La rubrique On Tour est de retour après la trêve estivale. Quoi de mieux que l’Argentine pour recommencer la saison ? Et cette superbe affiche entre le Racing, prétendant annoncé au titre, et le vainqueur de la Copa Libertadores, San Lorenzo ? Le tout, pour le retour de Diego Milito à la maison.
Dimanche 17 août, 12 heures, il fait 26 degrés en plein hiver à Buenos Aires. Qui dit dimanche en Argentine, dit forcément football et encore plus avec ces températures estivales ! On regarde le calendrier des matchs de la journée se jouant à Buenos Aires : Racing Club-San Lorenzo ou River Plate–Rosario Central. « J’ai dit à ma femme qu’aujourd’hui, je n’allais pas au parc avec la petite, j’allais au stade … n’importe quelle stade ! On aura le temps demain, c’est férié », annonce un acolyte. Le ton est donné. On décide de se diriger vers « el Cilindro de Avellaneda » pour ce qui s’apparente à la rencontre la plus alléchante entre un Racing qui veut jouer le titre et le récent vainqueur de la Copa Libertadores. L’ « Academia » a aussi la réputation d’avoir l’une des meilleures hinchadas du pays. À quelques rues de l’obélisque, en plein centre ville, nous prenons le bus numéro 24 en direction de la ville d’Avellaneda située dans la proche banlieue sud. Dans le bus, on aperçoit déjà des ados aux couleurs du Racing, la chaleur est suffocante. Après une bonne demi-heure de trajet durant lequel nous passons à 200 mètres de la Bombonera et traversons le pont Puerreydon qui sépare la capitale de la banlieue sud, nous voilà à Avellaneda. On est loin de l’image de certains endroits de la banlieue de Buenos Aires, ici pas de bidonville à première vue. On suit la foule dans ce qui semble être le centre d’Avellaneda sur l’avenue Belgrano. Les maillots du Racing sont présents partout, le centre-ville est bondé, les vendeurs ambulants de produits dérivés du club sont au taquet et, ici et là, plusieurs groupes de personnes font la traditionnelle « previa » (l’avant-match souvent à base de « asados » et alcools : vins, fernets cocas ou bières). Au coin d’une rue, une trentaine de personnes chantent et paraissent fortement alcoolisées. Il est 13 heures, le match ne commence que dans un peu plus de deux heures.
Première mission : trouver des places
– « Maestro, tu sais pas où on peut choper des places ? ».
– « Tu va galérer mon frère, le stade sera plein aujourd’hui, essaie de te rendre à la billetterie du stade mais pour la « popular », je crois que c’est mort ».
On emprunte alors la direction du stade à quelques rues de l’avenue Belgrano, toujours énormément de monde, on n’imagine même pas ce que ça donne une heure avant le match. Température estivale, retour de Milito chez lui, horaire idéal, victoire le match précédent, visite du vainqueur de la Copa Libertadores, c’est sûr : le stade va exploser. Deux files se dessinent, l’une d’elle pour rejoindre le virage et l’autre pour acheter les dernières places pour les « non socios ». Les deux font environ 1 kilomètre ! On fait la queue pendant un quart d’heure, la rumeur de liquidation des places pour le virage se propage.
« Putain, on va devoir acheter des plateas à 450 pesos (40 euros, ndlr) », s’exclament certains. La direction du Racing avait pourtant prévu le coup puisqu’elle avait ouvert le virage visiteurs généralement fermé.
« Attendez-moi là, je vais voir ce qu’il reste », improvise l’un d’entre nous. Il revient 10 minutes plus tard avec des places pour ce virage visiteurs et nous évite la queue. Visiblement, on bénéficie de certains passes droits quand on est militaire, d’autant plus que la police locale est facilement corruptible… Il est conseillé d’éviter d’acheter des entrées à la sauvette, elles sont généralement très chères, fausses et lorsque vous la passerez au scanner automatique, vous risquez d’avoir l’air bête. Ça vous évitera aussi de payer pour vous prendre des coups de matraques, ça se passe généralement comme ça avec la police argentine.
La foule se fait de plus en plus nombreuse, la queue pour accéder au fief de la « Guardia Imperial » – la barra brava locale – est beaucoup moins ordonnée, les gens poussent, se plaignent, les coups de matraques fusent. On entend déjà les tambours à l’intérieur des coursives, le noyau dur de la hinchada est déjà à l’intérieur. On regrette de ne pas être dans ce fameux virage de la « Guardia Imperial », complet depuis deux jours. Une heure avant le match, on prend place en virage visiteurs (les supporters de San Lorenzo n’étaient pas présents à cause de l’interdiction de déplacements en Argentine), on aura passé deux contrôles de police plutôt légers. Le stade est déjà bien rempli, la barra brava n’a pas encore fait son apparition mais les premiers chants mettent l’ambiance : « Tenes que salir campeon este es el año ustedes poniendo huevo y yo alentando hace mucho tiempo que la vuelta yo quiero dar este año academia no me podes fallar ». En français : « Tu dois être champion, cette année, c’est la bonne. Posez vos couilles nous on vous supporte, ça fait longtemps que je veux qu’on triomphe, cette année, Academia , tu ne peux pas me décevoir ». Pendant la reconnaissance du terrain, les gardiens du cuervo se feront copieusement sifflés à l’exception de l’entraîneur qui aura droit à son ovation : Campagnuolo, une ancienne gloire du Racing. Ortigoza, le milieu de terrain de San Lorenzo, s’amuse un peu avec la hinchada de l’Academia et sera pris en grippe pendant tout le match. « Crève, gros porc ! », s’époumonent certains.
Vient ensuite l’échauffement du Racing et énorme ovation pour Milito, un pur produit du club qui fait son grand retour. Les « Militooo, Militooo » descendent des quatre coins du stade et donnent la chair de poule. Les joueurs de San Lorenzo se sont, eux, visiblement échauffés sur les terrains adjacents au stade, une pratique courante lors des « clasicos » en Argentine. 15 h 15, le Cilindro est plein à craqué, la barra brava a fait son apparition avec le rituel solennel de l’entrée 5 minutes avant le match avec les drapeaux et tambours à la manière d’une armée de chevaliers. Le match commence enfin, la moitié du stade a fait tomber le maillot à cause d’un soleil écrasant et on peut admirer presque, chez un supporter sur deux, un tatouage du club, même chez les femmes…L’entrée des joueurs est spectaculaire, les tribunes latérales se couvrent de drapeaux aux couleurs bleu, ciel et blanc et le virage déploie une énorme bâche où l’on peut lire « La Guardia Impérial ». 5 minutes plus tard, 3 autres bâches représentant chacune les 3 sections de barras ( Guardia Imperial, Racing Stones, La barra del 95) recouvriront le haut du virage. La fumée bleu ciel envahit le terrain au son du fameux « Racing, mi buen amigo ». Les Bleu ciel et Blanc prennent rapidement le contrôle du ballon et étouffent une équipe de San Lorenzo privée de nombreux artisans du sacre en Libertadores (Piatti, Correa, Romagnoli, Mercier et Ortigoza sur le banc). Les chants font d’ailleurs référence à la Libertadores : « Pour être un grand club, San Lorenzo, tu dois être champion du monde », en référence à la Coupe du monde des clubs qui sera disputée en décembre. Le club du pape n’échappera pas à l’habituel « De que barrio sos San Lorenzo » (« De quel quartier viens-tu ? » qui se réfère au combat de San Lorenzo pour retourner à Boedo). On regrette d’ailleurs l’absence des fans de San Lorenzo, le duel entre deux des meilleures hinchadas du monde après le sacre en Libertadores aurait été beau à voir. Le match se bride et l’ambiance retombe jusqu’au premier but du Racing juste avant la mi-temps. Une énorme clameur résonne dans le virage local et les chants reprennent de plus belle. Place à la deuxième mi-temps et le Racing contrôle toujours le match, Hauche a le droit à une ovation après chaque action et sa générosité sur le terrain se propage aux tribunes. C’est le moment du chant à la mode depuis un an à Racing :
Los momentos que vivi, todo lo que yo deje Les moments que j’ai vécus, tout ce que j’ai laissé
Por seguir a la Academia, nadie lo puede entender Pour suivre l’Academia, personne ne peut comprendre
Yo no se como explicar, que te llevo hasta en la piel Je ne peux pas l’expliquer, que je t’ai dans la peau
Sos la droga que en las venas me inyectaron al nacer. Tu es la drogue qu’on m’a injecté à ma naissance
Se me parte el corazón, cada vez que vos perdes Mon cœur se brise chaque fois que tu perds
Me pongo de la cabeza y otra vez te vengo a ver. Je deviens fou et je reviens te voir
Muchachos, traigan vino, juega la Acade Messieurs, ramenez du vin, l’ Academia joue
Que esta hinchada esta de fiesta Cette hinchada fait la fête
y hoy no podemos perder….. Et aujourd’hui,on ne peut pas perdre
Muchachos, Traigan vino juega la Acade Messieurs, ramenez du vin, l’ Academia joue
me emborrarcho bien borracho Je me bourre la gueule
si el rojo se va a la B Si Independiente va en deuxième division
Tout le stade saute et reprend ce chant. Milito est ovationné une nouvelle fois à sa sortie et son remplaçant tue le match d’un magnifique but. Centurion, le prodige de retour également après un court exil au Genoa, amuse la galerie avec des petits ponts et le stade entier entonne le fameux « Cada dias te quiero mas » en tournoyant leur maillot. San Lorenzo a sûrement la tête ailleurs, Racing est bel et bien de retour et ses supporters le font savoir. Une fille à côté de nous ne peut s’empêcher de retenir ses larmes (on s’étonnera de la forte présence féminine dans les tribunes et, au passage, elles sont loin d’être les plus moches) et personne ne peut enlever l’illusion d’un titre même si celle-ci peut paraître prématurée.
» On joue enfin au football », s’exclame un vieillard visiblement conquis par le jeu produit par le Racing.
« Independiente à la 5 ème journée, on va te b… » ou encore « Cette année, on doit être champions » seront les derniers chants entonnés par le peuple du Racing. On fait le chemin inverse jusqu’à la place Alsina au milieu des coups de klaxons et des bus bondés de supporteurs. Nous attendons une bonne heure le bus numéro 100 pour rejoindre de nouveau le centre-ville de Buenos Aires. Une dizaine de mecs bourrés continueront de chanter pendant le trajet et les bus scolaires affrétés pour la hinchada rejoignent également la capitale.
La nuit tombe sur Buenos Aires et à quelques kilomètres plus au nord, 80 000 supporteurs de River Plate s’entassent dans le Monumental pour suivre leur équipe contre Rosario Central. Pas de doute possible, l’Argentine est le vrai pays du football…