Imaginez une seconde que Gueugnon monte en première division. Quel serait alors votre premier réflexe ? Probablement de chercher sur une carte où se trouve la ville. C’est aussi ce qu’ont fait les supporters de toute l’Allemagne lorsque le SC Paderborn 07 a terminé deuxième de 2. Bundesliga à l’issue de la saison 2013-2014.
Paderborn. Une grosse bourgade de 140,000 habitants (soit l’équivalent de la 19ème ville de France), au bord de la rivière Pader (la plus courte du pays, quatre kilomètres de long seulement), à l’Est du Land de Rhénanie du Nord-Westphalie, plus précisément à une centaine de kilomètres de Dortmund qui, à l’échelle régionale, fait office de Goliath footballistique. L’autre grande ville du coin, c’est Bielefeld. Distante de seulement cinquante kilomètres, l’Arminia effectue en revanche le chemin inverse de son voisin. Après de nombreuses années passées à titiller les hautes-sphères du football allemand et européen, le club squatte à l’heure actuelle la troisième division. De base, la ville est surtout connue pour héberger le plus grand musée de l’informatique et le club de squash de plus titré de la République Fédérale. Son université complète compte une vingtaine de milliers d’étudiants et organise chaque année le plus grand camp d’été estudiantin d’Allemagne. Enfin, si vous lisez cet article depuis Le Mans, vous en avez sûrement déjà entendu parler puisque vous êtes jumelés avec elle depuis l’an de grâce 836, soit le plus vieux partenariat entre deux villes d’Europe. Pourtant, à en croire Michael Born, le manager général du club, la commune se fait pas mal charrier au vu de son anonymat total : « à écouter les gens, on aurait l’eau depuis trois semaines, l’électricité depuis quinze jours et la semaine prochaine, on nous installera le premier congélateur ». Alors qu’au vu des nombreuses entreprises liées aux nouvelles technologies qui ont élu leur siège à Paderborn (Sagem, Siemens ou Fujitsu pour ne citer que les plus connues), la ville a un revenu moyen par habitant qui avoisine les 20,000€ par an, soit l’un des plus élevés de la région. Politiquement, on est à droite. Le bourgmestre Michael Dreier a été élu avec pas moins de 59% des voix cette année et son parti, la CDU, écrase ses adversaires avec 46% des sièges du conseil communal. En bref, une bourgade comme tant d’autres : riche, catholique, conservatrice (le triumvirat gagnant en Allemagne) et anonyme. Sauf que le 24 août, elle sera sous le feu des projecteurs. Car elle affrontera Mayence à domicile pour le premier match de Bundesliga de son histoire.
Comme beaucoup de clubs outre-Rhin, le Sportclub Paderborn 07 est né d’une suite incalculable de fusions entre équipes locales. Tout à commencé en 1907 (d’où le suffixe 07) avec la création de la Sportverein 07 Schloß Neuhaus, issue du quartier éponyme qui végéta longtemps dans les divisions inférieures avant d’être incorporée au sein de la Gauliga Westfalen (sorte de ligue régionale propre à la région rhénane créée par les nazis en 1933) à l’aube de la saison 1944-1945. Manque de bol, les Alliés démantelèrent les Gauligen en 1945 suite à leur directive n°23 relative à la dénazification du sport en Allemagne. Back to the roots donc pour le SV 07 Schloß Neuhaus qui retourna faire ce qu’il savait faire de mieux : enchaîner les matchs de divisions amateurs sans aucune perspective d’avenir. Mais en 1973, le destin vient briser la monotonie de l’équipe : celle-ci fusionne avec le Turn und Sport 1910 Sennelager (fondé en 1910) et est rebaptisée TuS 07 Schloß Neuhaus. Les bon résultats commencent à apparaître et en 1978 elle fait partie des fondateurs de feu l’Oberliga Westfalen dont elle est championne en 1982, accédant par la suite à la 2. Bundesliga, avant de redescendre aussitôt. En 1968, deux autres clubs locaux, la Verein für Jugend 08 Paderborn (fondée en 1908) et la Sportverein 1913 Paderborn (fondée en 1913) s’associent pour former le 1. FC Paderborn qui jouera d’abord en Verbandsliga Westfalen avant de rejoindre également l’Oberliga Westfalen en 1978. Quelques années plus tard, l’équipe fusionne avec le TuS 07 Schloß Neuhaus. Ainsi naquit le TuS Paderborn-Neuhaus qui joua en Oberliga jusqu’en 1994 avant que le championnat ne soit renommé Regionalliga suite aux complications engendrées par la Réunification. Bref, pour faire simple, le club en tant que tel existe depuis 1985 et l’appellation SC Paderborn 07, elle, date de 1998. En 2000, la réforme des ligues réduisit les Regionalligen de quatre à deux séries et l’équipe manqua de peu le classement qui lui aurait permis de s’y maintenir. Contraint de redescendre en Oberliga (quatrième échelon actuel), Paderborn fût sacré champion la saison suivante et grimpa en Regionalliga (troisième échelon actuel). Quelques saisons de végétation plus tard, le club termina deuxième de sa série en 2005 et monta donc en 2. Bundesliga dont il devint un pensionnaire indéboulonnable jusqu’à ce jour historique de mai 2014 où, suite à une ultime victoire face à Aalen, le collectif blau und schwarz accéda à l’échelon suprême du football allemand.
Juin. Entraînement public à la Benteler Arena. 15,000 places, 2000 sièges occupés. « Plus que lors de certains matchs par le passé », murmure-t-on dans les tribunes. La saison dernière, le taux de remplissage (73,3%) était, certes, plus faible que chez certaines Traditionsvereine de D2 comme l’Union Berlin (91,5%), le FC Cologne (92,5%) ou le FC. Sankt Pauli (95,9%), mais avec presque 11,000 spectateurs en moyenne par match, la population locale montre un intérêt pour son club aussi grandissant que les performances de celui-ci. Construite en 2008, la Benteler Arena, qui a coûté 25 millions d’euros, a été inaugurée en 2008 par un match de gala contre Galatasaray (score final 1-1). Elle s’appelait à l’époque Paragon Arena, puis a été rebaptisée Energieteam Arena en 2009, avant son appellation actuelle qui date de 2012. L’occasion d’ouvrir une toute petite parenthèse pour signaler que, comme au sein de beaucoup de clubs, Paderborn n’a pas échappé à cette tendance qui consiste, pour des raisons ouvertement financières, à renommer son stade du nom d’un sponsor. Une mode déjà fort répandue qui vient contraster avec la tradition du football allemand à visage humain, caractérisée chez nos voisins par la très forte présence de places debout. À Paderborn, le ratio de stehplätze est assez important puisqu’il est précisément de 9200 contre seulement 5800 places assises. Son antre historique, le Hermann Löns Stadion (du nom d’un célèbre poète allemand), comptait 11,723 places dont pas moins de 8119 places debout ! Mais la tendance est, suite à de nombreuses décisions de la DFB, à la réduction des places debout, officiellement pour des raisons de sécurité, mais aussi, on l’imaginera aisément, afin de participer à une forme de gentrification de la Bundesliga, comme c’est déjà le cas dans des championnats historiques, en Angleterre ou en Espagne notamment. Parenthèse fermée, terminons-en avec le stade Hermann Löns qui fût abandonné pour raison de vétusté (et peut-être aussi parce qu’une ligne à haute-tension passait juste au-dessus) en 2008 alors que Paderborn faisait la navette entre zweite et dritte Liga. Il accueille aujourd’hui les matchs de l’équipe de football américain des Paderborn Dolphins. La Benteler Arena quant à elle, possède la particularité d’être le seul stade d’Allemagne où il est interdit de jouer le vendredi soir ou après 22 heures, afin de préserver la quiétude des riverains.
Süleyman Koç, de la taule au football pro.
En comparaison avec une ville comme Thonon-les-Bains (Haute-Savoie), le club possède un budget à l’opposé du revenu moyen de sa population. Avec 15 millions d’euros cette année, Paderborn est le Petit Poucet financier de Bundesliga. Dès lors, comment composer une équipe qui tiendra la route dans l’un des meilleurs championnats d’Europe ? Le manager Michael Born, également responsable de la cellule scouting reste pragmatique : « Quand on veut avoir la qualité dans cette compétition, il faut de l’argent, et de l’argent, nous n’en n’avons pas », confiait-il au magazine 11 Freunde. Quand on observe le noyau de l’équipe A, deux types de joueurs dominent. D’une part, des joueurs de grande valeur ayant plus ou moins échoué dans des clubs de divisions inférieures, et d’autre part, des espoirs de grandes équipes qui cherchent du temps de jeu à un niveau plus élevé. C’est notamment le cas de l’Allemand Mario Vrancic, arrivé de l’équipe réserve du Borussia Dortmund en 2012 et devenu l’homme-clé du milieu de terrain. À la fin de la saison passée, son avenir en Rhénanie orientale était incertain mais l’affection qu’il porte au club, cumulé à un défi de premier choix, l’a poussé à prolonger l’aventure. Même cas de figure pour le milieu albanais Alban Meha. Arrivé de l’Eintracht Trèves en 2011, il s’est avéré très précieux sur coups-francs et le flanc droit du milieu de terrain. Débarqué lors de la saison de la montée, Uwe Hünemeier a fait ses classes à Dortmund également où il est devenu capitaine de l’équipe B. Après trois ans passés à Cottbus entre 2010 et 2013, il s’est rapidement imposé comme le boss de la défense de Paderborn dont il a récupéré au passage le brassard de capitaine. Assurément à suivre tant sur le terrain qu’en dehors puisqu’il est actuellement en train de construire sa maison avec sa femme. Parmi les espoirs, citons pêle-mêle dans le rôle du numéro 9 Marvin Ducksch et dans celui de l’attaquant de pointe Elias Kachunga, respectivement arrivés de Dortmund et de Mönchengladbach (après avoir successivement été prêté à Osnabrück et au Hertha Berlin). Tous deux ont évolué en équipe nationale U-20. Dans le rôle de l’Ossi de service, Stefan Kutschke. Dresdois d’origine, il est arrivé cette saison en provenance de Wolfsburg où il n’a pas réussi à percer ni en équipe première, ni en réserve. Cependant, ses années passées au sein du RB Leipzig avec qui il a connu deux promotions en dritte puis zweite Liga l’ont aidé à se tailler un profil de battant dont l’équipe aura fort besoin face aux plus grands. Enfin, comment ne pas évoquer Süleyman Koç, ce Germano-Turc de 25 ans qui, après quelques années passées à jouer dans des clubs turcophones amateurs à Berlin, a été emprisonné pendant presque quatre ans suite à une affaire de braquages de casinos. À la fin de sa peine, il retrouve son club de l’époque le SC Babelsberg 03 qui évolue alors en troisième division. Paderborn le récupère en 2014, l’invitant par la même à faire partie de l’aventure au sommet. De la taule à chez les pros, Koç aura plus que jamais la motivation de prouver à tout un chacun qu’il est digne de la deuxième chance qui lui a été accordée.
Sur le papier cette équipe est fort sympathique mais ne fait pas bien peur. Personne ou presque ne lui prédit autre chose qu’une saison-ascenseur comme en ont fait les frais Fürth et Brunswick ces deux dernières saisons. Néanmoins, ce qui la rend encore plus touchante, c’est que, contrairement à son voisin rhénan du FC Cologne (promu la saison passée, rappelons-le) qui voit déjà sa remontée en Bundesliga rimer avec un retour imminent sur la scène européenne, les supporters ne souhaitent pas voir le budget de leur club dilapidé pour la seule saison 2014-2015. En résumé, il faut déjà envisager la vie après la première division. Chacun en est conscient. Public comme staff. Un staff dirigé par André Breitenreiter qui ne compte certainement pas jeter son bébé avec l’eau du bain. Arrivé en 2013, il est sans conteste l’artisan à l’origine de la montée du club. Après trois années passées à entraîner des équipes sans intérêt, Paderborn est le premier vrai défi de sa jeune carrière d’entraîneur. Précisons tout de même que le palmarès du bonhomme est bien faible : une Coupe d’Allemagne obtenue en 1992 avec Hanovre, l’un des trois clubs majeurs avec lesquels il aura joué, Hambourg et Wolfsburg complétant le podium. Sa carrière de joueur s’achevant en 2010 après avoir été pensionnaire de divisions inférieures, celle de coach commencera immédiatement après. Pratiquant un football offensif et aguerri (son équipe de référence à la Coupe du monde était le Chili), il fait volontiers évoluer son équipe en 4-3-3 offensif avec un attaquant de pointe et deux soutiens latéraux servant également de relais avec un milieu de terrain très ancré dans l’axe. Celui qui va fêter prochainement ses quarante ans, peut se voir promettre un avenir radieux dans le costume de coach tant ce qu’il a déjà accompli avec cette équipe est époustouflant. Breitenreiter fait également preuve d’une maturité impressionnante face aux pronostics pessimistes qui entourent la future saison de son équipe. Car la montée du club en Bundesliga est tout sauf un hasard. Avec huit défaites seulement, il a réussi à former un noyau solide et homogène dont la casse liée aux départs estivaux a été très fortement limitée. Et il ne voit dans cette promotion que le résultat logique d’un travail acharné. Rien de plus, rien de moins. Paderborn n’a en aucun cas volé sa place et le fera savoir face aux plus grands en tentant de pratiquer le football le plus valeureux possible. Qu’importe essuyer défaite sur défaite, tant que celles-ci se font avec la manière. Le plus gros est déjà fait mais le meilleur est à venir.
Cette saison s’annonce donc palpitante car le championnat accueillera en son sein une équipe sortie de nulle part au même titre que l’ont été par le passé Hombourg, Darmstadt ou Ulm. Contrairement à Hoffenheim ou au RB Leipzig qui vient d’accéder à la 2. Bundesliga, l’argent n’entre ici pas en ligne de compte. Seul le travail a fait ses preuves. Bien que la ville n’ait pas une grande tradition footballistique, elle peut compter sur le soutien d’un public nouveau qui s’est découvert un nouveau défi local à soutenir. De 2000 il y a quelques années, les abonnements sont passés à 10000 cette saison ! Alors qu’il fallait à l’époque maximum trois heures pour créer toutes les cartes de membres, elle ne sont, à l’heure actuelle, pas encore toutes sorties de chez l’imprimeur. Leur prix a explosé lui aussi. Le blog der Übersteiger rapporte que le club possède les abos Steh et Sitzplätze les plus élevés dans la catégorie la plus bon marché du stade (respectivement 255 et 595€. À titre comparatif, les mêmes abonnements coûtent, selon les mêmes critères, 204 et 376€ au Borussia Dortmund et 140 et 340€ au Bayern Münich). Le prix à payer pour tenir le coup dans un championnat dont on est d’ores et déjà perdant au niveau financier. Mais le président Wilfried Finke l’a annoncé : ceci ne concerne que les nouveaux abonnements. Les fans de la première heure peuvent donc dormir tranquille. On ne leur fera pas le même coup qu’à Dortmund où les augmentations du prix des abonnements touchent chaque Anhänger sans distinction d’ancienneté. Paderborn flotte donc sur son petit nuage avec la fierté de savoir que tous les yeux du pays sont braqués sur elle. Pour le meilleur et pour le pire. Ce sera difficile de tenir le coup mais le championnat allemand nous présente à chaque saison une surprise inattendue. Peut-être viendra-t-elle cette année des Blau und Schwarz. En guise de lueur d’espoir, notons que seules sept équipes ne sont jamais descendues de Bundesliga (depuis sa création en 1963) après y avoir accédé : Hambourg, Hoffenheim, Wolfsburg, le Bayern Münich, le Bayer Leverkusen, Augsbourg et… Paderborn.