La Grinta se rendait ce week-end dans le stade de « l’autre » club de Quilmes, celui où l’on préfère le maté au thé et à la bière. On en profite pour vous raconter l’histoire du premier club de football fondé par des Argentins, en des temps où le football était pratiqué presque exclusivement dans les clubs et collèges fondés par les migrants britanniques.
C’est dans la partie sud-est de la banlieue de Buenos Aires que La Grinta se rendait pour assister à un nouveau match de troisième division argentine. Pour cela, il fallait d’abord parvenir à la gare de Constitución qui dessert tout le sud de la province de Buenos Aires, et le train qui va à La Plata. Au niveau d’Avellaneda, on passe à quelques mètres des stades de Racing et Independiente, les deux seuls stades au monde de plus de 50 000 places séparés de moins de 300 mètres. A mi-distance de La Plata, la localité de Quilmes, surtout réputée pour sa marque de bière, est l’une des villes les plus anciennes d’Argentine. Son nom vient des Kilmes, peuple autochtone originaire de la province de Tucumán, à 1500 kilomètres au nord-ouest, ayant lutté durant plus d’un siècle contre les Epagnols dans les guerres « Calchiaquíes ». Après la victoire définitive des Espagnols, les Kilmes furent déportés en 1666, dans l’actuelle zone de Quilmes qui retiendra plus tard cette date comme celle de la fondation officielle de la ville.
A la descente du train et après une heure et demie de trajet (bus et métro compris), on en profite pour acheter à manger, et se faire un petit plaisir avec l’alfajor « Capitan del espacio » fabriqué à Quilmes. Nous ne prenons pas la direction du grand stade Centenario de Quilmes, mais au lieu de ça, nous marchons la quinzaine de pâtés de maisons qui séparent la station de train du quartier de la Barranca. Cela nous permet de traverser la principale artère commerçante avant d’arriver sur la place San Martin où se trouve la cathédrale ainsi qu’un petit monument commémorant une cacique Kilmes. La rue descend ensuite en allant vers le Rio de la Plata vers le bien-nommé quartier de la Barranca (ravin) où se trouve le stade d’Argentino de Quilmes, à proximité de l’autoroute reliant Buenos Aires et La Plata. Plus loin et au bord du fleuve se trouve le balneario, une station balnéaire autrefois prisée mais tombée en désuétude du fait de la pollution du fleuve et de la précarisation des quartiers environnants.
Enfin arrivés dans la rue Cevallos au 548, on peut apercevoir les graffitis et tags en honneur du club, comme dans tous les quartiers qui bordent les stades en Argentine. On peut voir sur le mur extérieur du stade l’écusson historique, ainsi qu’un officieux avec la calebasse de maté. Le « Mate » a été adopté comme surnom du club, en honneur aux origines « criollas » ou argentines du club. Il s’oppose au Club Atlético Quilmes, le « Cervecero » (brasseur), l’un des doyens du football argentin qui a été fondé par des Anglais comme la majorité des clubs au tournant du XXe siècle. Argentino de Quilmes se prévaut d’ailleurs d’être le premier (en 1899) club fondé par des Argentins ainsi que le premier à adopter les couleurs du drapeau ciel et blanc pour sa tunique. Dans la volonté d’affirmation de cette identité argentine, les fondateurs établissent des règles visant à se différencier des clubs fondés par les Anglais. Les équipes visiteuses ne sont pas invitées à boire du thé après le match, mais une infusion de maté (« mate cocido ») avec les « bizcochitos de grasa », des biscuits à la graisse de vache encore aujourd’hui très populaires dans la culture argentine, notamment pour accompagner le traditionnel maté.
Le fait qu’il soit ouvert à tous rend le club vite très compétitif. Affilié en 1902, il monte en première division dès 1906 où il jouera ses premiers clásicos de l’histoire de l’élite argentine, contre le rival du CA Quilmes. Un de ses plus grands exploits et motif de fierté arrivera en 1938 lorsque, tombé en deuxième division, il battra son rival lors de la finale de promotion pour remonter en première division, devenue entretemps professionnelle. Argentino de Quilmes possède la particularité d’être encore aujourd’hui le seul club de la métropole de Buenos Aires à avoir joué à tous les échelons du foot argentin à l’ère professionnelle. Son passage en première division fut de courte durée et même le pire bilan de l’histoire avec seulement 4 points obtenus en 34 journées. Le club passera le reste du temps majoritairement entre Primera B et Primera C (actuellement troisième et quatrième division), malheureusement sans jamais ou presque recroiser son rival évoluant la plupart du temps aux deux premiers échelons.
Après avoir retiré notre accréditation, nous prenons place dans la vieille et charmante tribune… « à l’anglaise », qui fut d’ailleurs la première du pays à disposer d’un toit. Cette tribune construite en 1927 se distingue tellement qu’elle a été déclarée en 2016 patrimoine historique de la ville. La tribune d’en face étant à l’abandon, on a du mal à croire que la capacité d’un stade annoncée à 7000 puisse être atteinte, puisque seules la tribune latérale couverte et la populaire ouest sont ouvertes au public en temps normal. Les supporters n’étant toujours pas autorisés en raison de la pandémie de coronavirus, seule la presse, quelques dirigeants et familles de joueurs prennent place dans les gradins. Quelques dirigeants du Club Comunicaciones, l’adversaire du jour en Primera B, ont été autorisés à rentrer et occupent la tribune populaire. Ce sont deux équipes mal en point qui vont s’affronter : Argentino de Quilmes, auteur d’un mauvais tournoi d’ouverture, n’a toujours pas gagné après six journées dans le tournoi de clôture, alors que Comunicaciones reste sur deux défaites dont une 6-0 à Sacachispas.
Le match démarre fort avec une frappe sur la barre transversale de Reynoso pour les visiteurs. Le premier quart d’heure sera complètement à l’avantage de Comunicaciones mais les locaux se réveillent et Matías Martinez ouvrira le score à la 37eme minute suite à un mauvais renvoi de la défense Cartera. Nous assistons à une première mi-temps riche en occasions malgré une pelouse catastrophique n’aidant pas à développer du jeu. Argentino continue sur sa lancée en début de deuxième mi-temps et double la mise grâce à Cañete (50e), faisant suite une nouvelle fois à une série d’erreurs improbables de la défense visiteuse. Argentino de Quilmes pense tenir sa première victoire lors du tournoi de clôture, et ce après neuf matches sans gagner. Mais Comunicaciones ne veut pas repartir bredouille de la Barranca et va attaquer sans discontinuer. Alors que le ballon semble ne pas être sorti de l’aire de jeu, le juge de ligne accorde une touche offensive aux joueurs du Cartero. Ayala envoie de ses mains un missile directement dans la surface de réparation permettant à Scatolaro de réduire l’écart (76e). Trop tard pour Comunicaciones qui malgré d’autres situations dangereuses ne parviendra pas à égaliser. C’est au contraire les joueurs du Mate qui auront l’occasion d’amplifier la victoire mais le même juge de touche privera Cañete d’un doublé pour un hors-jeu inexistant.
Pas de quoi gâcher le plaisir de la cinquantaine de dirigeants et médias pro Argentino de Quilmes ayant le privilège d’être présent. Pas de quoi non plus de rêver d’une montée, la zone de playoffs étant déjà trop loin, mais de quoi déjà penser à préparer plus sereinement la saison prochaine qui devrait enfin pouvoir être intégralement disputée avec du public, le retour de celui-ci ayant été annoncé partiellement pour la fin du mois de septembre.