La Grinta était ce weekend dans le plus champêtre des stades des divisions métropolitaines de Buenos Aires. Une enceinte portant le nom improbable de Charles Quint (Carlos V), qui fait honneur aux liens flamands de Jáuregui, lieu de naissance du CSD Flandria, et où l’on trouve, selon les habitués de l’ascenso, le meilleur choripán (sandwich) du foot argentin.
C’est un long voyage en transports en commun qui nous attendait pour nous rendre à Jáuregui, à 70 kilomètres à l’ouest de Buenos Aires. Entre le train Sarmiento, le célèbre bus 57 jusqu’à Luján et le 500 jusqu’au stade, plus de trois heures auront été nécessaires pour arriver au Carlos V de Flandria. Les alentours n’ont rien à voir avec le cliché des pampas de la province de Buenos Aires. Le lieu est accidenté, boisé et quelques pêcheurs profitent de ce bel après-midi d’automne austral pour s’adonner à leur passe-temps sur la rivière Luján situé à quelques dizaines de mètres du stade.
Le club, et le village entier sont indissociables de leur passé flamand, en particulier de la famille Steverlynck. L’entreprise familiale de tissage qui exportait ses produits depuis la Belgique jusqu’en Amérique du Sud au début des années 1920, se voit, devant les restrictions aux importations décidées par les autorités argentines, obligée d’installer une filiale dans le pays des gauchos. Après un court passage dans la capitale, c’est en 1928 que Jules Steverlynck décide de s’établir à quelques kilomètres de la fameuse basilique de Luján où existait déjà un vieux moulin à blé. Le lieu est idéal avec la rivière offrant une eau abondante, une source d’énergie hydraulique mais également de nombreuses voies de communication avec la ligne de train Sarmiento et autres routes à proximité, desservant le lieu au reste du pays. L’usine cotonnière se développe en même temps que le village et une grande quantité de migrants européens s’installe à Jáuregui pour y travailler. L’entrepreneur, désireux d’entretenir une communauté unie, accorde à ses ouvriers des droits sociaux importants pour l’époque, avec la journée de huit heures et des salaires bien au-dessus de la moyenne. Il incite les ouvriers à jouer au football sur leur temps libre, et pose ainsi les bases de la fondation d’un club de football.
Le club affronte des équipes du secteur dans les années 30 sous le nom de Villa Flandria (autre nom officieux du village de Jáuregui). Une commission directive se réunit en 1941 afin de créer une institution réunissant diverses activités sociales, culturelles et sportives dont la plus importante est le football. Le Club Social y Deportivo Flandria est alors créé, et après avoir remporté plusieurs championnats locaux de la ligue de Luján s’affilie à l’AFA (fédération argentine) en 1947. Le stade Carlos V, financé par la firme Algodonera Flandria ( « Cotonnière Flandria ») est inauguré en 1960 à deux pas du site industriel.
Le club évoluera majoritairement entre Primera B (troisième échelon) et Primera C Metropolitana jusqu’à ce que la crise des années 90 vienne mettre en danger le club. L’usine cotonnière ferme ses portes en 1995 et l’institution, dont l’économie repose sur les socios dont eux-mêmes dépendent pour beaucoup de la cotonnière, est en grande difficulté financière. Heureusement, deux bonnes campagnes sportives maintiennent le club en Primera B, et de nouveaux investisseurs s’installent au début des années 2000 sur le site de Villa Flandria, permettant de subvenir à la demande d’emplois de la ville. Le club se stabilise jusqu’aux années 2010, où après un bref passage en Primera C, il parvient pour la première fois en B Nacional (deuxième division) en 2016. Le club se maintient à la faveur d’une série de 17 matchs consécutifs sans défaite dans une saison marathon de 44 matchs, mais ne parviendra pas à répéter l’exploit l’année suivante, faisant partie des six relégués.
Flandria, qui dispute désormais la Primera B Metropolitana, accueillait tôt dans l’après-midi (14 heures) – en raison de la programmation TV -, le leader J.J Urquiza, récent demi-finaliste du tournoi de transition. Nous passons les deux contrôles d’entrée de la presse et nous sommes directement attirés par une odeur caractéristique de stade qui manquait en ces temps de pandémie. Plus d’un an après sa dernière ouverture, la parrilla (barbecue) du stade, profitant d’un horaire propice aux délices de la viande argentine a enfin réouvert. Et l’on ne parle pas là de n’importe laquelle : il s’agit de la parrilla où se vend le fameux choripán (sandwich à la saucisse) de Michu, réputé comme étant le meilleur du football argentin. Beaucoup de supporters d’autres équipes affirment avoir fait le périple jusqu’au Carlos V pour goûter au chori de Flandria. Les chanceux ayant pu entrer au stade, entre journalistes et dirigeants se pressent d’acheter le précieux sésame et de discuter dans une ambiance bon enfant.
Nous prenons ensuite place dans l’unique tribune du stade, avec au centre la platea, qui sépare la section visiteurs à gauche, et la populaire locale, fermée, à droite, le tout assez éloigné du terrain pour une enceinte de cette taille, le club affirmant sur son site officiel pouvoir accueillir 5000 personnes. En dehors de la dizaine de visiteurs, tout le monde prend place au centre de la tribune, dont Juan Bianchi, élu en janvier dernier, à seulement 25 ans président – le plus jeune du pays – du CSD Flandria.
Le début de match est équilibré et les occasions s’enchaînent en faveur des deux équipes. Ce sont les joueurs du Canario qui prendront l’avantage à la 24ème minute grâce à Gordillo, prenant de vitesse la défense celeste sur un service en profondeur de Nouet. Le passeur se mue en buteur et double la mise à la 36ème minute grâce à une frappe enroulée du gauche aux abords de la surface de réparation. Les buts sont fêtés avec véhémence par la vingtaine de dirigeants-supporters du club. Les visiteurs tenteront le tout pour le tout en deuxième période mais ne seront que trop peu dangereux, et ce sont les locaux qui se procureront le plus d’occasions en contre-attaques, manquant d’alourdir le score. Les locaux qui sortaient de 2 matchs sans victoire se replacent dans la course à la montée dans un championnat hyper serré où, après 11 journées, les 8 premiers se tiennent en 3 points.
Nous nous retirons et décidons de faire le trajet retour entièrement en train. L’arrivée à la gare de Jáuregui se fait en marchant une quinzaine de minutes depuis le stade, après avoir traversé la rivière Luján et parcouru l’avenue Flandes, artère principale ornée de palmiers. Une heure d’attente à la gare est nécessaire, et nous montons dans le vieux train diesel qui mettra une autre heure à parcourir les 40 kilomètres qui séparent la paisible Jáuregui de la tumultueuse Moreno, où la correspondance avec le train électrique nous ramènera bien plus rapidement à Buenos Aires.