai été coach des Séniors 2 et à la tête de l’académie. Parce que pendant que tu étudies, si tu as des plans liés au football, tu peux essayer de les mettre en pratique dans un un club, donc j’ai essayé dans notre club. J’avais 18 ans et la première chose que j’ai faite a été d’appeler tous les entraîneurs du club. Parce que j’étais un fou de Wiel Coerver (la méthode Coerver consiste à développer la qualité technique individuelle, ndlr). Aux Pays-Bas, on voit Coerver différemment de la façon dont on le voit dans le reste du monde. Coerver, c’est un style de jeu. C’est une idée d’aller toujours vers l’avant, d’attaquer. C’est un style de jeu où pour Coerver tu dois jouer dans le camp adverse, où tu attaques constamment. Tous les joueurs doivent avoir un certain niveau technique avec la capacité de faire la différence face à son vis-à-vis comme d’être capables de garder le ballon dans des situations compliquées pour créer une ligne de passe plus favorable fondamentalement. Donc j’ai combiné l’idée de Coerver avec l’idée de Cruyff. J’ai écrit sur le paperboard 10 principes offensifs et 10 principes défensifs pour que tous les entraîneurs les voient et je leur ai dit : “Les gars, j’ai mis mes principes là et tous les entraîneurs peuvent les emprunter dans leur jeu.” Neuf entraîneurs sur quatorze les ont empruntés et ils devaient se focaliser sur ces principes. L’idée était d’ouvrir le jeu comme de le fermer, de bouger ensemble, de presser ensemble… Donc j’ai mis en place ces principes et chaque semaine on avait un meeting. C’est comme ça que j’ai commencé.
Et à côté de ça, j’ai étudié le jeu. Chaque année, il fallait faire un stage dans un des clubs professionnels. Le plus prestigieux était celui du PSV Eindhoven et il ne pouvait y avoir qu’un élu. Donc mon esprit était seulement tourné sur ça. ‘Je dois aller au PSV Eindhoven.’ Par bonheur, j’ai été pris. Et à partir de ce moment, c’est parti. J’ai rencontré beaucoup de bonnes personnes là-bas. J’ouvrais les grilles le matin et les fermais le soir (rires). Je faisais les séances matinales, ensuite j’ai eu un contrat à temps plein, j’entraînais beaucoup d’équipes en même temps, j’avais ma propre équipe aussi… Ensuite j’ai été responsable du plan d’entraînement des jeunes. C’était quand j’avais 18, 19, 20, 21, 22, 23 ans.
J’ai passé 5 ans au PSV Eindhoven et à 24 ans, le FC Porto m’a approché. Ils ont appelé Frans Hoek, l’entraîneur des gardiens, et lui ont dit qu’ils avaient besoin d’un jeune entraîneur pour leur académie. J’ai travaillé avec Frans Hoek aux États-Unis, à l’époque le PSV Eindhoven se rendait aux États-Unis l’hiver, l’été aussi à travers des présentations, des conférences via webcams ou en présentiel, des démonstrations… Et il lui a dit : “Tu devrais peut-être songer au jeune du PSV Eindhoven.” Et ensuite le FC Porto a appelé un autre coach qui lui a dit : “Non, tu devrais prendre celui du PSV…” Avec ces deux suggestions, voilà comment je me suis dit qu’il fallait que j’aille à Porto. Je serai toujours reconnaissant envers le FC Porto parce que l’impact que ce club a eu sur moi (il soupire)… Vitor Frade était là-bas. Que ce soit la ville, les gens, le club, la structure du club. J’ai halluciné.
J’ai apporté avec moi les idées de Cruyff et de Coerver, donc le travail individuel d’un côté et avec Cruyff, l’idée collective du jeu, le faux 9, le 3-4-3 losange, ce type d’idées… Je menais trois séances d’entraînements par jour là-bas. Le matin avec les U18-U19, l’après-midi avec les U14-U15 et le soir avec les plus jeunes. Et à midi, durant 3 heures, je prenais des cours de portugais. C’était une aventure. Je vivais mon rêve. Les séances n’avaient qu’un seul objectif : créer pour marquer. Dominer pour tirer. Déborder pour centrer. Jeu aérien, reprise de volée… Je dois dire que ça a créé une nouvelle génération pour eux au Portugal le “projet 6-11” entre 2006 et 2011. Tous ces garçons comme Diogo Dalot, João Félix, Rúben Neves, André Silva, Gonçalo Paciência, João Mário, pfiou… Tu pourrais faire presque deux équipes. Ils ont un tel niveau technique, une mentalité ultra-offensive, un cran, une ambition…. Ils représentent Porto de la meilleure façon qui soit où qu’ils aillent à travers le monde. Ah, j’oubliais Fabio Vieira d’Arsenal. Ce que j’ai appris là-bas, c’est que les plus grands développements individuels viennent de l’approche collective.
Vitor Frade avait-il un rôle au sein du club ou vous alliez à l’université ?
Non, non il était avec nous. Luis Castro était à la tête de l’académie, Vitor Frade à la tête de la méthodologie, Antero Henrique directeur technique et directeur sportif. Il y avait Vitor Pereira, l’entraîneur des U14. Jesualdo Ferreira était le coach dans un premier temps (2006-2010), puis il y a eu Villas-Boas (2010-2011), puis Vitor Pereira parti à Santa Clara (seconde division portugaise) est revenu (2011-2013) pour entraîner les pros. Durant ces 7 années avec Porto, on a terminé champions 5 fois. On a gagné beaucoup de Coupes, c’était vraiment une très bonne période pour le club. Et l’académie est à un très haut niveau. C’était mon objectif prioritaire.
La cellule de recrutement de Porto est l’une des meilleures au monde. Mais si vous êtes manager, vous allez faire jouer vos meilleurs joueurs. Ces joueurs viennent d’Amérique du Sud, de Belgique, de France… Ils arrivent avec un tel niveau de qualité individuelle que votre académie doit être à la hauteur. Parce que sinon, si le joueur de l’académie va en équipe première mais que l’entraîneur a ces tops joueurs étrangers à disposition, il dira : “Non, je vais faire jouer ce top joueur brésilien”. Parce que l’entraîneur a un besoin de gagner. Donc il a fallu augmenter la qualité individuelle sans perdre les références collectives. Généralement, l’académie est un concurrent à la cellule de recrutement. Le gros truc là-bas, c’était le PJE (Potencial Jogador Elite). Donc on a réuni les meilleurs talents ensemble pour les faire jouer dans les groupes de catégories supérieures pour qu’ils soient repérés par l’entraîneur de l’équipe première. Parce que la relation entraîneur/jeunes joueurs est le marqueur d’une bonne académie. Par exemple, quand Jürgen doit décider d’acheter un latéral droit ou d’opter pour le jeune Trent Alexander-Arnold de 17-18 ans ? Qui va-t-il choisir ? Quand il ne connaît pas le garçon ? Quand il a seulement joué avec les U18 ? Il va opter pour la signature. Et là, la cellule de recrutement va lui dire : “Il y a ce bon arrière droit, blablabla…”
Fonctionnement du “groupe de talents”
Avec le “groupe de talents”, on les fait venir, et on fait la même chose ici à Liverpool. Par exemple, si on s’entraîne à 16 heures l’après-midi, à 14 heures a lieu l’entraînement du “groupe de talents” et donc on peut voir : “OK, ces talents sont le futur.” Ils nous accompagnent déjà en pré-saison et ils s’entraînent une fois par semaine avec nous (les pros) durant la saison. Comme ça, on crée une relation. On crée un espoir pour tous les jeunes de l’académie. Je crois vraiment à ce cheminement interne au sein du club. Si c’est une idée forte, si vous produisez vos propres joueurs, ces joueurs ne vous laisseront jamais tomber. Jamais ! Ils fonceront droit dans le mur pour vous. Si vous leur dites de quitter leur homme pour aller presser côté opposé, ils iront et donneront tout ce qu’ils ont. Je crois vraiment en ce processus qui vient de Porto, parce qu’à Porto, l’académie ne te laissera jamais tomber.
Je me sens vraiment responsable vis-à-vis de ça parce que j’étais toujours de l’autre côté. Maintenant, je suis assistant manager, je peux créer cet espoir, donner la chance à de jeunes joueurs et c’est ce qu’on essaie de faire depuis le début. Et j’adore cette démarche. Si maintenant je vois jouer Conor Bradley, Luke Chambers, Calum [Scanlon], James McConnell, Ben Doak, Stefan Bajcetic depuis la saison dernière, c’est grâce à ça. Tu as besoin de couilles et de courage pour aligner ces jeunes joueurs et c’est ce qu’on veut. ‘Stefan Bajcetic joue ? Qu’il joue ! Il est suffisamment bon. Il a 18 ans ?? Mais il est suffisamment bon. Ben Doak ? Il est suffisamment bon. Qu’il joue !’ Vous voyez ce que je veux dire ? Parce que l’équilibre de l’équipe en termes de talents avec les seniors comme Milly [James Milner], Hendo, Jinny [Wijnaldum], Mo, Sadio… Si cet équilibre est bon dans un petit effectif plein de talents accompagnés de joueurs entre 21 et 25-26 ans, les seniors ressentent le fait qu’ils sont responsables des joueurs de talent. Et ces talents le ressentent. ‘Wow, ce sont mes modèles, ce sont ces gars auxquels je dois prendre exemple, je dois voir comment ils vont au gymnase, comment ils se préparent avant un match’.
Quand cet équilibre est bon, votre équipe ne peut que progresser. Et c’est pourquoi je suis toujours à la recherche de talents parce qu’il y a trop de génies. Vous avez besoin de jeunes parce qu’il y a un feu en eux. Ils s’entraînent chaque jour comme si leur vie en dépendait, comme si c’était leur dernière séance d’entraînement et c’est ce dont vous avez besoin. Et les plus anciens ressentent aussi que dans le groupe, ils peuvent les guider, les aider. Tous les seniors que j’ai cités, ils prennent vraiment soin des jeunes. Et c’est une des raisons pour lesquelles vous avez du succès. C’est grâce à cet équilibre au sein de l’équipe.
« Si tu peux produire tes propres joueurs, tu peux produire tes propres entraîneurs. »
Comment êtes-vous arrivé à Liverpool en 2014 ?
À Porto, je cherchais à passer mes diplômes et le lieu où on devait les passer était fermé. Je ne sais pas pourquoi. Tu ne pouvais pas les passer pendant un certain temps. Bruno Oliveira, un entraîneur avec moi à Porto, m’a dit : “Tu devrais les passer au Pays de Galles, je connais quelqu’un. Je peux lui envoyer un message pour régler ça.” J’étais encore à Porto à l’époque. Donc je suis allé au Pays de Galles. J’y suis allé avec João Tralhão, l’entraîneur des U19 de Benfica à l’époque. Je n’en ai jamais parlé à Porto que j’étais allé avec un gars de Benfica là-bas (rires). On a fait le vol et le trajet en voiture ensemble de 2h30 jusqu’à Newport au Pays de Galles. J’ai obtenu mon diplôme UEFA A là-bas.
Et on m’a dit que je pouvais passer dans la foulée mon UEFA B et mon UEFA Pro en donnant des conférences, des colloques… Donc j’ai commencé à faire ça. J’étais toujours à Porto donc une fois par mois, je faisais le vol entre le Portugal et le Pays de Galles pour rester là-bas deux jours, les dimanches et lundis et je revenais à Porto pour ma séance du mardi. Et Liverpool cherchait un entraîneur pour leurs U16. À l’époque à Porto, j’avais ma propre équipe de jeunes et j’étais coach pour toutes les autres équipes : les U9, les U19, la réserve et parfois pour l’équipe première. J’étais impliqué dans tellement d’équipes différentes… Je suis resté pendant 7 ans et j’étais vraiment prêt à… Je voulais juste entraîner une équipe. Tout ce que j’ai appris : Coerver, Cruyff, la périodisation tactique, Sacchi… Je voulais mettre toutes ces choses dans une seule et même équipe et non entraîner mon équipe pour entraîner plus tard dans la journée les U16 ou les U17, vous voyez ?
Michael Beale (entraîneur des U16 sur le départ pour rejoindre les U21) cherchait un entraîneur pour les U16 de Liverpool. Je leur ai dit que j’étais disponible s’il le voulait. Il m’a rétorqué que jamais je n’allais quitter Porto. Et je leur ai répondu que si. Donc j’ai été au Congrès National des entraîneurs de la FAW (fédération galloise). J’y ai donné quelques conférences et Liverpool avait envoyé un petit comité dont Michael [Beale] et Phil Roscoe dans le public. J’étais stupide en plus durant ma conférence…. Bref, Michael Beale est venu vers moi et m’a dit : “Je t’amène à Liverpool”.
Je lui ai dit : – Non, je dois retourner à Porto parce que j’ai des séances demain.
– Tu dois les appeler parce qu’on démarre les négociations.
Donc il m’a pris dans sa voiture direction Liverpool à l’hôtel Hope Street. On a pris un café, il faisait beau. C’était une journée magnifique. J’ai appelé ma femme et je lui ai dit : “C’est beau ici.” On s’est mis d’accord avec Liverpool, je buvais dehors mon Expresso… L’idée était de rejoindre l’Ajax à l’époque, de revenir aux Pays-Bas.
Aviez-vous noté la progression des joueurs de l’académie à Liverpool avec des entraîneurs comme vous qui passiez vos diplômes, Michael Beale, Steven Gerrard… ? Peu de clubs ont ça aussi.
Oui. Le bon côté de Liverpool, c’est qu’il se passe toujours plein de choses. Ce club incarne l’humilité. C’est un club avec de très grandes valeurs et on essaie vraiment de traiter les gens différemment au sein du club. Si tu peux produire tes propres joueurs, tu peux produire tes propres entraîneurs. On a maintenant Barry Lewtas par exemple, l’entraîneur des U21. C’est un super entraîneur et c’est certain qu’il sera reconnu à sa juste valeur dans le futur. Il fait un travail incroyable. Comme Critch, Stevie, Scott Manson ou Tim Jenkins. Et au sein de l’équipe première, on a beaucoup de gens issus du club. Dan Spiro est un de nos analystes. C’est un super analyste. Vraiment top. Vous avez besoin de bons analystes (rires) pour rendre le travail plus facile pour l’entraîneur.
Donc vous avez commencé à travailler au sein de l’académie et vous avez rapidement été promu au sein de l’équipe première.
Oui, c’était dingue. Si je reviens en arrière, je viens de Porto. A Liverpool, j’entraîne les U16 et les U15, deux équipes en fait. C’est le moment où les joueurs commencent à avoir leurs bourses, où ils peuvent partir (pour être recrutés) et j’avais un groupe large. J’ai dit à Alex (Alex Inglethorpe, directeur de l’académie) que je voulais le réduire, laisser les joueurs qui voulaient se trouver un nouveau club, qu’ils pouvaient partir, etc. Donc c’est le moment où pour la première fois on a pris les cinq meilleurs joueurs des U15 avec les cinq meilleurs des U16. Ça a été mon idée. Parce que pour l’idée de jeu de Coerver, vous avez besoin de jouer avec un très haut niveau technique donc on a mis les meilleurs avec les meilleurs. J’avais Trent Alexander-Arnold en 6, Ben Woodburn en 10, Herbie Kane en milieu droit, Yan Dhanda en ailier gauche, George Johnston, Conor Masterson et Liam Coyle dans la défense à 3. Trois joueurs qui n’étaient vraiment pas très rapides mais qui allaient toujours au pressing, qui jouaient très hauts et qui restaient dans le camp adverse. Ensuite Harvey [Elliott] et Adam Lewis sont venus, Curtis [Jones] un peu plus tard, Nico Williams aussi, Caoimhín Kelleher qu’on a signé… C’était une équipe avec tellement de talents individuels… J’adore ça parce qu’à Porto, la culture de la gagne est très importante. Et puis à côté à Liverpool, on jouait sur le terrain 5 ou 6 et non sur le terrain principal. Combien de gens venaient nous voir ? 50 peut-être. Il n’y avait pas de compétition. Donc je me suis dit : ‘Ok, 3-4-3 losange, on donne tout ce qu’on a, avec un neuf fixe, un 10 et un 6 avec Trent capitaine.’
Je pense que le 6 et le 10 sont les postes les plus stressants en football donc quand j’étais à l’académie, j’essayais de faire jouer mes meilleurs joueurs à ces deux postes. Parce que le joueur devant la défense à 3 a une énorme responsabilité pour mener le jeu et empêcher la moindre contre-attaque. Même chose avec le 10. Il a une grande responsabilité dans le pressing et dans le jeu évidemment. Trent était (silence)… incroyable. C’était vraiment agréable de travailler avec lui. Un joueur de très très haut niveau avec une grosse personnalité. Vous n’imaginez jamais à quel point un joueur va progresser. Je suis aussi fier de beaucoup d’autres joueurs mais avec Trent, c’est cool qu’on soit encore ensemble dans ce club. Il a donné une nouvelle dimension au poste de latéral droit. Avec son nombre de passes décisives, de buts et la façon dont il interprète son poste. Mais cette année-là (où il prend en mains les U16) a été très importante. Jusqu’à ce qu’il parte à la mi-saison, Brendan Rodgers me disait : “Pep, je dois te parler. Je pense à changer de système pour un 3-4-3, à faire jouer Alex vers l’avant, son pressing est incroyable, l’intensité,…” Donc on a insisté sur le pressing et le contre-pressing. J’ai encore les paperboards de mes premiers clubs mais je les ai complétés. J’en ai cinq maintenant dans le bureau des entraîneurs de la façon dont je vois le jeu, mon idée de jeu. Je suis allé voir Brendan, on a pris un café, discuté : “Comment ferais-tu dans tel cas, comment ferais-tu dans tel autre…” A la fin de la saison, j’étais de retour aux Pays-Bas après les tournois et Alex m’appelle :
– Pep, tu dois revenir. Le fils du propriétaire veut assister à une petite séance et le propriétaire sera là donc je veux que tu les entraînes.
Je lui ai dit :
– Alex mais voyons, je suis enfin en vacances !
– Non, non tu dois revenir.
J’étais avec mon père, malade à l’époque, et il me dit : “Tu es fou ?! Tu entraînes à Liverpool et tu ne veux pas y retourner ? Le propriétaire te demande…” Donc j’y suis allé immédiatement. Et au final, ce n’était pas pour parler de l’entraînement mais d’une proposition de Manchester United pour rejoindre l’équipe première. Je dois dire que Mike Gordon (directeur du club) a fait des choses … Notre relation est vraiment forte. Quand vous traversez des moments difficiles, c’est là où vous voyez les gens qui comptent vraiment dans votre vie. Mon père était très malade lors de la première saison où Jürgen est arrivé et il m’a offert la possibilité de traiter mon père aux États-Unis. On a jamais accepté, on a pas eu à aller jusque-là. Maintenant mon père est remis depuis 5 ans mais dans ces moments… Vous voyez ce que je veux dire ?
“Pep, je vais être à la recherche d’un n°2, je pense qu’ensemble, on peut conquérir le monde. T’en penses quoi ?”
Oui. Vous rappelez-vous la première fois où vous avez rencontré Jürgen ?
Oui, quand il a signé son contrat, donc il était très heureux (rires). C’était un moment très compliqué parce que Brendan [Rodgers] venait de quitter le club. Je l’avais lu dans la presse. Je l’ai appelé et lui ai dit : “Si tu pars, je ne devrais plus être là, blabla” et cinq minutes après, il a appelé Mike Gordon. C’est certain parce que lui-même m’a appelé pour me dire d’aller nulle part. Il m’a dit : “Tu restes et tu vas travailler avec le nouveau manager.” Je crois qu’ils ont nommé Jürgen quatre jours plus tard et on s’est rencontrés à l’hôtel Hope Street dans une petite salle où on a dîné. Moi, John Achterberg, Alex Inglethorpe, Jürgen et Peter [Moore]. Et son agent Marc [Kosicke] bien sûr.
Et dès cette rencontre, vous vous rendez compte que vous partagez la même philosophie ?
Non, tu ne sais pas. Ce qu’on peut dire, c’est qu’il y a beaucoup de bonnes personnes dans le football, mais il y a aussi beaucoup d’escrocs. Il y a aussi beaucoup de mauvaises personnes, je vous le dis. J’ai travaillé dans 5 clubs différents et j’ai travaillé avec tous les entraîneurs de toutes les catégories. Et il faut cerner si quelqu’un est vrai ou si ce qu’il dit fait sens. Le premier mois, je me disais que j’étais parti de Porto pour Liverpool, j’avais ma propre façon de penser avec mes paperboards, Jürgen arrive et tu ne sais pas comment ça va se passer. Donc je me suis dit qu’il faut vraiment que j’essaie d’apprendre à le connaître parce qu’évidemment je connaissais son Borussia Dortmund et je voulais voir comment ça se traduisait à l’entraînement.
Et donc j’ai vu l’entraînement, ses causeries, sa façon de parler et je me suis dit : ‘Il est vraiment, vraiment bon. Sa façon d’expliquer ça est mieux que si je le faisais moi-même, sa façon d’exposer telle chose…’ Je me suis dit : ‘Vraiment, vraiment top.’ Chaque jour je prenais une feuille A4 et je notais ce qu’il disait. Ma feuille était remplie de propos qu’il énonçait, de ce qu’il faisait à l’entraînement… J’ai encore ces écrits à la maison. C’était une période sympa mais instable parce que sous Brendan, j’étais le coach. Je mettais en place toutes les séances d’entraînement. Quand Brendan m’a demandé de travailler pour l’équipe première, je lui ai dit ‘oui’ mais que je ne venais pas pour poser des cônes sinon je reste à l’académie. Je ne veux pas venir en équipe première pour être mieux payé. J’ai passé tous mes diplômes, je veux juste travailler pour une équipe. Si tu m’appelles et que tu considères que ton équipe est aussi mon équipe pour que j’apporte mon influence alors je viens. J’avais cette promesse. Avec Jürgen et ses adjoints, avec le temps, il m’en a demandé de plus en plus. Il m’a laissé organiser quelques séances mais je ne planifiais pas les entraînements. Ce n’était pas ce que je… Ce n’était pas “moi”. Je réalisais juste leurs idées, leurs séances. Mais j’avais besoin de plus, c’est pourquoi j’ai fini par quitter le club (le 2 janvier 2018, ndlr). Trois mois plus tard j’étais à NEC Nimègue, et début avril, il [Klopp] m’appelle : “Pep, je vais être à la recherche d’un n°2, je pense qu’ensemble, on peut conquérir le monde. T’en penses quoi ?” J’ai raccroché et ma femme m’a dit :
– C’était Jürgen, non ?
– Oui, on rentre à Liverpool.
Ce moment était cool parce que je sais que je retourne à Liverpool. Et je reviens faire ce que j’adore faire parce que je suis désormais responsable du processus d’entraînement. De la planification, de la préparation, du message, de l’exécution. Je suis un vrai coach.
Dans votre livre, vous écrivez “le contre-pressing est fondamental dans ce que nous faisons”, et il semble que dans la carrière de Jürgen Klopp, ce soit également le cas. Était-ce une heureuse coïncidence ?
Oui, c’était une coïncidence. Parce que par exemple la méthodologie de l’entraînement et la façon dont vous planifiez votre semaine – que faites-vous 4, 3, 2 jours avant le match ? – était similaire à celle de la périodisation tactique et de la façon dont je travaillais au FC Porto. Si ça n’avait pas été le cas, je n’aurais pas travaillé ici, parce que vous devez croire en ce que vous faites. Et ensuite il y a le style de jeu. Si vous vous basez sur la contre-attaque, le bloc bas,… Par exemple, j’avais ces gros paperboards dans le bureau et quand Jürgen est venu le 2e, 3e jour, il a commencé à lire et a dit :
– Qui a fait ça ?
– Moi.
– OK, c’est cool.
– Tu veux que je les enlève ?
– Non, laisse-les, j’aime ça.
Ça en dit long sur sa personne. Parce que ce n’était pas sa philosophie, mais c’était sympa de sa part.
Pourquoi pensez-vous que votre travail mutuel porte ses fruits ? C’est dû à vos personnalités ? Vous êtes complémentaires ?
Ce n’est pas facile de répondre. Je pense que c’est avant tout lié à notre amour pur pour le jeu. Pour la façon dont on voit le jeu. C’est un Allemand et un Néerlandais (rires) qui travaillent ensemble, ce qui est déjà très inhabituel, mais c’est probablement parce que je ne suis pas si Néerlandais et qu’il n’est probablement pas non plus si Allemand. Je ne sais pas, mais ça marche très bien (rires). Je pense qu’avec le temps aussi, vous découvrez comment sont vraiment les gens. S’ils sont bons, mauvais, s’ils apportent une bonne énergie ou s’ils préfèrent la recevoir, s’ils vous encouragent, s’ils sont égoïstes, s’ils veulent vous donner des responsabilités… Il a vraiment un grand cœur. Je l’ai déjà dit, je veux seulement être l’assistant de Jürgen. Après quoi, je ferai ma route.
Est-ce qu’il y a un moment qui vous a particulièrement marqué durant vos 9 années ici ?
Il y en a eu tant. Chelsea, finale de la League Cup (mai 2022), tirs aux buts. Le moment où on gagne, parce que j’ai plus de responsabilités en League Cup. Et le match face au Barça (victoire 4-0 à Anfield en quart retour de Ligue des champions 2018/2019 après avoir perdu le match aller 3-0, ndlr). Le match face au Barça, pouah, folie pure. La folie. Tellement génial qu’on ait réussi ça.
Avec l’impact de Trent dans ce match…
Oui, je suis si fier de lui. (Silence) Son attitude, sa passion, son imprévisibilité, son développement en tant que leader. Il y a des joueurs comme lui au sein de l’académie mais peu ont la même détermination, et ça fait de lui le meilleur selon moi. La passion, l’amour pour ce club, pour le jeu, pour la victoire, c’est juste un gars super avec aussi une famille adorable. Des U16, il a grandi étape par étape. C’est un gars merveilleux et un joueur incroyable.
Dernière question : qu’est-ce qui rend Jürgen si spécial et qui le rend à part ?
Quand vous regardez l’Histoire du football, d’après ce que je peux en juger, Sacchi à Milan a changé la façon de penser, de jouer et de s’entraîner au football. Je pense que Van Gaal a fait la même chose à l’Ajax. Je pense que Cruyff a fait la même chose au Barça. Cette capacité à bouleverser tout un club dans la façon de voir un match de football, de le penser, d’avoir le ballon… Et je pense que Jürgen a fait la même chose à Liverpool. Je pense qu’il y en a peu qui peuvent en dire autant. J’espère vraiment que ce club va continuer de voir le football de cette façon, d’être mené de cette façon, de développer l’académie de cette façon. C’est une lourde tâche bien sûr mais il y a déjà eu les grands [Bill] Shankly et [Bob] Paisley. J’espère que ce club va garder cette façon de mener les choses pour un long moment et ce style de jeu.
(Silence) Oui, j’aime ce club.