La Grinta était dimanche à Prishtina pour assister à la finale de Coupe du Kosovo entre Feronikeli et Trepca 89. Une belle fête à défaut d’un grand spectacle sur le terrain et la confirmation d’une saison historique pour Feronikeli. Bienvenue au Kosovo, où le football existe malgré la non-affiliation à la FIFA.
La finale de la Coupe est toujours un après-midi un peu particulier pour le football kosovar. L’occasion de se rassembler une dernière fois avant d’aller bronzer sur les plages d’Albanie ou du Monténégro. C’est comme d’habitude le vieux stade de Prishtina qui fait aussi office de décorum pour décerner ce dernier titre de la saison, quelques jours après avoir accueilli 5000 robes pendues pour rappeler les violences sexuelles survenues lors de la guerre du Kosovo en 1999.
Feronikeli, en quête d’un premier doublé
L’affiche de cette finale mettait aux prises Feronikeli, représentant la ville de Drenas dans le centre du pays, et Trepca 89, club de Mitrovica, une des plus grandes villes du pays et surtout localité fortement symbolique qui sert de frontière officieuse dans ce Kosovo divisé en deux.
Il y a douze mois, Feronikeli était déjà présent en finale par un mercredi après-midi ensoleillé. Une finale entre petits clubs du pays face à Hajvalia. Lors de cette première finale pour les Verts, Feronikeli l’avait emporté 2-1 avec un très grand match du gardien Granit Kolshi. Triumf Shabani avait aussi illuminé cette rencontre par sa classe. L’élégant et très élancé n°22 avait conquis tout le monde par sa qualité technique et son abattage. Quelques semaines plus tard, la nouvelle de sa mort, à la suite d’un arrêt cardiaque, avait choqué tout le Kosovo du football. Shabani avait à peine 20 ans.
Malgré tout, Feronikeli s’est relevé et a continué à grandir. Cette saison, le club entraîné par Gani Sejdiu (originaire de Mitrovica et ancien entraîneur de Trepca 89) a même surpris. Aidé par les contre-performances des favoris Prishtina et Llamkos Kosova, le club de Drenas a tout simplement remporté le premier titre de son histoire au nez et à la barbe de Besa. Un exploit quand on sait que ce club n’a jamais joué à domicile cette saison, un nouveau stade étant en cours de construction pour les Verts.
La finale des filles et la pluie
Aux abords du stade, il est bien vain de chercher quelque vendeur de billets. En effet, l’entrée est libre pour cet après-midi de finales. Au moment de mon entrée dans le stade, les jeunes femmes de Prishtina célèbrent leur victoire en coupe du Kosovo et donc leur doublé. Il est aisé de reconnaître la capitaine et meneuse de jeu Qendresa Krasniqi, la meilleure joueuse du pays depuis quatre saisons consécutives malgré son jeune âge : 20 ans.
A côté d’elles sur la pelouse, un vieil homme essaye de retirer les confettis lancés lors de la remise du trophée. Il est vrai qu’il y en a un peu partout sur la pelouse. Heureusement bien vite, un lourd orage porté par un vent important lui vient en aide. Cette arrivée de la pluie entraîne un mouvement de foule vers le haut des tribunes. En effet, seulement la moitié supérieure des tribunes est abritée de la pluie.
Les vendeurs de kikiriki, boissons fraîches, cigarettes et pop-kek sont déjà à pied d’œuvre. Potentiellement un bon après-midi pour les affaires. Un vieil homme déplie une sorte de nappe sur une dalle de béton au-dessus du « carré VIP » (constitué simplement de chaises) et s’allonge pieds nus et plisat (chapeau traditionnel albanais) fièrement dressé sur la tête.
Face à nous, les premiers supporters de Feronikeli entrent dans le stade avec quelques drapeaux de l’Albanie. Le groupe ultra du club « Tigrat e Zi » est constitué d’une trentaine de jeunes hommes ce jour-là.
Trepca 89, un grand nom du football kosovar
Peu à peu, les joueurs sortent sur la pelouse pour l’échauffement. Je constate avec amusement la mise en route personnelle de l’entraîneur des gardiens de Trepca 89 avec son embonpoint très imposant. Quelques minutes après, apparaît sur la pelouse l’entraîneur de Trepca 89 : Afrim Toverlani. Une légende du football kosovar.
Il y a tout d’abord ce style si personnel : longs cheveux poivres et sels tirés vers l’arrière, cette chemise blanche immuable et ces jeans délavés. Et puis il y a une carrière. Tout d’abord en tant que joueur où Toverlani a endossé le maillot du FK Prishtina dans les années 1980, à l’époque où ce club portait haut les couleurs du Kosovo dans la première division de Yougoslavie contre les grands de Belgrade, le Dinamo Zagreb ou l’Hajduk Split. Puis en tant qu’entraîneur avec une carrière longue de 25 ans, notamment du temps où les joueurs de communauté albanaise ne pouvaient pas jouer de matchs officiels au Kosovo dans les années 1990. Toverlani fut ainsi vainqueur de championnats organisés de manière clandestine à la tête du FK Prishtina dans les années 1990.
Aujourd’hui, Toverlani entraîne Trepca 89, un grand nom du football local. Cependant, cela fait quelques saisons que les résultats sont décevants à Mitrovica. Mais s’il y a quelque chose qui fonctionne et fonctionnera toujours à Mitrovica, c’est la Torcida, un des meilleurs groupes d’Ultras du pays. Aux premiers pétards et chants lancés depuis l’extérieur du stade, il est d’ailleurs facile de constater que la vigilance des policiers monte d’un cran à leur arrivée. La Torcida est là, l’ambiance passe un cap grâce aux voix des quelques centaines de supporters venus de Mitrovica. La finale peut commencer.
90 minutes peu emballantes sur le terrain
Tous les joueurs se tournent vers la tribune présidentielle alors que l’hymne du Kosovo retentit. Au coup d’envoi, les supporters de Feronikeli déploient un maillot géant avec le numéro 22.
Le plan de jeu semble assez simple côté Trepca 89 : essayer de prendre à défaut les champions en lançant de longs ballons dans le dos de la défense. Cela marche quasiment à trois reprises en début de match. Le n°10 Shpetim Idrizi, capitaine de Trepca89, est passé en un an du milieu de terrain au poste d’arrière gauche mais là aussi sa vista et son superbe pied gauche font merveille. Argjend Mustafa domine largement au milieu avec son style lent mais très technique.
En face, je commence à comprendre un peu mieux comment Feronikeli en est arrivé là. La colonne vertébrale est solide avec notamment le capitaine Llapidar Ladrovci derrière et l’expérimenté Behar Maliqi au milieu. Les feux follets restent de sortie devant avec notamment Livoreka et Olluri.
Malgré tout, la première période est assez terne, surtout marquée par la démonstration vocale de la Torcida. En face, hormis un petit groupe d’une trentaine de Tigrat e Zi, les supporters de Feronikeli, venus en nombre, sont surtout des spectateurs. La 33è minute fait cependant lever tout le stade, au moment où les Tigrat e Zi sortent une grande bâche noire avec la tête d’Adem Jashari et les trois lettres UCK (Armée de Libération du Kosovo). Tout le monde se met alors debout et scande « UCK, UCK » pendant quelques dizaines de secondes.
La deuxième mi-temps est un peu plus vivante, à mesure que les lignes se font moins compactes mais les erreurs techniques restent légion. Toverlani semble abasourdi par chaque passe loupée alors que Gani Sejdiu est tout aussi expressif par rapport aux mauvais choix de ses ouailles.
Tout devient fou dans la prolongation
La corbeille présidentielle, où se situent notamment Fadil Vokrri et Eroll Salihu, président et secrétaire général de la fédération, semble un peu s’impatienter devant le spectacle proposé. Heureusement, la prolongation est bien plus spectaculaire. À la 95è, un énième crochet d’un joueur de Feronikeli pousse un lourd défenseur de Trepca 89 à commettre la faute de trop. Penalty. Behar Maliqi ne tremble pas et s’offre une belle frappe en rupture au centre du but. Les spectateurs de Feronikeli deviennent alors dingues. Leur joie est belle à voir. Le match semble alors plié, tant Trepca 89 a eu du mal à se montrer dangereux.
Mais deux minutes plus tard, un ballon traîne à 25 mètres et Shpetim Idrizi place une frappe à ras de terre, imparable pour Kolshi. La folie est alors du côté de la Torcida. Une cinquantaine de gars descendent vers la pelouse, l’atmosphère est dingue. Les fumis sont de sortie, comme depuis le début du match. La célébration est à la hauteur de la surprise.
Les occasions se succèdent alors des deux côtés sans que personne ne réussisse à prendre l’avantage. Tirs au but. La loterie commence bien pour Feronikeli alors que Mustafa frappe largement au-dessus. Mais Trepca89 revient dès le deuxième tir, la tentative d’Haxhi Shala étant repoussée. Les tirs se succèdent et tout le monde marque malgré la grosse pression populaire de part et d’autre. Au sixième tir, Samir Sahiti craque finalement et Granit Kolshi stoppe sa tentative. Pour la deuxième année consécutive, Feronikeli gagne la Coupe du Kosovo et réalise le premier doublé de son histoire.
La dernière finale dans ce Kosovo isolé du monde du football ?
Les joueurs de Feronikeli fêtent cela très bruyamment avec leurs supporters. En face, malgré la déception, l’heure est aussi au partage. Les ultras de la Torcida continuent à chanter et applaudissent leurs joueurs qui leur rendent la pareille. Un gros respect mutuel. Quoi de plus normal quand on peut constater que Qeti, l’ancien capo mythique de la Torcida, est aujourd’hui assis sur le banc à côté de Toverlani.
Fadil Vokrri offre finalement la Coupe à Lladrovci, le capitaine de Feronikeli. Les deux entraîneurs, qui s’étaient brouillés il y a quelques années lors d’un match et ne s’étaient jamais parlé depuis, échangent une franche poignée de mains et quelques mots. Ce qui les rassemble reste plus important que leurs petites querelles passées : un travail très compliqué pour continuer à développer le football au Kosovo sans réels moyens.
C’est peut-être aussi ce qui permet au football kosovar de conserver ce côté familial, voire positivement campagnard et ces relations affectueuses entre joueurs, supporters et dirigeants. Mais tout le monde sait déjà que tout sera à reconstruire cet été. Les meilleurs joueurs partiront en Albanie, en Macédoine ou plus loin alors que les clubs kosovars ne sont pas vraiment protégés par le système de transferts FIFA et donc les joueurs plus ou moins libres de partir sans argent s’ils le souhaitent.
Mais peut-être que la situation va changer très bientôt. Le Kosovo espère toujours être reconnu comme membre à part entière de la FIFA et de l’UEFA dans les mois à venir. Et ainsi ouvrir une nouvelle page de son football, une avec plus de moyens et de vrais espoirs d’un lendemain meilleur.