Nous étions ce mardi dans l’enfer du Rajko Mitic, le « Marakana serbe », avec les ultras du Paris Saint-Germain pour le déplacement le plus périlleux du Collectif Ultras Paris depuis sa création. Un déplacement tendu, rendu pénible par un encadrement policier permanent.
10 h 45, aéroport de Roissy, terminal 3. C’est là que le club parisien a donné rendez-vous à ses supporters pour un déplacement qui sera strictement encadré par les agents de sécurité, employés par le club, et les autorités locales serbes. Sur le départ, trois avions transportant un peu plus de 500 supporters. Les trois quarts des présents sont affiliés au Collectif Ultras Paris. À noter la présence d’ultras du Sporting Club de Toulon, déjà présents à Liverpool, l’héritage d’un jumelage avec les anciens Tigris Mystic du Virage Auteuil.
À bord de l’avion, l’ambiance est relativement calme. Ça discute, autour des bouteilles de Whisky, achetées en Duty Free, de l’actualité de la mouvance ultra parisienne : les prochains déplacements à Dijon et Orléans, le mouvement des gilets jaunes, que certains ici soutiennent, ou encore, de ce qui les attend à Belgrade. Beaucoup d’excitation mêlée au sentiment d’aller au charbon, comme l’explique l’un des leaders du Collectif Ultras Paris (CUP) : « C’est le match le plus périlleux du CUP depuis sa création en 2016. Le Marakana est l’un des stades les plus chauds d’Europe et leurs hooligans traînent une sale réputation. Après ce qu’il s’est passé à l’aller, ils vont vouloir en découdre. »
Au match aller (victoire du PSG 6-1), des échauffourées avaient opposé Parisiens et supporters de l’Etoile Rouge, pourtant interdits de déplacement. Deux Serbes avaient été blessés. L’affaire qui a beaucoup fait parler en Serbie, est arrivée jusqu’aux oreilles du président serbe, Aleksandar Vucic, assurant qu’il demandait à voir comment ces « bandits et hooligans (français) » seraient punis. En outre, de nombreuses menaces et appels à une revanche ont été proférés par des fidèles de l’Etoile Rouge.
Pas de quoi inquiéter le CUP qui s’est déjà déplacé à Liverpool, Naples ou Anderlecht durant les différentes campagnes européennes du PSG. « On vit pour ce genre de match », confirme Sidney, membre du groupe Le Combat Continue (LCC) affilié au CUP.
Belgrade quadrillée par la police
Pour cette rencontre classée à risques, les autorités locales, habituées à répondre aux défis posés par les hooligans serbes, n’ont pas lésiné sur les moyens. Dès l’atterrissage, nous seront encadrés, avant, pendant et après le match par près de 700 policiers. Ils seront près du double, autour du « Marakana », à s’assurer du bon déroulement de la rencontre selon une source policière locale. Le dispositif est impressionnant. Sur la route du Marakana serbe (20 km depuis l’aéroport), des policiers, avec tonfas et boucliers, sont positionnés à chaque intersection, chaque coin de rue. « C’est surréaliste, ils ont même placé des flics sur les autoroutes et les ponts ! », s’étonne Kev’, qui supporte activement le PSG également au sein du groupe Le Combat Continue depuis 2013. « J’ai connu les deps à Glasgow, Munich, Lyon, Leverkusen, mais je n’avais jamais vu un tel dispositif ! ».
Nous entrons au stade au Marakana deux heures avant la rencontre. L’enceinte comptait 110.000 places lors de son inauguration en 1963, progressivement réduite à 55.000 pour répondre aux normes de sécurité de l’UEFA. L’entrée se fait par le haut, ce qui nous donne l’impression d’atterrir dans un cratère.
Un environnement hostile
1 h 30 avant le match, la tribune nord, déjà remplie pour moitié, donne son premier signe de vie. Les représentants de l’UEFA viennent juste d’entrer sur la pelouse pour reconnaître le terrain. Ils sont copieusement sifflés.
Progressivement, les ultras parisiens entonnent leurs chants, sous les sifflets et les insultes d’un Marakana déjà bien chaud. Pour répondre aux « Aaaaallez Paris », les Delije (le principal groupe côté Etoile Rouge) lancent un échange avec le reste du stade : aux « Fuck You » lancés depuis la tribune nord, la latérale gauche répond « PSG ». Après deux ou trois échanges, la tribune nord répète les « Fuck You PSG » mais cette fois, en combinant avec la latérale droite. Impressionnant ! Trente minutes avant le coup d’envoi, l’ensemble du stade participe aux chants. Personne n’est assis. femmes, enfants, jeunes ou vieux resteront debout tout le match.
Insultes, menaces, jets de projectiles et cris de singe
Il ne nous faut pas longtemps pour comprendre que tout ce qui entoure le parcage nous est hostile. Au coup d’envoi, les Delije orchestrent le déploiement d’un tifo à feuilles géant, qui s’étend jusqu’aux frontières du parcage visiteur. Magnifique ! Les chants, lancés depuis la tribune nord, sont régulièrement repris par l’ensemble du stade dans un boucan d’enfer.
En parcage, les Parisiens ne se laissent pas intimider et chantent en continu. Ce qui ne plait pas aux supporters jouxtant le parcage : insultes, menaces mais aussi cris de singe adressés aux supporters de couleur. Le cordon de stewards et de policiers placés devant la barrière empêchent pour l’instant tout contact physique. Ce soir, il ne fait pas bon d’être français. Quelques minutes avant la rencontre, la tribune nord déployait un message, applaudit par le Marakana : « Merci (1914-1918) à la France à laquelle nous avons juré et que nous avons mentionnée dans nos prières mais qui n’existe plus ». Un message politique qui fait référence à un incident diplomatique survenu lors de la cérémonie du centenaire de l’Armistice 14-18 en France. C’était le 11 novembre dernier. Aleksandar Vucic, le président de la Serbie, alliée historique de la France durant la Première Guerre mondiale, n’a pas été placé en tribune officielle aux côtés d’Emmanuel Macron. Cette relégation dans une tribune secondaire du chef de l’État a été vécu comme un affront par les Serbes.
Sur le terrain, les joueurs du PSG ne semblent pas impressionnés par l’accueil glacial du Marakana. Ouverture rapide du score par Cavani, avant que Neymar double la marque avant la mi-temps. Les visiteurs exultent. Le Marakana enrage. Un déluge d’insultes et de sifflets s’abat sur le parcage. À droite, un fumigène lancé en notre direction est stoppé par les filets de sécurité. Chacun reste sur ses gardes : les Delije peuvent venir au contact à tout moment.
Au retour des vestiaires, les joueurs de l’Étoile Rouge poussent pour réduire la marque. Ils semblent, à ce moment, ne faire qu’un avec les 55.000 fans présents. Applaudissements, chants, encouragements et sifflets à chaque prise de balle parisienne. Difficile à cet instant-là pour les 500 Parisiens de se faire entendre. Dans une ambiance bouillante, l’Etoile Rouge y parvient. Le troisième but de Marquinhos, puis celui de Mbappé, éteindront progressivement le Marakana, à l’exception de la tribune Nord qui donnera de la voix en continu jusqu’à la fin.
En parcage, la tension monte d’un cran après le coup de sifflet final. Les supporters parisiens venus féliciter les joueurs en bas du parcage sont pris pour cible. S’en suit un court échange de projectiles, pavés, bouteilles, sièges, entre Parisiens et Serbes, des deux côtés du parcage. Policiers et stadiers ne bronchent pas. La tension retombe rapidement au fur et à mesure que les spectateurs locaux quittent le Markana. En face, les Delije resteront communier avec leurs joueurs plus de 30 minutes après le match.
Le calvaire des Parisiens
Pas de guet-apens, pas d’affrontements et la première place du Groupe C pour le PSG. Ce qui devait être une fête prendra cependant des allures de calvaire. Nous resterons enfermés en tribune visiteurs, sous le froid et la pluie pendant plus de 3 heures après le match. Les lumières du stade s’éteignent progressivement, le bouillant Marakana se transforme en glacier.
Les forces de sécurité serbes nous laisseront regagner les cars à une heure du matin. Mais les ennuis ne sont pas terminés. Aux six heures passées dans le Marakana (pour une heure et demie de match), s’ajouteront à l’aéroport de Belgrade la file d’attente du check-in avec des employés lents et en sous-effectif, la file d’attente du passage à la douane et celle du contrôle des bagages, et, en complément… La faim. Pendant notre séjour à Belgrade, nous n’aurons presque rien à manger, ni dans le stade, ni dans la « fan zone ». À 2 heures du matin, l’unique point de restauration ouvert dans l’aéroport est pris (pacifiquement) d’assaut par des Parisiens affamés. Exténués, il faut avoir les nerfs solides et beaucoup de patience pour parvenir à se procurer, moyennant 6 euros, un sandwich industriel au poulet. Et tout le monde n’aura pas cette « chance ». Le temps file, l’avion va décoller. Un bon nombre de supporters atterrissent à Paris le ventre vide. Les plus chanceux, ceux qui n’habitent pas trop loin de Roissy, rentreront chez eux aux alentours de 8 heures. D’autres iront directement travailler.