Il y a des matchs qui vous mènent au « On Tour », et il y a des « On Tour » qui vous mènent aux matchs. Dimanche, c’était le cas de ce Wisła Krakow – Lech Poznan.
Dans la vie, il y a des villes que l’on apprend à connaître tout d’abord sur un simple coup du sort. Des villes dont on tombe amoureux au hasard des caprices du destin et que l’on visite, que l’on découvre, que l’on aime, que l’on quitte, où l’on pense ne plus jamais revenir et que l’on retrouve régulièrement d’une façon inattendue, jusqu’à ce qu’elles fassent partie de votre vie.
C’est le cas de Cracovie.
Pas de liens familiaux, pas d’accointances particulières avec l’Europe dite « de l’Est » et encore moins avec la Pologne. Pas de parti pris dans ce CR. Et pourtant.
Parler de Cracovie, c’est d’abord planter le décor. Impossible de ne pas évoquer ses petites rues médiévales, son centre chargé d’Histoire, son quartier juif – Kazimierz – à l’atmosphère toujours un peu spéciale. Son imposante et superbe citadelle du Wawel, nichée près de l’indolente Vistule. Impossible de ne pas évoquer les longues soirées passées à refaire le monde avec le reste du monde, justement, dans des endroits insolites – bar-cinéma, jardin-bar, toit-bar, hôtel communiste fermé pour cause de salubrité publique-bar – dont vous aurez saisi le dénominateur commun.
Mais c’est aussi parler de ce peuple généralement humble, dont la jeunesse a soif d’Europe, de culture, d’art et d’histoire, sans jamais toutefois se départir d’une certaine fierté nationale. Cracovie est une ville à la fois très élégante, que l’on ne peut apprendre à réellement connaître sans une réelle courtoisie, et un peu brutale aussi.
Tourisme anglais et football local.
À première vue, le football à Krakow peut sembler paradoxalement presque absent. Même les jours de match, les maillots des clubs locaux ne sont guère de sortie en ville. Voilà pourquoi la courtoisie y est si importante : visitée à longueur de mois par la jeunesse easy-jet – et notamment anglaise – venue retourner le centre à la recherche de bonnes bières bon marché, de vodka pas chère et de filles soi-disant faciles, il faut gratter (avec délicatesse) le mince vernis touristique que la ville et son football ont adopté pour ne pas se noyer dans les clichés.
Clichés qui se résumeront donc à quelques pubs anglais où vous pourrez voir les matchs de football européens, et à parler du football à Cracovie en termes de violences (comme souvent, YouTube est votre meilleur ami pour un complément « d’informations »). Clichés qui ont, bien sûr et sans le nier, une certaine réalité, mais la vérité semble toutefois être désormais légèrement différente. Petit retour en arrière.
Euro 2012 : Krakow s’y prépare. Mise aux normes de sécurité de l’Europe de Platini pour le Miejski Stadion, le stade du Wisła, d’un côté, construction d’un petit bijou d’architecture moderne en lieu et place du vétuste stade du Cracovia de l’autre. Las, malgré les efforts colossaux entrepris, rien n’y aura fait. La seconde ville du pays, et certainement la plus visitée, est ignorée de la grande fête européenne du football. Raison officielle : le manque d’infrastructures… touristiques. Raison officieuse (comprendre locale) : divergences politiques. La ville paiera donc la couleur de son vote. Triste. Mais à Cracovie, on sait se relever de ce genre de décision a priori défavorable. Non seulement contente d’avoir accueilli diverses sélections dont la Squadra Azzurra en 2012, de nombreux supporters auront pu y vivre un Euro éloigné des désormais fameuses « Fans Zones » qui ont parfois un peu anesthésié la spontanéité de l’évènement. Niveau organisation, cette préparation aura semble-t-il eu le mérite de mettre au niveau une sécurité décriée ces dernières années. Krakow, une ville ballon rond 2.0 : au Wisła la « Tessera », les allées vidéo-surveillées, les renforts de police, les déplacements des supporters adverses interdits quand il le faut, les places numérotées et les stewards. Prends ça, football sauvage.
Mais la passion populaire n’en a pour le moins pas diminué, et celle-ci commence comme souvent dans le cercle familial. Il n’y a pas une famille, pas un ami polonais, qui ne soit lié par le football d’une façon ou d’une autre. Football qui fait partie intégrante de cette culture locale dont les Krakaeur sont si fiers. En effet on choisit son camp très tôt dans la capitale culturelle de la Pologne : Wisła Krakow ou Cracovia. Et nul n’y échappe. Ici, ce sera donc Wisła.
Si géographiquement, les stades de la ville sont séparés par moins d’un kilomètre aux abords de superbes espaces verts, ils sont, en revanche, séparés sur le terrain de la pensée par des années d’antagonisme et par des idéologies différentes. Des « idées » quelles qu’elles soient, qui sont à passer au prisme d’une Histoire différente de la nôtre et au sujet desquelles il faudrait écrire un papier beaucoup plus long que celui-là. La petite histoire, elle, retiendra que ce dernier jour d’un pourtant long séjour en Pologne se terminera par un Wisła Krakow – Lech Poznan. Un match dont il est dit qu’il fait partie des classiques du championnat polonais. De quoi donner le sourire.
Un Dimanche soir à Cracovie.
17 heures, dimanche. Le cheminement vers le stade se fera donc à pied. Le temps d’attraper quelques bières en passant par la cité étudiante qui longe le stade, s’arrêter dans des bars de supporters typiques du coin où se pressent également des « amis » du Lechia Gdansk et de Sławk, ainsi que quelques fans du… Celtic Glasgow (ces types-là sont décidément partout). À la mode locale, nous chopons une saucisse tout en contemplant la marée rouge se répandre lentement dans les différentes travées du Miejski Stadion.
Un stade parfaitement organisé donc, où, petite surprise, la bière est autorisée. En arrivant dans la tribune, première claque visuelle. À droite, le « mur rouge » du Wisła se dresse, imposant, incontournable. 5000 personnes au bas mot qui enflammeront le stade de tifos, de chants et d’animations pendant plus de 90 minutes. La Passion. La Vraie. À gauche, malheureusement, les fans du Lech Poznan – accointés avec ceux du Cracovia – auront été interdits de déplacement et leur emplacement semblera bien vide tout au long de la rencontre. Sécurité, quand tu nous tiens.
Sur le terrain, le Wisła, annoncé comme moribond depuis plusieurs semaines (Sans défaite en 4 matchs, la passion, toujours) domine un Lech Poznan venu espérer placer quelques contres. Le jeu développé sur le terrain est séduisant et se rapproche plus d’une philosophie balkanique que d’une quelconque filiation britannique. Krakow, désormais entraîné par l’ancien sélectionneur polonais Franciszek Smuda, pose le ballon, multiplie les dédoublements et ainsi les occasions. 30e min : au cœur de la première mi-temps, pénalty sifflé en faveur du Wisła, plaisir des sens. Le Mur Rouge gronde et s’enflamme quand Paweł Brozek (un des bons attaquants polonais de ces dernières années), transfuge estival en provenance du Recreativo Huelva, le transforme d’un parfait contre-pied. 1-0.
Aucune volonté de fermer le jeu, ça repart de l’avant. Entre quelques chants traditionnels et autres sucreries réservées aux supporters du Cracovia, la partie reste toujours aussi plaisante et si Poznan tente bien quelques percées plein axe en essayant de profiter de la lenteur de la charnière des rouges, c’est bien le Wisła qui, emmené par les excellents Małecki, Chrapek et Garguła au milieu de terrain, combine et va chercher le 2-0 sur un magnifique solo dans la surface du dernier nommé à la 46e. La messe est dite, la coupe est pleine et la tribune déborde de bonheur.
La deuxième mi-temps repartira sur les mêmes bases de jeu à une touche, de dédoublements, d’attaque en permanence, sans toutefois que le score ou la physionomie du match évolue. Le « technicien » pourrait regretter le manque de maîtrise du fameux changement de rythme. Mais le spectateur beaucoup moins. Perdu entre deux bières, et hypnotisé par les ondulations incessantes du « mur », la Ligue 1 semble désormais bien loin. Le match suit son cours sans réel coup du sort. De temps en temps, Miskiewic, le gardien du Wisla, s’envole, faisant apprécier une réelle lecture du jeu et de belles qualités de mains. Mais le Lech Poznan a étonnamment abdiqué et n’est plus qu’un amas informe d’individualités dont personne ne sort du lot, et Cracovie tiendra tranquillement son match jusqu’au bout. Coup de sifflet final, le stade explose. Le soir tombe sur la capitale de Petite-Pologne.
Dans la fraîcheur de cette fin d’été, le supporter finira donc la journée le sourire aux lèvres en quittant tranquillement un stade en fusion après la victoire de son équipe. Les Polonais sont curieux de savoir comment le match a été vécu par les petits Français. Mais dans le flot de questions, la principale interrogation est surtout de savoir si nous reviendrons. Évidemment.
Etonnant football de l’Est. La suite se déroulera dans les quelques bars du coin à fêter la victoire et dans les locaux du Consulat. La ville n’ayant pas voulu nous laisser partir, le week-end s’est terminé un peu en clandestin. Mais ceci est une autre histoire. Ah ! Cracovie : une ville élégante et un peu brutale, qui nous aura laissé en guise de dernier document notre « Tessera » du Wisla.
Putain de football total.