Sparta Prague, Slavia Prague, Dukla Prague, Bohemians Prague. Cette année, la richesse du football de la capitale tchèque en première division n’a d’égale que celle de son architecture. En partant visiter la belle en ce mois de mars, nous savions par avance que la roue de la fortune footballistique s’arrêterait sur le match d’un de ces clubs-là. Après un rapide coup d’œil au programme de la Gambrinus Liga (le championnat local), ce sera donc le Slavia Prague face au Mlada Boleslav, à l’Eden Aréna, qui sera l’objet de ce On Tour en Bohême, sous un climat loin d’être printanier.
Mais qui es-tu, Slavia Prague ? Peut-être un peu plus qu’ailleurs, les clubs d’Europe centrale ont souvent une longue histoire derrière eux. Le Slavia est en premier lieu un club omnisport fondé en 1892 par des étudiants en médecine du quartier de Vinohrady, afin de démocratiser la pratique sportive et l’activité physique chez leurs camarades. Tout d’abord orienté vers le cyclisme, c’est en 1896 que le club se tourne vers le football en gagnant 5-0 son premier match contre l’AC Prague. La pratique de ce sport semble avoir vite été adopté, puisque, 4 jours plus tard, se joue le tout premier derby de Prague contre le Sparta, qui se terminera sur le score de 0-0. Ce sera l’acte de naissance de leur fameuse rivalité. Dès 1905, le club fait figure de pionnier dans le monde du ballon rond : le manager écossais John Madden, un ancien joueur du Celtic, vient structurer les Rouge et Blanc en y apportant sa vision novatrice du football, établissant « l’âge d’or du Slavia » qui ne durera pas moins de 25 ans.
Entre 1905 et 1930, le club gagne 134 matchs sur 169 au niveau local, et 304 sur 429 au niveau international. Excusez du peu. Le club pragois connaîtra une seconde période prolifique dans les années 1940 après l’acquisition de Josef « Pepi » Bican, un prolifique attaquant autrichien en provenance de l’Admira de Vienne, grâce à qui il enrichira son palmarès avant de rentrer dans le rang de longues années durant alors que l’histoire du pays s’agite, allant jusqu’à connaitre les affres de la relégation dans les années 1960. Le renouveau du Slavia dans le football moderne s’effectuera dans les années 1990, avec l’émergence de jeunes joueurs talentueux comme Vladimír Šmicer et Patrick Berger, bien connus des fans de ballon rond. Cette génération emmène, en 1996, les Rouge et Blanc jusqu’à leur 14e titre nationale après 49 ans de disette, mais aussi la toute jeune sélection tchèque, fraîchement issue de la partition de la Tchécoslovaquie en 1993, en finale de l’Euro 1996. Voilà pour la base historique.
50 nuances de Prague
Mais haut les cœurs : De nos jours, la République tchèque et sa capitale, Prague, se portent bien. Non contente d’être une superbe ville à la richesse historique, culturelle et architecturale phénoménale, la « ville aux mille tours et mille clochers » est un lieu extrêmement cosmopolite et dynamique qu’on ne saurait trop vous conseiller de visiter. Il en va de même si vous décidez d’aller voir un match du Slavia, qui joue ses matchs à domicile à l’Eden Aréna, une superbe enceinte de 21000 places réputée pour être la plus moderne du pays et dont l’inauguration a eu lieu en 2008.
Construite sur une grande zone bétonnée, quasiment jumelée à un centre commercial et à un Tesco (une des grandes enseignes de distribution du pays), c’est sous le regard bienveillant de la police montée que vous rejoindrez votre tribune parmi les fans tout en rouge et blanc du Slavia, emmitouflés dans leur plaid brodé de l’étoile. En effet: il fait très froid en cette soirée du vendredi 13 mars lorsque nous rejoignons notre place après la fouille habituelle aux portiques. Les entrailles du stade regorgent de stands de bières et de saucisses fumantes, le tout souvent servi par des demoiselles tchèques visiblement triées sur le volet. Bienvenue en Europe centrale : un monde où patrimoine culturel, chaleur humaine et capitalisme assumé ne se mélange pas mais se côtoie et cohabite, aussi sûrement que les couleurs du Slavia se séparent distinctement mais forme un même ensemble, et dont la légende dit qu’elles furent autrefois brodées ainsi par la soeur d’un joueur qui aurait manqué de tissu au moment de préparer les maillots.
De la purge…
C’est sous le superbe toit en lambris du stade que nous prenons place parmi les fans Červenobílí (Rouge et Blanc). L’affluence n’est pas au rendez-vous. Cette saison, les résultats en dents de scie du Slavia semblent l’avoir totalement englué dans le ventre mou et l’enthousiasme des supporters avec. Et ce n’est pas la réception de Boleslav (dont les Marseillais se souviennent encore), bien classé, qui changera la donne en ce vendredi glacé. Pourtant, la fanbase est là. Les supporters, les vrais. Les familles dont la passion a été transmise de génération en génération; les enfants, les femmes, les plus âgés.
La tribune Sever, derrière le but, quant à elle, affiche quasiment complet. Elle regroupe les ultras et les groupes plus engagés du club qui forment cet espèce de « mur » traditionnel slave qui s’agite, craque du fumi à l’unisson et n’hésite pas à balancer du gobelet en plastique sur tout ce qui se trouve à portée sur la pelouse et ne lui convient pas vraiment. Le match démarre de façon prudente, mais les contacts sont francs et engagés. Pendant presque 25 minutes les deux équipes se rendent coup sur coup dans une partie cadenassée et équilibrée. On sent venir la purge quand la rencontre se débride soudain : à la 23e minute, Jaromír Zmrhal vient débloquer le match en faveur du Slavia d’une frappe tout en puissance et la tribune explose ! C’est le début du festival. Le milieu très offensif, Levan Kenia, sorte de Carlos Tevez georgien formé au Dinamo Tbilisi puis à Schalke 04, fait des misères au gardien de Boleslav en frappant du gauche un superbe coup franc au 25 mètres à la 37e ! Seconde explosion du stade : ce soir, c’est sûr, le match est pour le Slavia !
… au match totalement débridé !
Les fans des « cousus » sont très loin de s’en douter, mais ils vont avoir plusieurs fois l’occasion de se prendre la tête entre les mains. Alors que la trentaine de supporters de Boleslav continue à pousser son équipe torse nu sous le crachin glacé, les visiteurs ne baissent pas la tête et reviennent dans la foulée à 2-1, par l’intermédiaire de Jasmin Ščuk. On saisit dès lors rapidement la fragilité mentale des hommes de Miroslav Beránek. Le cauchemar continue puisque Boleslav, par l’intermédiaire de Jan Šisler, vient égaliser à la 43e, juste avant le retour aux vestiaires. 2-2. Le Slavia vient de perdre la main en 6 minutes. Le match a été, jusque-là, marqué par une grande débauche d’énergie de la part des deux équipes. Le niveau physique est bon, mais l’équilibre tactique de la partie n’a pas encore été trouvé. Le Slavia cherche à faire le jeu mais n’y trouve pas son compte, quand le Mlada semble avoir une meilleure capacité à tenir le ballon. Au retour de la pause, les deux équipes semblent avoir décidé de remettre l’église au centre du village : Prague évolue plus bas et joue très bien en contre, quand Boleslav construit mieux ses actions.
À ce petit jeu, les joueurs se révèlent et le Slavia repasse devant après une énième contre-attaque rondement menée, conclue par un superbe numéro technique de Jaromír Zmrhal qui offre à Škoda le 5e but du match sur un plateau à la 47e. 3-2. Le Mlada ne baisse pas les bras : l’international espoir tchèque Skalák prêté par… le Sparta Prague (!) prend le jeu à son compte et laisse entrevoir l’étendue de son talent. Dans une position similaire à celle de Kenia en première mi-temps, il frappe un superbe coup franc qui vient fusiller le gardien du Slavia, Hrubeš, à la 62e ! 3-3 ! L’homme à la crête, Jiří Skalák, fait le show sur le terrain, organisant les attaques de son équipe avant de régulièrement venir brancher les supporters du Slavia qui lui rendront tout son amour lors de sa sortie à la…90e. L’intensité de ce match ne faiblit pas, Kenia sort pour Baez, un petit argentin grassouillet visiblement adapté à la diététique locale, mais aux jambes de feu et qui manquera la balle de break pour le Slavia d’une tête plongeante, quelques minutes plus tard. Le temps passe et on se dirige doucement vers le nul lorsque sur une nouvelle attaque placée de Boleslav, c’est Wagner, tout en finesse, qui vient crucifier des Pragois attentistes puis médusés. 3-4 à la 90e.
Slavia, football tchèque et jeune espoirs
Le Slavia s’est effondré. Mais quel match ! Ce soir, certes, nous n’avons eu qu’un petit aperçu du football tchèque, mais il n’est visiblement pas sans qualités Ces clubs le prouvent d’ailleurs de temps en temps en Coupe d’Europe : Les supporters du Napoli se souviennent encore de la claque reçue au San Paolo face au Viktoria Plzeň (0-3) en février 2013. La jeunesse semble prometteuse. Parmi les joueurs qui ont fait le spectacle, aucun n’a plus de 25 ans. Du côté du Slavia, le Géorgien Kenia est vraiment un joueur à suivre, tout comme le jeune espoir tchèque Jaromír Zmrhal ou encore le latéral droit Jan Mikula. Du côté de Boleslav, le jeune Jiří Skalák, du Sparta, imperméable à la pression, a fait un excellent match.
C’est parmi le flot des supporters en rouge et blanc dépités que nous nous dirigeons lentement vers la sortie, non sans avoir souri une dernière fois à la rangée des (nombreuses) serveuses blondes proposant des pintes de fin de match, issues de leur stock non-écoulé. La défaite est dure à encaisser ce soir pour les fans du Slavia. L’attente à l’arrêt de bus s’égaiera bien d’un début d’agîtement, avec quelques gobelet lancés sur le passage du bus des supporters de Boleslav déchaînés, mais on ne badine pas avec la policie sur les bords de la Vlata. Une simple ouverture de porte d’un des camions de police devant des individus n’ayant finalement plus trop la tête à ça aura suffi à éteindre un semblant de départ de feu, mort-né sur des braises déjà bien refroidies. Dans la nuit noire, les quelques 6000 spectateurs de l’Eden Aréna s’éparpillent. les visages sont fermés après cette défaite face à Boleslav.
Mais nul doute que la belle Prague saura la rendre un peu moins amère, pour peu que les fans déçus du Slavia aillent un peu s’y perdre !
