Le retour au stade. Le moment auquel on a songé depuis de longs mois. A Berlin, le choix est pléthorique chaque week-end entre les divisions régionales et les trois clubs qui évoluent dans les divisions professionnelles (Hertha Berlin, Union et Viktoria). Alors comment faire son choix ? Ce fut assez simple : le dernier match vu était un Berliner AK07-VSG Altglienicke en Regionalliga (National 2 local) en octobre 2020. Ce jour-là, nous fîmes la connaissance d’un numéro 10 qu’on rêve tous d’être. Un gaucher peu rapide, sauf quand il a le ballon. Un gars qui parait un peu dilettante mais illumine le jeu à chaque fois qu’il touche le cuir. Et ce gars s’appelait Tolcay Cigerci.
Il était certain que ce bon Tolcay n’avait rien à faire en quatrième division. On le savait et le Viktoria Berlin également puisque le promu de Regionalliga en 3.Liga l’a recruté. Pour nous, c’était une raison suffisante pour choisir mon affiche dominicale, revoir ce gaucher et découvrir le Viktoria Berlin.
Pour certains Berlinois, le dimanche est synonyme de tour à Mauerpark où le marché des artisans côtoie les saveurs du monde entier, sans oublier quelques concerts improvisés voire parties de 3×3. Mais ce dimanche-là, un nouveau public avait envahi Mauerpark et son environnement, faisant concurrence aux Instagrammeurs qui patientent 30 minutes pour récupérer leur café dans un endroit branché : les supporters de Kaiserslautern. Il faut dire que le Viktoria ne recevait pas n’importe quel club ce week-end : le 1.FCK, quatre fois vainqueur de la Bundesliga, deux fois demi-finaliste de la Coupe de l’UEFA mais tombé dans les oubliettes depuis quelques saisons, hormis pour ses fidèles.
Ces derniers firent d’ailleurs du bar Tante Käthe, haut lieu du football berlinois, leur point de rencontre avant de filer vers le Friedrich-Ludwig-Jahn-Sportpark Stadion. Le match avait lieu à 13 heures et à midi, les files d’attente pour entrer dans le stade étaient déjà immenses (contrôle Covid oblige). Quelques supporters de Kaiserslautern en profitèrent pour faire craquer des fumis rouges.
L’accès au stade prit une trentaine de minutes, le temps de constater que les maillots rouges du 1.FCK étaient logiquement en nombre conséquent. Un média annonçait la veille que 1500 supporters feraient le déplacement jusqu’à Berlin pour cette rencontre de troisième division. On ne devait pas être loin du compte. Le contrôle Covid se déroula sans embûche, les stadiers étant réglés et rapides. Vint finalement l’entrée dans le stade.
Un pur plaisir après tant de mois scotché sur un canapé. La première vision du stade fut ces immenses pylônes pour soutenir l’éclairage et cela nous rappela forcément nos premiers pas dans un stade, dans le vieux Delaune rémois tant regretté.
Le virage dédié aux supporters de Kaiserslautern était déjà bien rempli, ceux-ci prenant un vaste plaisir à chambrer les stadiers qui rencontraient quelques difficultés pour taper dans un ballon. Je regardais au loin les deux équipes s’échauffer, à la recherche forcément de Tolcay Cigerci. Il était là au milieu des siens, il avait délaissé le numéro 10 pour le 14. Numéros d’esthète toujours, l’homme se respecte.
Bien que promu, le Viktoria Berlin était favori face à ce grand nom du football allemand. Depuis la menace d’un dépôt de bilan à cause d’investisseurs chinois peu fiables et la reprise en main du club par l’homme d’affaires Zeljko Karajica, le Viktoria dispute le titre officieux de troisième meilleur club de Berlin (derrière le Hertha et l’Union) face aux autres ambitieux comme le Berliner AK07 et le Dynamo Berlin.
Avant la rencontre, je découvrais mon environnement. Un ancien lisait les avis de décès sur un journal au format obsolète, un autre bombardait de photos tous ses contacts sur WhatsApp tandis que deux jeunes hommes tenaient une pancarte, quémandant le maillot de Felix Götze, frère de et joueur du 1.FCK.
Dès les premières minutes de jeu, le plan était clair : Kaiserslautern devait se rassurer et prendre le jeu à son compte, le Viktoria était prêt à laisser le ballon pour s’amuser en contre. Les supporters du 1.FCK firent beaucoup de bruit dès l’entame et alors qu’un chant les invitait à se lever, on a pu constater qu’ils étaient très nombreux dans toutes les tribunes.
Mais leur enthousiasme fut de courte durée. Dès la 3e minute de jeu, les locaux ouvrirent le score sur un caviar de Cigerci. Ce dernier restait fidèle à lui-même et je découvrais que ses deux compagnons d’attaque avaient été créés dans le même moule : de bons techniciens capables de fracturer n’importe quelle défense en quelques passes et coups de rein.
Kaiserslautern tenta de réagir mais se montra particulièrement maladroit en attaque. Le Viktoria n’en demandait pas tant, d’autant plus que Felix Götze offrit le ballon du 2-0 à Cigerci qui s’en alla tranquillement battre le gardien adverse. Les premières bières volèrent, de joie ou de déception.
Elles furent bientôt remplacées puisqu’un stade allemand ne serait pas un stade allemand sans ses stands de bières et ses saucisses à volonté. A la pause, des supporters de Kaiserslautern se marraient en alignant les bières : a priori, ils en avaient vu d’autres et deux buts concédés n’allaient pas les abattre.
Mais leur déroute devint rapidement totale. Au retour des vestiaires, le trio offensif du Viktoria (Cigerci-Küc-Falcao) se promena dans la défense adverse. Chacun de ces artistes toucha le ballon sur l’action et le Brésilien finit par marquer facilement. Les supporters de Kaiserslautern décidèrent donc plutôt de chanter à la gloire des stadiers placés devant eux, stars inattendues de l’après-midi.
La physionomie changea peu après cela, malgré les nombreux changements. Un moment d’effroi parcourut tout de même les tribunes quand le pauvre Felix Götze, victime d’un choc, resta au sol. Les gestes de ses coéquipiers et adversaires firent craindre le pire et son évacuation sur civière (il passera la nuit en soins intensifs à cause d’une fissure au crâne) fut finalement saluée par les applaudissements des plus de 4000 spectateurs.
Plus tard, le Viktoria Berlin planta un quatrième but alors que plus personne n’avait vraiment à coeur de jouer. Les locaux continuaient ainsi leur parcours admirable en 3.Liga avec trois victoires en trois rencontres, grâce notamment à un grand Tolcay Cigerci (3 buts et 2 passes décisives). Nous étions heureux, c’était comme reprendre des nouvelles d’un ami plus vu depuis longtemps. Cigerci allait bien et c’était le principal. Il était certain qu’il nous ferait revenir dans ce stade parce qu’il ne faut pas se refuser les plaisirs offerts par un tel pied gauche.