Pour ce nouvel On Tour, La Grinta a voyagé au Brésil et précisément à Rio de Janeiro pour suivre un match de Série A brésilienne entre Fluminense et Palmeiras au Maracanã. Entre l’atmosphère humée à Rio, une semaine après le derby carioca, les ressentis des supporters sur leur club de coeur sans oublier la Seleção, le programme s’annonce sympa.
Sac à dos fait (oui, on est des routards, la valise c’est pas pour nous) nous débarquons à Rio avec tous les fantasmes en tête. La plage de Copacabana, les favelas tenues par des types aussi dézingués que Ze Pequeño dans « La cité de Dieu », le Christ Rédempteur qui te rappelle bien que t’es vraiment dans la ville que tout le monde aimerait localiser sur Facebook, bordel ! Nous, c’est le football qui nous fait des appels de phare. Ces fous jouent partout où tu peux poser un ballon : sur la plage, dans les ruelles, ou dans les hauteurs des favelas. Un vrai délire. Pour les profanes du Brésil, à l’inverse de bon nombre de clubs européens, la majorité des formations du championnat brésilien représente des quartiers des grandes villes du pays. Flamengo, Fluminense, Vasco de Gama, Botafogo pour Rio de Janeiro ou bien São Paulo FC, Corinthians, Palmeiras pour les clubs de São Paulo. C’est déjà compliqué à gérer un derby par ville, là il y en a entre cinq et huit pour le plus grand bonheur des autorités locales.
Nous sommes arrivés une semaine après le derby carioca (du nom des habitants de Rio de Janeiro) entre les deux clubs les plus populaires de la ville à savoir Flamengo et Fluminense. Pour l’histoire, cette rivalité entre les deux formations est initiée par une dispute entre les joueurs de Fluminense. En 1911, la dispute provoqua une scission au sein du club. Les mécontents quittèrent Fluminense pour aller créer un autre club, celui de Flamengo. Pour grossir le trait, Flamengo jouit d’une popularité qui dépasse l’État de Rio. « Mais querido do Brasil » en portugais. Outre le fait que l’équipe rouge et noire ait remportée pas mal de titres nationaux, c’est surtout un club soutenu par des supporters plutôt issus des quartiers les plus modestes de la ville. Pour l’anecdote, au début des années 1960, Flamengo connaissait un large soutien des Brésiliens d’ascendance africaine à tel point que les clubs rivaux surnommaient les supporters de Fla les « vautours » (« urubu » en portugais, désormais aussi le nom d’une torcida organizada, Urubu guerreiro), qui n’est rien d’autre qu’une allusion raciste touchant les supporters blacks. C’est triste mais le racisme existe aussi au Brésil.
Fluminense, c’est surtout un club soutenu par les Brésiliens les plus aisés de la ville. Le Tricolor (surnom donné à Fluminense) satisfait les désirs de ses supporters par l’achat de grand noms de football brésilien. Ronaldinho est d’ailleurs le dernier en date. Dans ce derby tant attendu, c’est Flamengo qui l’a remporté sur le score de 3-1. Brandone, étudiant français en échange universitaire à Rio et également notre interprète nous raconte l’atmosphère de ce derby. « 70 000 supporters au Maracanã avec une ambiance de folie, franchement il fallait le vivre ». La phrase que tu as envie de sortir à ton patron qui te refuse tes congés une semaine plus tôt.
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Avec la modernisation du Maracanã, et la fréquence des matchs de la Série A brésilienne, il n’était pas difficile d’assister à un match dans le mythique stade qui a vu le Brésil perdre la finale de la Coupe du monde 1950 face à l’Uruguay devant 200 000 supporters. Mercredi 16 septembre, nous choisissons d’aller voir Fluminense-Palmeiras qui s’est joué à 19 h 30, heure locale. Un club de Rio de Janeiro face à un club de São Paulo. Là aussi, la rivalité est importante dû entre autres à l’antagonisme des deux villes.
« Ici, au Brésil, supporter une équipe c’est souvent une affaire de famille »
Tout commence à la billetterie. Il y a du monde et il faut dire que les vendeurs prennent tout leur temps. Celle du Maracanã, comme ailleurs en Amérique latine, est assez singulière. Une cage très étroite sépare les vendeurs des acheteurs. Sans doute pour des raisons de sécurité mais avec un effet tiers-monde. Après avoir acheté deux billets pour 148 reais (15 euros pour nous et 7 euros pour notre interprète qui dispose d’une carte étudiante), nous rentrons dans le fameux Maracanã. Il a tout d’un stade moderne mais il semble étonnement vétuste malgré ses 79 0000 places. Le stade est plus que vide, on recensera d’ailleurs 10 000 supporters. Les torcedores de chaque club tentent tout de même de donner de la voix. Pour le coté sociologique, malgré une relative démocratisation du football au Brésil, il est important de noter que beaucoup de supporters sont d’ascendance européenne réputés pour être les plus aisés au pays. En effet, tous les Brésiliens ne peuvent pas se permettre d’acheter une place de stade là où le SMIC est de 800 reais (200 euros).
Sans plus tarder, nous tentons d’aller à la rencontre des supporters. Ils acceptent volontiers de se confier. Lucas avec sa snapback, 18 ans, accompagné de deux potes, supporte Palmeiras, et Carlos vêtu du maillot Fluminense, 37 ans, venu avec son beau-père et son fils, supporte le club carioca. Lorsqu’on demande à Lucas pourquoi il supporte Palmeiras, il nous répond : « Ma mère supporte Flamengo et mon père supporte Palmeiras. Ici, au Bresil, supporter une équipe c’est souvent une affaire de famille. En règle général, on est influencé par le père, et c’est comme ça que je suis devenu supporter de Palmeiras. » Il sait pour autant que son club n’a pas le prestige du Corinthians ou São Paulo FC mais reste toujours optimiste concernant l’objectif de gagner un titre cette saison. « Tu sais notre but pour cette année, c’est d’être parmi les quatre premiers du championnat, même si on risque de ne pas remporter le titre, on vise les Coupes nationales car gagner la Coupe du Brésil c’est se qualifier pour la Copa (ndlr : Copa Libertadores). D’ailleurs, on est en quart de finale de la Coupe du Brésil. »
Pour Carlos, même son de cloche en ce qui concerne Fluminense :« C’est le choix du cœur, c’est vrai que mon oncle m’a aussi influencé. Et surtout pas mal de joueurs de la Seleção sont passés par Fluminense ».Et il a bien sûr son avis sur le club rival, Flamengo. Il annonce la couleur : « Nous sommes différents de Flamengo, on nous a inculqué une éducation et des valeurs à respecter ce qui n’est pas le cas de certains supporters de Flamengo. C’est d’ailleurs pour ça qu’on est pas partis au derby car on les trouve violents. » Les concernés apprécieront.
« On avait beaucoup d’espoirs au sujet de Ronaldinho mais il n’a rien montré d’exceptionnel, c’est un joueur normal ici »
Palmeiras classé à la cinquième place et Fluminense à la onzième livrent un bon football et c’est le club carioca qui domine cette partie. On reconnaîtra pas mal d’anciens pensionnaires de championnats européens avec le capitaine de Palmeiras, Zé Roberto (ex-Bayern Munich), Fred portant aussi le brassard et en pointe de l’attaque de Fluminense (ex-Olympique Lyonnais) et Ronaldinho (ex-FC Barcelone) qui lui est en train de cirer le banc.
Carlos ne cache pas son amertume au sujet de l’ancien Parisien. « On avait beaucoup d’espoirs au sujet de Ronaldinho mais il n’a rien montré d’exceptionnel, c’est un joueur normal ici ». Fluminense semble ne pas avoir besoin de Ronnie puisque le Tricolor ouvre le score à la 35eme minute par l’intermédiaire de Jean. Alors que Fred a la balle du 2-0 sur penalty, – comme à son habitude – il se loupe totalement en ne cadrant pas son tir. Ce raté changera le cours du match puisqu’au retour des vestiaires, Palmeiras en profitera pour égaliser et prendre ensuite l’avantage grâce à un triplé de l’ancien Montpelliérain et ex du Borussia Dortmund, le Paraguayen Lucas Barrios. Inutile de vous décrire la joie de Lucas et de ses amis.
L’évincement de Thiago Silva, « un choix influencé par la fédération »
Au vu de toutes ces vieilles gloires, on finit par interroger nos voisins sur la sélection brésilienne après le naufrage de la Coupe du monde 2014. Lucas tacle sévèrement la fédération : « Beaucoup pensent que le souci, c’est Dunga. Mais en réalité, c’est la fédération car c’est elle qui impose les choix des joueurs au sélectionneur ». Du coup, d’après lui le choix d’évincer le défenseur parisien Thiago Silva était-il un choix de la fédération ou de l’ancien champion du monde 1994 ? « C’est difficile de dire qui est le responsable mais je pense que la fédération a influencé Dunga ».
Carlos abonde à son tour : « Cette histoire est vraiment bizarre car c’est le meilleur brésilien depuis les dix dernières années et que c’est quand même un bon capitaine. Si on a perdu en demi-finale face à l’Allemagne, c’est parce qu’il était suspendu et que David Luiz n’a pas su tenir son poste malheureusement. En ce qui concerne Neymar, c’est un leader d’attaque mais il n’a pas la personnalité pour être capitaine, il ne guide pas les joueurs ». Avant d’ajouter : « Il faut reconstruire l’équipe et investir sur une nouvelle génération sur cinq à dix ans. On a pour le moment trois ou quatre joueurs qui tiennent la route mais pour espérer gagner quelque chose, il nous en faut huit ».
La sélection brésilienne n’est pas une priorité pour Carlos et Lucas qui vibrent pour le match qui se déroule sous leurs yeux. C’est Palmeiras qui remportera ce match (1-4) leur permettant de grimper à la quatrième place et d’enfoncer encore plus Fluminense dans la crise à une lointaine 12eme place. On aurait bien voulu vivre une grosse ambiance comme le Maracana d’antan, c’est pour cela que l’on finit par demander à Carlos ce qu’il pense de ce nouveau Maracana que nous jugeons très aseptisé, lui qui avait connu l’ancien de 200.000 places. « Il est plus sûr maintenant, plus confortable, mieux organisé mais la contre-partie c’est que les prix ont doublé et qu’il a perdu de son âme ».
Il est 21 h 30, nous quittons le stade. Le temps pour nous de prendre un taxi et rentrer dans notre auberge à Copacabana. Ironie du sort, nous prolongeons cette soirée football en prenant un taxi qui a installé une TV pour suivre une autre rencontre du championnat brésilien. Fascinant ces tacos qui arrivent à bombarder avec un œil sur la route et un autre sur leur petit poste de télévision… Nous sommes toujours en vie, mais ce n’est pas un mythe, le foot ce n’est pas que dans le sang, c’est aussi dans les taxis. Sacré peuple do Brasil !
C’est tout de même désolant de voir tous ces stades Brésiliens (voir, de manière générale, Sud américain) qui se vident depuis quelques années …
Beau reportage sinon