Les patrons des clubs français sont au moins d’accord sur une chose. Ils rejettent unanimement la taxe à 75 % imposée à l’employeur pour les joueurs dont le salaire dépasse le million d’euros annuel. La menace de journée blanche fin novembre a même été annoncée. Le football professionnel est-il « en danger » comme l’affirment ses dirigeants ? Pascal Perri, consultant économique RMC Sport, nous a livré les raisons de son désaccord sur cette mesure.
La première question est évidente Pascal, c’est celle que tout le monde se pose : Est-ce que oui ou non cette taxe à 75 % sera néfaste pour le football français ?
Pascal Perri : Pour moi, la réponse est évidemment oui pour plusieurs raisons. La première est que le football français évolue dans un contexte international et qu’un des enjeux, c’est sa compétitivité par rapport au football anglais, espagnol, italien. Nous sommes le seul pays dans lequel cette taxe va s’appliquer à tous de façon assez indifférente. Elle aura pour première conséquence de frapper les clubs moyens de Ligue 1 qui sont dans une situation tendue. Pour ne pas dire qu’ils sont pour certains en asphyxie de trésorerie. Ce sont des entreprises qui ont des charges extrêmement lourdes. Je rappelle quand même que le football français perd chaque année entre 60 et 100 millions d’euros. Donc rajouter des taxes à des pertes, ce n’est évidemment pas une bonne idée. Il y a une vraie contradiction entre ce que déclare la ministre (ndlr : des Sports), Madame Fourneyron, qui veut tout à la fois travailler à la compétitivité du football français et rajouter des taxes. Il y a là une contradiction que je dénonce.
Cette taxe sera payée par les clubs et non plus par les joueurs. Quand on voit qu’il y a 14 salariés de niveau « moyen » concernés à Bordeaux, on peut pourtant penser que cette mesure ne va pas forcément porter atteinte à la compétitivité de la Ligue 1….
PP : Si, précisément. Je pense que c’est une taxe injuste. Elle sera indolore pour le Paris Saint-Germain qui a des sources de financement très supérieures aux autres. Elle sera nulle et inexistante pour Monaco qui bénéficie d’un statut défiscalisé. En revanche, elle va frapper de plein fouet tous les clubs historiques, ce qu’on appelle « la classe moyenne du football français » : Lyon, qui en plus est engagé dans un processus de construction de stade, Saint-Etienne, Rennes, Lille, Bordeaux, Marseille. Je ne vois pas en quoi on peut dire qu’elle n’aura pas de conséquences.
Pourquoi le football, qui est un secteur comme un autre comme le cinéma par exemple, devrait être épargné par ce projet de loi ?
PP : Le cinéma est épargné par ce projet de loi, il n’est pas concerné. Je voudrais faire remarquer que le football rapporte chaque année plus de 700 millions d’euros aux caisses de l’État en impôts et en cotisations sociales alors que le cinéma, lui, coûte, parfois très cher ! Le Centre National du Cinéma (CNC) qui soutient les créateurs coûte à peu près la même somme, entre 700 millions et un milliard d’euros par an. On peut donc difficilement faire la comparaison. Il y a en réalité un secteur qui consomme les subventions publiques et un autre secteur, le football, qui apporte sa contribution aux finances publiques donc les choses ne sont pas comparables.
Est-ce qu’un club peut trouver une faille à cet impôt en se faisant prêter un joueur venant de l’étranger?
PP : Non, non. La réponse, c’est non ! Un joueur prêté qui est payé en France sera fiscalisé en France.
C’est quand même étrange que certains clubs réclament la fin des avantages fiscaux de l’AS Monaco alors qu’ils exigent eux-mêmes un régime particulier, non ?
PP : Non, ils ne bénéficient pas de régime particulier. Les clubs de football payent l’impôt sur les sociétés et les cotisations sociales comme tout le monde. Je rappelle aussi que chaque année, le football professionnel donne 130 millions d’euros au sport amateur. Donc, c’est tout à fait l’inverse ! Alors, je sais que cela va à l’encontre des représentations publiques mais la réalité, c’est ça.
C’est crédible selon toi, cette menace de boycott ?
PP : Non ! Moi je pense que ce n’est pas une bonne idée pour être très clair. Il faut protester, il faut tout faire pour obtenir le retrait de cette taxe. Mais en même temps, la menace de grève n’est pas sérieuse, parce que comme tu le dis toi-même, majoritairement l’opinion considère que c’est une grève de riches même si dans le détail on s’aperçoit que ce sont des riches qui payent déjà beaucoup. Il y a aussi un problème lié aux relations du football professionnel avec les diffuseurs TV qui ont signé un contrat, il faut l’honorer. C’est une perte de billetterie sèche pour les clubs. Moi, j’aurais proposé une autre formule qui était d’envoyer ce jour-là les équipes réserves. Mais je n’aurais pas fait la grève.
À l’heure où 86% des Français (selon le récent sondage du Parisien) pensent que les footballeurs sont trop payés, comment peut-on arriver à un football plus vertueux sans lui nuire ?
PP : Je pense que plus les joueurs sont payés, plus les joueurs payent d’impôts. Ce sont des contribuables qui ne sont pas délocalisables, les footballeurs. Ils sont trop payés mais il faut comparer le salaire des footballeurs avec celui des artistes. Si tu le compares à celui d’un cadre moyen, évidemment c’est scandaleux. Mais il faut comparer les choses comparables, soyons raisonnables.
Pour toi, le système actuel est plutôt correct ?
PP : Je pense que les salaires sont trop élevés par ailleurs, mais je ne veux pas jeter le bébé avec l’eau du bain. Il ne s’agit pas de légitimer la taxe 75 % en disant qu’ils sont trop élevés. Oui, je pense que les salaires sont trop élevés et qu’au-delà d’un certain niveau, ça n’a plus beaucoup de sens, même si c’est un jeu d’offre et de demande. J’observe aussi quand même que l’augmentation des droits TV a profité aux salaires des joueurs et pas du tout aux clubs. Donc, je pense qu’il faudrait faire un effort de rationalisation. Mais en même temps le foot est un sport mondialisé, il y a une offre internationale et il est normal que les joueurs aillent au plus offrant. Restons compétitifs.
Propos recueillis par Adrien Verrecchia
Ne tirez pas sur le foot – Contre les idées reçues, Pascal Perri (Éditions JC Lattès)