En arrivant près du stade, je me rends au parking visiteurs. Même si je ne suis pas supporter de Kiel, je reste un « visiteur » et le parking est plus le proche de la sortie d’autoroute me permettant de rentrer rapidement en France. Mais alors que le prix était de 2€ la veille, il est de 4€ les jours de match. Les Allemands n’aimant pas particulièrement la carte bancaire, je dois régler en espèce, mais je n’ai que 3€. J’explique la situation au caissier, qui me propose dans un premier temps de laisser une caution, telle que ma pièce d’identité, avant de me dire : « Vous savez quoi ? Vous allez à l’hôpital, non ? Parce que si vous vous garez pour aller à l’hôpital, c’est 2€. » Comme on dit des anciennes régions minières françaises que les gens y sont incroyablement gentils, cette règle s’applique aussi dans la Ruhr. Je me gare en même temps qu’une famille de Kiel, qui, dès son arrivée, met l’hymne de leur club à fond dans leur voiture et toute la famille, père, mère, fille, fils, le reprennent en cœur. Juste à côté, une voiture immatriculée à Dortmund avec des autocollants du Borussia se gare. Bochum n’étant qu’à 25 kilomètres, c’est une sortie parfaite en attendant le match des Jaune et Noir le lendemain. En marchant le long du stade, l’odeur de saucisses grillées envahit les narines. Un jour de match est l’occasion de confirmer le cliché culinaire allemand du saucisses-bières.
En entrant dans le stade, la chanson Liquido de Narcotic retentit, l’ancienne musique d’entrée des joueurs à Bordeaux du temps de Lescure. Même si ce chant faisait bien monter l’ambiance, il est difficile de battre l’hymne du VfL Bochum. Il s’agit du simplement intitulé Bochum, de Herbert Grönemeyer. Le chanteur est une immense star en Allemagne, et à la base, la chanson parle de l’amour qu’il ressent pour sa ville d’origine. Mais rapidement les supporters ont adopté ce chant et c’est au final tout le club qui en a fait un hymne. En écoutant les paroles, après avoir parcouru les rues de la ville et être entré dans ce stade, chaque mot sonne juste et met en avant l’amour inconditionnel des supporters pour le club de leur ville. « Tu n’es pas une beauté, Toute grise du travail, Tu t’aimes sans maquillage, Tu es honnête, Malheureusement totalement mal construite, Mais c’est ça qui fait ton charme. Tes pulsations sont faites d’acier, on l’entend fort dans la nuit. […] Bochum, je viens de toi, Bochum je tiens à toi. Courage, Bochum » La dernière ligne ici traduite, est à l’original en allemand « Glück auf », qui est la salutation des mineurs allemands avant de descendre au travail, se souhaitant ainsi bon courage avant d’affronter leur dure tâche.
Quand on pense à la Ruhr, on pense au Borussia Dortmund, à Schalke 04, mais on oublie tous ces autres clubs, qui sont eux aussi issus du monde minier, mais qui n’ont pas eu la chance d’avoir le même succès que leurs voisins jaune et noir ou bleu roi. Ils ne connaissent pas les soirées de Ligue des champions, leurs derbys ne font pas la une des journaux sportifs, ils ne seront pas regardés sur les chaînes étrangères. Mais l’amour de ces supporters pour leur équipe dépasse tout ce qu’on peut connaître dans des clubs avec un plus grand succès mais moins d’âme.
Le match en question n’avait pourtant rien de glorieux pour Bochum. Ils reçoivent Kiel, qui n’en est qu’à sa deuxième saison de son histoire en Bundesliga 2, et qui a raté la montée l’an dernier lors des matchs de relégation contre Wolfsburg. Sur le papier, il n’y a qu’une seule place au classement entre les deux, mais un monde les sépare. Kiel est dans la course à la montée, alors que Bochum ne joue rien. Déjà trop loin pour espérer monter, mais également quasiment sûrs de ne pas descendre. Les Bleus de la Ruhr sont rapidement dépassés dans ce match. Kiel a déjà deux occasions de marquer dans les 5 premières minutes. Ce sont clairement les joueurs de la Mer du Nord qui décident du rythme de ce match. Les difficultés de Bochum peuvent être résumées par un joueur : Moritz Römling. Römling jouait son tout premier match professionnel ce samedi, à seulement 17 ans, et le débute en tant que titulaire. Mais rapidement, on constate qu’il est complètement dépassé par les événements. Difficultés à se placer par rapport à ses coéquipiers, peu de possession, même s’il fournit beaucoup d’efforts il perd les deux tiers de ses duels, et malgré quelques bonnes touches en début de 2e mi-temps, il apparaît clairement que Römling, comme son équipe, avait le niveau pour jouer en Bundesliga 2, mais clairement pas les moyens de tenir tête à une équipe comme Kiel.
Ainsi, à force de pousser, Kiel ouvre le score à la 30e minute et double la marque seulement 2 minutes plus tard par penalty. Avec un peu plus de réussite, ils auraient pu complètement écraser Bochum dès la fin de la première mi-temps, qui a finalement de la chance de s’en sortir avec un 3-0 à la pause, après un troisième but à la 41e. Dès le deuxième but, les ultras du VfL se mettent à changer leur chant, pour devenir « wir wollen euch kämpfen sehen », on veut vous voir vous battre. Une phrase qui résume ce qui fait le VfL Bochum et ses supporters : le plus important ce n’est pas tellement le résultat mais le combat qui y a mené. Cela montre à quel point les fans du club sont conscients qu’ils soutiennent une équipe qui ne sera pas championne de Bundesliga de si tôt, ou qui ne fait pas rêver à l’international. Mais ils ont besoin de voir ces hommes tout donner, voire souffrir, pour oublier le temps d’un après-midi leur quotidien difficile et pouvoir trouver une unité sociale, qui leur manque depuis la disparition des mines.
Ce qui marque le plus ce sont les grands sourires qu’on peut voir chez les supporters, alors que leur équipe est en train de perdre assez largement. L’important n’est pas le match, pas le score, pas l’adversaire, mais de retrouver sa communauté. Ici ce sont l’ensemble des supporters, et pas seulement un groupe, qui forme une famille. En entrant dans le stade, chacun est tutoyé par les stadiers, que vous soyez un habitué, ou si, comme moi, c’est la première fois que vous venez. Vous entrez dans le Ruhrstadion, le stade de la Ruhr, vous faites donc partie de cette communauté.
Naturellement, avec un 3-0 à la mi-temps pour Kiel, les supporters de Bochum sifflent leurs joueurs et se mettent à chanter « Reisst euch den Arsch auf! ». On ne peut pas traduire l’expression mot pour mot, car elle n’aurait pas de sens tel quel, mais si on devait prendre une autre formule française, cela donnerait : « Sortez-vous les doigts du cul ! ». Ils mettent encore une fois en avant, non pas leur déception du score, mais plutôt du comportement des joueurs, qu’ils jugent trop passifs. Pourtant ils ne vont pas se laisser abattre, ils savent très bien qu’une défaite aujourd’hui n’aura pas de conséquence catastrophique, et après une pause faite de la quatrième bière du match et d’une « Stadionwurst », saucisse de stade, ils se remettent à chanter avant même que les joueurs du VfL ne sortent des vestiaires.
La deuxième mi-temps ne marque pas une remontada exceptionnelle de Bochum, mais une capacité des Bleu et Blanc de se remettre en jeu, marquant même un but. Et c’est là qu’ils ont réussi à satisfaire leurs fans. Ils n’ont pas réalisé un match exceptionnel, mais ils n’ont pas abandonné et se sont battus. À la fin du match, ils ne se font pas siffler, car ils ont tout donné, au moins dans la deuxième moitié du match. Les supporters rentrent plutôt résignés chez eux, pas réellement déçus mais n’ayant pas de vrai espoir pour leur équipe. Tout ce qu’ils attendent, c’est le prochain samedi.