Lorsqu’on parle sérieusement du Barça, peu de connaisseurs hésitent à placer Francisco « Paco » Seirul⋅lo au même niveau que Johan Cruyff. Tous deux sont les figures les plus importantes du club tel qu’on le connaît aujourd’hui. Le style, la philosophie, le modèle ou tout autre concept associé au Barça leur appartient. Alors que Cruyff a mis en avant l’idée révolutionnaire, Seirul⋅lo a continué à l’appliquer en coulisses comme élément fondamental aux côtés de « la lignée des successeurs de Cruyff dont font partie Van Gaal, Rijkaard et dont Guardiola est le fil conducteur ».
Après sa carrière de préparateur physique, Seirul⋅lo a été le garant de la méthodologie du club jusqu’à ce que le conseil d’administration de Laporta se passe de lui en 2022. “Après presque 47 ans au FC Barcelone, le moment est venu de dire au revoir. (…) Dans cette maison, j’ai grandi, j’ai été formé et j’ai appris les valeurs qui émanent des acronymes qui nous unissent tous”, a-t-il écrit dans sa lettre d’adieu. Des valeurs qui, pour Seirul⋅lo, manquaient au Barça ces dernières années et si personne ne veillait sur elles, il craignait qu’elles disparaissent à jamais. C’est pour cette raison qu’il s’est vu « obligé d’écrire un livre sur l’ADN Barça, pour que tout ce qui a été proposé ne soit pas oublié ». Dans le cadre de la promotion de son livre « ADN Barça », traduction d’une interview issue du site Jot Down Sport dans laquelle Seirul⋅lo vulgarise le langage du football joué par le club catalan.
Quel est l’ADN Barça ?
Paco Seirul⋅lo : L’ADN Barça est une construction théorique d’une pratique qui s’applique au club depuis que Johan Cruyff a commencé à diriger l’équipe première. Il a été éduqué à l’Ajax où il y avait une école de formation de joueurs, et au Barça, il a eu une grande influence sur le fait que toutes les catégories s’entraînent dans les mêmes conditions technico-tactiques pour que les footballeurs ressentent le jeu et celui du Barça d’une certaine manière.
Ça, c’est ce que je comprends comme étant le style Barça.
P.S. : Mais l’ADN va plus loin que le style. Il ne s’agit pas seulement de la façon de jouer, que ce soit avec la possession ou dans un 4-3-3 qui a depuis été grandement simplifié et tout le reste. Ce que j’ai compris et vu au début, c’est que l’ADN est lié à La Masia, construite dans les années 1970. Le Barça a compris qu’il fallait former les joueurs non seulement dans les aspects du jeu, mais aussi à l’école, dans leur formation de citoyen. C’est pourquoi la première étape est de bien choisir les professeurs, car beaucoup de jeunes viennent à La Masia en pensant que puisqu’ils sont déjà au Barça, ils seront champions du monde et gagneront beaucoup d’argent. Nous, on savait tous que sur 40 qui arrivaient à La Masia, à la fin, il en resterait 6. Les autres avaient donc besoin d’aide pour qu’à la fin de leur période de formation, ils obtiennent leur bac ou un autre diplôme leur permettant de poursuivre leur vie normale.
Les joueurs de La Masia sont-ils choisis en fonction de leur niveau général en football ou sont-ils principalement observés à partir de leurs qualités spécifiques ?
P.S. : Pour leur particularisme, oui. On recherchait des footballeurs qui traitaient le ballon d’une certaine manière : celle que l’on a ensuite vue au Barça de Johan.
Vous me parlez de la communion entre La Masia et Cruyff comme origine. Néanmoins, entre-temps, le Barça avait opté pour l’école britannique pendant une bonne partie des années 80, dont la vision des choses vis-à-vis des joueurs n’a pas grand-chose à voir avec celle de l’ADN du Barça.
P.S. : C’est vrai, mais malgré ça, l’essence de La Masia a été préservée. D’ailleurs, les premiers joueurs qui ont été là-bas étaient Amor ou Guardiola, qui ont ensuite rejoint l’équipe première avec Cruyff.
En termes de style, quelle est la matrice du jeu du Barça ?
P.S. : Le football est un jeu social et la base de tout est la passe. Mais pas n’importe quelle passe : face au jeu, dans les pieds et en une touche. C’est ce que Cruyff disait toujours. Figurez-vous que cette passe est déjà là quand un enfant joue avec son père.
Dans le livre, vous incluez la citation suivante de Cruyff : “Celui qui ne joue pas bien le jeu de position ne sait pas jouer au football.”
P.S. : Après la passe, il s’agit d’avoir un système organisé par rapport à l’espace et au temps, selon la phase avec ballon et la phase de récupération. Depuis le premier jour, lors de la construction du modèle de jeu du Barça, Johan parle des positions spécifiques des joueurs et des échanges de postes pour qu’ils soient toujours tous occupés. Eh bien, c’est ça qui est élaboré et développé. C’est ça l’ADN du Barça. Un jeu qui, avec ses essences spécifiques et la façon de le mener à l’entraînement, est une merveille.
Qu’entendez-vous par “essences spécifiques” ?
P.S. : Regardez, sur la couverture du livre, vous pouvez voir Iniesta et Xavi de dos. Vous les voyez et vous ne vous en rendez presque pas compte mais remarquez qu’Andrés porte sur son dos le maillot de Xavi et Xavi celui d’Iniesta. C’est ça l’essence du jeu du Barça. C’est-à-dire : je suis toi et tu es moi. Quand je te fais une passe, je ne te passe pas le ballon, mais je te passe moi-même, je te passe mon être. Et vice-versa. C’est pour ça qu’il s’agit d’un sentiment en dehors d’un quelconque aspect technique ou tactique. L’essence de cet ADN naît dans la communication émotionnelle et affective entre les joueurs du Barça.
Si Cruyff est l’idéologue, on pourrait dire que c’est vous qui avez porté l’idée dans les manuels, en l’institutionnalisant à travers le projet Innovation Hub.
P.S. : Exactement. Le président précédent (Bartomeu) nous a demandé de garder l’idée dans le club et de rassembler toutes les innovations technologiques sur l’ADN Barça, créant depuis lors le département lié à la méthodologie.
Cependant, grâce à l’étude de ces données, il est possible pour d’autres équipes d’imiter le jeu du Barça.
P.S. : Bien sûr que certaines équipes ont essayé, mais elles ne parviendront jamais à réaliser ce que nous avons fait. Gardez à l’esprit qu’une donnée est toujours interprétable, mais au moment où le Barça joue, il n’y a pas d’interprétation, il y a une essence et une réalité. On ne peut pas interpréter la réalité. La réalité est là, il ne faut pas l’interpréter mais seulement la comprendre. Les joueurs du Barça sont dans cette réalité, imprégnés, ressentant ce jeu comme le leur. Et c’est la clé pour pouvoir jouer de cette manière.
On peut donc affirmer que pour qu’un joueur se développe, ce jeu doit être pratiqué dès La Masia.
P.S. : Dans 99% des cas, oui. Ou ne pas être originaire de La Masia mais avoir passé suffisamment de temps dans l’équipe. Je me souviendrai toujours d’un entraînement, on faisait des rondos et des jeux de position et l’une des recrues, qui était un très bon joueur, faisait partie d’un groupe où neuf des onze étaient des joueurs issus du Barça. Sur une séquence, un des joueurs qui a cet ADN lui dit : “Anticipe, anticipe !”, et l’autre lui a répondu : “Ne me demande pas ça, tu as fait ça toute ta vie, laisse-moi du temps !” Ça signifie que se mettre en relation avec l’autre et interpréter l’espace et le temps sont des éléments intrinsèques au joueur ou nécessite un processus d’apprentissage.
Le footballeur n’a pas le sentiment de travailler mais de jouer
À ce propos, je pense à Ibrahimović. Et le côté négatif est que jouer de cette manière signifie aussi que le Barça est limité lorsqu’il s’agit de recruter de grands footballeurs qui n’ont pas cette sensibilité.
P.S. : Exactement. Zlatan arrivait parfois frustré, me prenait par l’épaule et me disait : « Tu me comprends, n’est-ce pas, Paco ? Ce jeu… » Et je lui répondais : « Oui, oui, bien sûr… » C’est vrai, c’est tellement harmonieux, tellement relationnel et tellement naturel qu’on dirait que ce n’est rien, mais ça implique beaucoup de choses. Ça implique le respect de son coéquipier, le respect avant tout du ballon, qui est l’essence du beau jeu. C’est finalement le respect du jeu lui-même, de la manière dont on l’aborde.
Comme l’ADN est quelque chose de culturel au Barça et que la culture est un héritage d’une telle importance qu’il ne se négocie pas, le joueur qui ne sait pas passer le ballon est superflu.
P.S. : Voilà. Le “football-Barça” contredit presque tous les aspects de ce qu’ils appellent “tactique” et de ce que nous, nous appelons des interactions. Au Barça, on a eu de bons joueurs qui à certains moments devenaient presque fous. Parce que tout ce qu’ils savaient, tout ce qui leur avait été signalé ne leur servait à rien et ils ont dû réapprendre [à jouer]. Il y a eu deux ou trois cas très clairs durant les années où Pep était l’entraîneur, même si je n’aime pas citer de noms. Aussi bons soient-ils, ce sont des joueurs qui parlent une autre langue, donc la relation interpersonnelle avec les joueurs du Barça est chaotique. Ces joueurs ont dû partir.
Même si avec Zlatan, c’était impossible, je suppose que ce temps dont le joueur a besoin est ce qui a permis à Guardiola de faire ressembler son City à son Barça.
P.S. : Avec Guardiola, c’est le temps et sa conviction. C’est si beau dans ce que ça représente que n’importe quel joueur qui passe entre les mains de Guardiola se trouve dans un environnement favorable et s’amuse. Pour jouer avec le style du Barça, la composante ludique est essentielle puisque le footballeur n’a pas le sentiment de travailler mais de jouer.
A l’inverse, choisir un entraîneur inapproprié peut ruiner l’harmonie du Barça.
P.S. : Un entraîneur arrivé après Pep (il fait référence à Tata Martino) m’a dit : “Bon, Paco, explique-moi à quoi ressemblent ces petits jeux que vous faites.” C’est-à-dire qu’à l’entraînement, ils ont pris l’habitude d’aller sur l’aile, de centrer et d’être à six à la retombée sur des courses croisées. Ou bien on laisse le ballon à celui qui est face au jeu et celui qui se projette frappe au but. Ils ont pris l’habitude de s’entraîner sur des séquences de jeu. De cette façon, on ne peut pas comprendre le “football-Barça”.
Concernant cette composante ludique, vous défendez également que pour vivre le football de façon plaisante, il faut changer le vocabulaire avec lequel on en parle. Dans votre livre, vous reprenez la phrase de “L’art de la guerre” de Sun Tzu : “Nous sommes des mots”. Le mot prédispose à l’acte.
P.S. : Exact. Si nous voulons faire des choses radicalement différentes, nous devons les appeler différemment, car le langage possède certains éléments distinctifs. Le langage (footballistique) traditionnel est tiré de la guerre. On utilise des termes comme le “tir”, ou des expressions comme “On doit aller au combat” pour avoir déjà le niveau d’agressivité nécessaire car le cerveau agit selon la façon dont on parle. Si tu penses que ce que tu dois faire est de tirer au but, alors cache-toi, accroupis-toi pour surgir seulement à un moment précis. Nous devons ignorer cela, nous devons parler d’une manière qui dit que c’est un jeu et que c’est aussi un jeu merveilleux.
Au-delà du caractère compétitif, ne pas voir l’adversaire en négatif.
P.S. : Il s’agit de comprendre que si l’adversaire n’existe pas, il n’y a pas de jeu. Ça, c’est quelque chose qui est l’essence des grands arts martiaux qui incitent au respect car ils comprennent que si tu n’as pas d’adversaire à vaincre, rien n’a de sens. Nous, on doit se mettre en relation de telle manière que l’adversaire ne sache pas ce qu’ont fait et ainsi le battre, tout simplement.
À propos de ces relations avec ballon, apparaissent ces rondos de Cruyff et Rexach. Du rondo, vous écrivez qu’il est important pour maîtriser le ballon des deux pieds et qu’il est peut-être l’exercice le plus emblématique du Barça.
P.S. : Les rondos ont été introduits par Laureano Ruiz dans les années 1970. J’étais alors préparateur physique de l’équipe de handball et on faisait des entraînements sur le terrain d’entraînement [de foot], qui avait une piste. De là, je les voyais faire des rondos plus basiques. En s’organisant en cercle autour du ballon, c’est Johan qui les a établis comme fondamentaux de l’ADN. Une fois, on faisait un rondo et Johan disait à Charly : « Regarde, ce ballon se plaint », dès qu’il y avait une mauvaise touche. Le rondo pour l’épistémologie de la passe.
Si les rondos et les petits jeux évoquent Cruyff, Guardiola et Vilanova, comme vous l’écrivez, ils ont optimisé les jeux de position et sont « efficaces pour parvenir à la latéralisation et à l’intelligence spatiale ». Tout comme les jeux de situation. Ce sont les autres piliers de la méthodologie du Barça.
P.S. : Ces jeux sont une simulation biaisée de situations de match. Il s’agit de voir quelles situations de jeu peuvent se produire dans les différents espaces au cours d’un match et d’y placer [dans ces espaces] les joueurs qui vont normalement se trouver dans cette zone afin qu’ils enchaînent. L’idée est que lorsque le joueur se retrouve dans une situation similaire en match, il dispose d’éléments pour pouvoir la résoudre.
Guardiola dit que ces exercices influent sur l’intelligence du joueur et, dans le même sens, vous écrivez que “des actions intelligentes et non automatiques” sont recherchées.
P.S. : Exactement. Cette méthodologie est directement liée à l’intelligence motrice. Ceux qui jouent au centre des jeux de position apprennent des mouvements. En connaissant la configuration de l’environnement, votre mouvement dans cet espace est conditionné par les adversaires qui peuvent empêcher la passe.
Et c’est là qu’apparaît la totalité de ce que vous appelez les éléments spatio-temporels : le placement, les distances, les trajectoires et l’orientation.
P.S. : Comme dans ces jeux on y va en une ou deux touches maximum, celui qui est au centre pourra identifier de suite la zone où il doit se placer pour voir trois de ses coéquipiers dont il sait qu’ils seront toujours là car ce sont les récupérateurs immédiats utilisés au Barça. Donc on travaille la façon dont le joueur se positionne, s’oriente, la façon dont il regarde sur les côtés, se tourne. Et avec cet apprentissage dans des espaces déjà déterminés (non définis), le cerveau du joueur agit dans la bonne dimension espace-temps pour trouver le moment de la passe. Il s’agit de m’éloigner ou de me rapprocher selon les adversaires pour savoir le temps dont je dispose pour exécuter l’action nécessaire.
Dans ce travail, vous utilisez une “sémantique concrète et simple qui évite l’entropie”, comme vous l’expliquez.
P.S. : Effectivement. Il s’agit de faciliter au joueur l’acquisition d’habitudes qui font que la perméabilité naturelle du cerveau à anticiper les actions soit continue.
On est rentrés en plein dans la méthodologie sans aborder au préalable l’axe conceptuel de l’ADN du Barça qui, comme vous le développez dans votre livre, sont les “espaces de phase”. Dans le prologue, c’est Guardiola lui-même qui s’enthousiasme de votre découverte.
P.S. : Les espaces de phase font référence au fait que, alors que le football traditionnel est organisé par lignes en lien avec les buts (ligne défensive, ligne du milieu de terrain et ligne d’attaque), notre jeu accepte que ces lignes soient là mais nous, on s’organise en fonction du ballon. Si le ballon se trouve dans telle zone, on doit s’organiser indépendamment de la volonté de former des lignes. Ainsi, dans le football traditionnel, l’arrière droit sort rarement de son côté droit, alors que dans le “football-Barça”, on s’en moque car c’est le ballon qui commande. On change le concept et avec lui la capacité cognitive du joueur. Et la manière différente de le comprendre rend la manière de le travailler à l’entraînement tout aussi différente.
Pour aller encore plus loin, lire cet entretien mené par NOSOTROS avec l’auteur Agustín Peraita qui décrit les principes exprimés par Paco Seirulo : https://nosotrosxp.com/entretien-avec-agustin-peraita/
Et comment déterminez-vous ces espaces et ces phases ?
P.S. : Dans les espaces de phase, on divise le terrain en quatre couloirs et quatre zones qui déterminent le positionnement. Au sein d’eux, on s’organise avec le ballon comme référence. Celui qui a le ballon se trouve dans la distance d’intervention, les autres joueurs proches sont dans la distance d’aide mutuelle et ceux qui sont un peu plus éloignés sont dans la distance de coopération. Il s’agit de concerner tout le monde. Ensuite, on a quelques conditions pour nous mettre en relation. Selon l’endroit où se trouve le ballon, on sera en capacité de se reconnaître dans un espace précis et on essaiera de savoir quoi faire dans cet espace selon si on est dans la phase de disposition (et non de possession, car l’avoir, c’est le tenir) ou dans la phase de récupération du ballon. Le fait d’être ainsi organisé dans la phase de disposition du ballon signifie qu’au moment de la perte, on entre dans la phase de récupération avec au moins trois joueurs dans la zone de la perte, pendant que l’adversaire ne dispose que d’un joueur ou deux maximum. On a là la supériorité numérique que l’ADN Barça recherche toujours. Et quand on parvient à faire au moins trois passes d’affilée, on est de nouveau dans la phase de disposition et dans un autre espace à reconnaître, ce qui conduit à appliquer de nouvelles conditions. Ainsi, on se réorganise constamment selon les espaces de phase.
Vous écrivez que “l’organisation est à l’origine de notre ‘jouer’”. Dans cette “réorganisation en phase de disposition” et cette “auto-organisation en fonction de ce que fait l’adversaire dans la phase de récupération”, le temps devient pertinent, l’autre grand enjeu du football. Qu’est-ce qui est le plus important, l’espace ou le temps ?
P.S. : On donne la priorité au temps, car l’espace est fixe mais le temps est déterminé par le ballon et il faut qu’on soit capable de s’adapter à lui. Le temps est constamment perdu et la vitesse du ballon détermine si cette perte a un sens ou un autre.
Dans le livre, vous insistez sur le fait que le “football-Barça” est révolutionnaire car il rompt avec le football traditionnel. Bien qu’il soit influencé par les théories philosophiques de Descartes ou de Hume et considère donc le jeu à partir de la succession linéaire d’actions, une succession régie par le déterminisme et la relation de cause à effet, celui du Barça est vu à partir du paradigme de la complexité, où tous les joueurs et les circonstances influent à tout moment dans un jeu qui accepte à la fois l’incertitude et le hasard. “Le jeu n’est qu’un, sans transitions, on attaque et on défend toujours”, dites vous.
P.S. : Edgar Morin, avec son approche systémique, est le père de tout cela. Rapporté au football, ça signifie que si nous sommes capables d’éliminer le “moi” et de construire un “nous” toujours nouveau en fonction de la zone où se trouve le ballon, on joue au “football-Barça”. Et sinon, on jouera à autre chose.
Cette construction du “nous” nous amène à la notion d’équipe. Dans le livre, vous prenez position contre ceux qui défendent le football de rue (“selon eux, capable de développer des joueurs talentueux”) et vous évoquez le fait qu’au Barça, les joueurs “généralistes et super-connecteurs” prédominent, sans aucune place pour l’individualisme.
P.S. : Sur ces points, comme le football est né de la créativité individuelle de certains joueurs à réaliser des choses exceptionnelles, il est difficile de se débarrasser de l’idée traditionnelle. Mais la réalité est que les grands joueurs qu’il y a eu dans l’histoire du football ont été capables d’éliminer quatre joueurs avant d’aller au but, de conserver facilement le ballon sur un enchaînement de passes, ou de se mettre en relation avec leurs coéquipiers de façon à se trouver dans la zone où ils pouvaient finaliser l’action en utilisant toutes leurs qualités.
Car avec leurs différents postulats (jouer en une ou deux touches, rester à son poste…), pas mal de gens disent que le Barça limite la créativité du footballeur. Ce sur quoi vous écrivez : “Dans la plupart des situations, la qualité individuelle doit être utilisée dans une juste mesure, dans des espaces-temps spécifiques.”
P.S. : Ceux qui critiquent ce modèle, disant qu’il est monotone et ne laisse pas de place à la créativité, le font par ignorance, car la véritable créativité naît lorsque, dans un environnement changeant, tu es capable d’agir en anticipant le changement, pour que tes actions modifient le psychisme de l’adversaire et que de cette façon, tu t’en sortes. Au Barça, tout le monde peut être créatif sans être individualiste. L’exemple clair est Leo Messi. Chez nous, il était presque toujours dans le camp adverse mais il participait aux sorties de balle selon les espaces de phase évoqués. Messi se positionnait dans le dernier tiers adverse, loin du jeu, en passant inaperçu mais en conditionnant le jeu sans ballon et en étant en mesure de collaborer à une hypothétique phase de récupération. Notre mission était d’enchaîner les passes, d’attirer l’adversaire puis, en cherchant le “troisième homme”, de lui donner le ballon. Lorsque le jeu se rapprochait de Messi, on entrait dans un nouvel espace de phase où apparaissait ce qu’il pouvait apporter avec ballon, à savoir cette créativité axée sur la finition. Ça aussi c’est l’essence même du football de position.
En ce qui concerne le football de position, dans le prologue, Guardiola met en avant le concept dit de “contre-mouvement”.
P.S. : Le contre-mouvement se réfère à l’occupation des espaces. Le ballon se déplace et attire l’adversaire dans ce qu’on appelle traditionnellement “le basculement”. Donc nous, au lieu de venir ici pour aider, on s’éloigne du jeu. On parle aussi de “troisième homme éloigné”. Il s’agit de prendre par surprise l’adversaire contre ses mouvements, en profitant du fait qu’il quitte une zone pour, en trois passes maximum, qu’on exploite cet espace [éloigné du jeu]. C’est une entourloupe façon Barça, oui.
Quant au “troisième homme”, il semble que chacun le voit et l’explique à sa manière. Moi par exemple, je pense aux touches de balle face au jeu de Bakero pour un coéquipier qui surprend l’adversaire. Clarifiez-le nous, s’il vous plaît.
P.S. : Le troisième homme est aussi un concept de Johan. Il s’agit de répéter une ou deux passes entre celui qui intervient et l’un de ceux qui entraident, en combinant, pour que l’un des joueurs adverses qui marque l’un de nos joueurs les plus éloignés soit attiré par le ballon. Alors, ce troisième homme libre de tout marquage peut se déplacer dans un espace où le nouveau porteur de balle peut le trouver.
Une autre critique courante vis-à-vis de la façon de jouer du Barça est qu’il ne dispose pas d’un plan alternatif en fonction du type d’adversaires ou des circonstances spécifiques du match.
P.S. : Si tu comprends le jeu comme un acte de guerre, tu dois avoir un plan. Un plan A, B ou C. La cavalerie par ici, l’infanterie par-là. La tactique, c’est la conséquence de voir le jeu comme un acte de guerre. Mais ce que Johan nous a mis dans la tête, c’est ce “sortez et profitez”. Il n’y a donc pas d’autre projet que de se passer le ballon, soit ce qui te permettra d’être toujours proche du but adverse dans une situation privilégiée. Nous, on ne s’adapte pas à l’adversaire.