Il y a quelques mois, La Grinta vous contait le combat mené par les supporters de Ferro Carril Oeste qui est redevenu la propriété des socios après de longues années de galère financière. Le hashtag #FerroEsDeLosSocios avait alors envahi les réseaux sociaux en Argentine. Quoi de mieux qu’un On Tour sur place dans un stade et un quartier devenus symboles d’un combat pour la restitution du pouvoir aux socios dans le pays ?
Buenos Aires un 24 mars. Pas forcément une date où l’on pense au football dans la capitale argentine et pour cause. Le 24 mars 1976, le Général Videla et ses hommes prenaient le pouvoir par l’intermédiaire d’un coup d’État. La suite, on la connaît tous. L’Argentine connaîtra sa dictature la plus sanglante de son histoire avec des milliers d’opposants assassinés et des centaines d’enfants enlevés. Pendant que le peuple argentin défile dans la rue pour ne jamais oublier et en guise de « plus jamais ça », nous nous dirigeons dans le quartier de Caballito au cœur de Buenos Aires pour une rencontre de Primera B Nacional (deuxième division) entre Ferro Carril Oeste et Chacarita. Bordé par les avenues Juan B. Justo, San Martín, Gaona, Ángel Gallardo, Río de Janeiro, Rivadavia, La Plata, Directorio, Curapaligüe et Donato Álvarez, Caballito est le plus grand quartier de Buenos Aires et possède, comme pratiquement tous les autres, son club : Ferro Carril Oeste. Limitrophe des quartiers Villa Crespo au nord, Almagro et Boedo à l’est, Parque Chacabuco au sud et Flores et Villa Mitre à l’ouest, Caballito et son club surnommé la Verdolaga, sont devenus célèbres l’année dernière lorsque les socios ont repris la main d’une institution complètement larguée financièrement et à deux doigts de disparaître. « C’est vrai que médiatiquement ces derniers temps on s’est fait connaître plus par rapport à cette lutte menée que par nos résultats sportifs. C’est une grande fierté pour nous mais il ne faut pas oublier que sportivement on a aussi compté dans le pays avec les deux titres remportés en 1982 et 1984 », rappelle Alberto, 65 ans et fidèle supporter de Ferro depuis son plus jeune âge. Nous continuons de marcher en direction du stade Arquitecto Ricardo Etcheverri toujours en compagnie de Alberto. « Vous allez voir, l’enceinte est à des années-lumière de la Bombonera ou du Monumental. En plus, le stade est en travaux. Mais même avec ses 24.000 places, nous en sommes fiers. Au fait, vous saviez que Ferro Carril Oeste a été distingué par l’UNESCO pour son soutien social, culturel et son développement sportif en 1988 et que seul le Milan AC possède également cette honneur ? », nous interroge-t-il non sans fierté. À sa grande surprise, et modestement, nous lui répondrons par l’affirmative. La discussion se poursuite ensuite sur le rôle social de la Verdolaga faisant bénéficier une majorité de ses structures aux socios. D’ailleurs, le siège social du club et le stade ont été déclarés « sites d’intérêt culturel » par la législature de la ville de Buenos Aires. Arrivés sur place, nous récupérons nos précieux sésames, direction la Platea (tribune latérale) pour obtenir une vision maximale sur le jeu mais aussi sur la Popular (virage).
Football populaire
En entrant dans le stade, les nouvelles tombent au fur et à mesure. Seule la Platea sera habilitée à recevoir les supporters pour cause de travaux de rénovation du stade. Désormais en Argentine, il est habituel de voir les parcages fermés avec l’interdiction de supporters visiteurs en vigueur, mais là nous apprenons que la Popular de Ferro Carril Oeste sera elle aussi fermée. Coup dur ? Pas tant que ça. « Le club a négocié avec le gouvernement de Buenos Aires, car au départ le match devait se dérouler à huis clos. Mais du coup la Platea est ouverte et la barra brava va aussi s’y installer », nous apprend Juan un socio de Ferro. Ouf. L’enceinte ressemble plus à un stade des années 1940 avec ces tribunes et sièges en bois mais qu’importe ! Les supporters du Verdolaga savent qu’ils reviennent de loin et sont heureux d’être là partageant discussions, mate, bières ou fernet pour les plus gourmands. Nous rejoignons notre tribune où de nombreuses personnes du club sont présentes en plus des fans habituels. Oui, car Ferro Carril Oeste n’est pas seulement une équipe de football. C’est aussi du basket, du volley, du handball, du cricket, de l’escrime, de l’athlétisme, de la natation, du waterpolo, du handball et bien d’autres sports d’où son rôle social majeur dans le quartier de Caballito. Juste avant le coup d’envoi de la rencontre, la barra de Ferro installe ses bâches malgré la fermeture de la Popular avant que les 22 acteurs ne fassent leur apparition sur le terrain. Il faudra à peine trois minutes pour les locaux avant d’enflammer cette rencontre et la tribune en obtenant un penalty transformé par Luis Salmeron.
1-0 le match démarre tambours battant et c’est le moment choisi par la barra brava pour faire son apparition dans la Platea au rythme du fameux chant « La alegria de este barrio » une reprise de la chanteuse Gilda et de son titre « No me arrepiento de este amor » qui avait fait son apparition dans notre Top 20 des chants argentins. L’occasion de s’apercevoir, une fois de plus, que les moments passés et les souvenirs reviennent souvent dans les chants en Argentine. Preuve d’une culture foot incomparable. Les paroles sont d’ailleurs très éloquentes : « Depuis tout petit je vais avec toi car tu es ma passion. Nous on te supporte depuis la tribune, vous, posez vos couilles et mettez du cœur. La joie de ce quartier je ne vais jamais l’oublier, on a traversé la Cordillère, on a rempli le Maracana et toi Cacho (idole de Ferro, ndlr) tu as fais partie de tous ces moments. C’est pour ça que je te supporte jusqu’au bout… Platense ne va jamais le comprendre car il ne l’a jamais vécu, car il n’a jamais rien gagné, la p***** de sa mère. Et dans le quartier de Liniers (quartier de Velez, le rival historique de Ferro) même si on a fait la fête là-bas, ils sont toujours autant amers ça ne leur a servi à rien… ». La barra a donc raté l’ouverture du score des siens mais cela ne l’empêche pas de réciter son répertoire dans un premier acte bien maîtrisé par la Verdolaga.
Le hold-up de Chacarita
La deuxième période repart sur le même rythme que la première, Ferro domine mais n’arrive pas à faire le break. Pendant ce temps-là en tribune, la barra continue d’animer une Platea qui n’en n’a pas forcément l’habitude. Les chants sont constants et continus et l’ambiance très correcet au vu des circonstances. Malheureusement pour tout ce petit monde, à force de vendanger Ferro Carril Oeste se fait punir à la 79ème minute sur une réalisation de Milla sur la première frappe cadrée du match pour Chacarita. Un partout et coup de froid dans la Platea qui continuera de pousser les siens jusqu’au bout. Score final : 1-1. Dans la nuit noire de Buenos Aires, les supporters du Verdolaga s’éparpillent, les visages fermés après ce match nul qui laisse un goût amer. Il est clair que nous n’avons pas vu du grand football, mais la passion était au rendez-vous. Aujourd’hui, Ferro Carril Oeste se classe 8ème en deuxième division et sa situation sportive est compliquée. Mais une chose est désormais sûre, avec la ferveur et la passion : #FerroEsDeLosSocios. Et c’est bel et bien le principal en attendant des jours meilleurs sur le plan footballistique.
Par Bastien Poupat à Buenos Aires pour La Grinta