Célèbre pour son équipe menée un temps par Maradona, Naples est aussi un lieu de résistance et d’antifascisme. Le collectif Kora Neapolis est une équipe de calcio popolare qui défend l’antiracisme et le foot pour tous. Nous avons rencontré Salvatore, l’un des fondateurs du collectif, qui défend l’action solidaire et œuvre pour réhabiliter des centres d’entrainement abandonnés dans les quartiers de Soccavo et Pianura, dont le centro paradiso où s’entraînait Maradona, aujourd’hui à l’abandon.
Difficile de s’imaginer la réalité de Naples avant de discuter avec Salvatore, napolitain activiste et fondateur du collectif de foot populaire Kora Neapolis, implanté dans les quartiers de Soccavo et Pianura, deux quartiers populaires de la banlieue ouest de Naples formant la neuvième municipalité de Naples. Kora Neapolis effectue un travail fondamental pour le quartier, centré autour du foot, la passion commune de tous les gamins du coin.
À sa naissance en 2015 le collectif s’appelle Calcio Popolare Soccavo (en français « foot populaire Soccavo »), avant d’opter pour Kora Neapolis, en référence à la culture grecque, qui a donné naissance à la ville de Naples. « Les Grecs ont été les premiers à inventer le terme de ‘démocratie’, il fait donc également référence dans un certain sens à la participation de tous ses habitants sans aucune forme de discrimination ». La communauté Kora Neapolis est hétérogène, mais « unie par la passion du foot et le partage de la vision d’un monde contre toutes les barrières, antifasciste, antiraciste et antisexiste« .
Il faut dire que Naples en connait un rayon en matière d’antifascisme. Elle a « un fort penchant antifasciste », réputée notamment pour s’être rebellée contre l’occupation nazie, lors des fameux « 4 jours de Naples« . On comprend mieux cette dynamique qui semble propre à la ville, dont le maire (Luigi de Magistris) est plutôt ouvert aux idées humanistes et traditionnellement ouvert à l’accueil. Salvatore est militant. La bataille du collectif, il la porte auprès d’autres assos comme le centre autogéré Piperno 80126 (CAP 80126), véritable lieu unificateur du quartier Soccavo.
L’équipe de Kora Neapolis, qui joue en bleu, comme le Napoli, est aussi composée de joueurs de la communauté Rom ou de Péruviens. Sur les réseaux sociaux, on trouve un mot pour célébrer la fête rom qui a lieu le 8 avril, #sinti et #caminanti, la journée internationale des Roms. Le militantisme se fait sentir dans les tournois auxquels participent l’équipe Kora, en soutien à la Palestine ou à vocation antiraciste comme le « Tournoi Mediterraneo Antirazzista Napoli 2019 », la « Kora United Cup » avec la Tifoseria Quartograd.
Leur désir est de réhabiliter des terrains pour que les gosses puissent jouer au foot, dans le quartier et accompagné par le Comité Soccavo, lui aussi antifascite, antiraciste et antisexiste, auquel Salvatore est membre depuis le début. . « Le comité Soccavo […] est un espace politique horizontal où des propositions sont élaborées pour résoudre des problèmes qui touchent les quartiers périphériques comme le nôtre : coupures dans les structures de soin et écoles publiques, manque de centres culturels et de lieux de rencontres, lieux abandonnés, problèmes de logement (beaucoup de gens vivent dans des sous-sols et dans les logements sociaux délabrés), etc. ». Cet abandon est encore plus flagrant à Rione Traiano, considéré comme un ghetto dans le quartier de Soccavo, témoin d’un drame en 2014, quand Davide Bifolco est assassiné par un carabinier alors qu’il n’a que 16 ans. Plus qu’un symbole, Davide Bifolco est devenu l’étoile de tout un quartier.
« Il était sur le scooter dans le quartier hors de la ville, avec deux autres personnes. Un escadron de carabiniers a poursuivi les garçons jusqu’au Rione Traiano, juste à côté de la maison de Davide. Là, les carabiniers ont percuté le scooter et les trois garçons sont tombés. L’un s’est enfuit, l’autre a été arrêté et Davide a été abattu. Le carabinier a dit qu’il avait trébuché et qu’il avait tiré par erreur. Les carabiniers cherchaient une personne assignée à résidence qui était sortie de sa maison et pensaient que l’un des trois garçons sur le scooter était la personne qu’ils recherchaient… »
Les conditions dramatiques de sa mort ont attiré l’attention sur les discriminations et sur les conditions de vie dans le quartier de Naples. Le journaliste Riccardo Rosa consacre un livre, le réalisateur Agostino Ferrente le film documentaire « Selfie. Avoir 16 ans à Naples », qui laisse la caméra à deux jeunes de 16 ans, avec en arrière-plan l’histoire de Davide. Un documentaire touchant qui montre la réalité des habitants de Soccavo.
Kora Neapolis ne joue pas un match sans une banderole en son nom. Son portrait est représenté aussi dans les tribunes de l’ASD Quartograd, ou dans les graffitis sur les murs de la ville. Sa mémoire est également présente à travers l’association que ses parents ont fondée pour aider les enfants du quartier. « Originaire de Rione Traiano, [Davide] aimait jouer au football comme tous les garçons de son âge du quartier. Les parents ont fondé cette association pour lutter contre les injustices auxquelles sont confrontés les « scugnizzi » (terme pour désigner les enfants napolitains, souvent malicieux) de Rione ». Kora Neapolis organise avec l’association Davide Bifolco des ateliers de foot pour les enfants « gratuits pour les garçons et les filles, indépendamment de l’origine ethnique, de l’origine, du sexe et des classes sociales ».
« Diego Armando Maradona s’est entraîné sur ce terrain »
Pour Salvatore et le collectif, le foot est un vecteur et moyen de communication essentiel. « Chaque banlieue vit des situations dures, on essaie de les combattre par des actions de dénonciation à travers le langage universel du football ». Mais le quartier manque de terrain pour s’entraîner, d’où un travail majeur de Kora Neapolis pour réhabiliter des espaces dédiés au foot. « Nous nous sommes particulièrement attachés à attirer l’attention sur les terrains de football laissés à l’abandon et à trouver une solution pour le réaménagement de ces espaces afin de garantir le droit au sport pour tous ».
L’un des nombreux espaces abandonnés du quartier Soccavo n’est autre que le Centro Paradiso, centre d’entrainement de l’équipe de Napoli de la fin des années 70 à 2004, aujourd’hui totalement laissé à l’abandon. Fort dommage pour le quartier, tant historiquement que pour les gamins qui voudraient jouer et se voient privés de terrain. « Diego Armando Maradona s’est entraîné sur ce terrain… C’est un lieu d’une grande importance historique, mais qui est maintenant abandonné depuis 15 ans. C’est une propriété privée et nous pensons qu’il n’est pas approprié de retirer un tel espace du quartier. Son ouverture peut avoir un impact positif important pour tout le monde ». Kora se mobilise auprès du Comité Centro Paradiso pour réhabiliter le lieu.
Leur action locale et solidaire rejoint par bien des aspects la lutte « contre le foot moderne » portée également par les supporters ultras, même s’ils ne se considèrent pas comme des supporters. « Notre réalité est née dans les terrains de football, nous ne sommes pas des gens qui ont fréquenté ou qui fréquentons les tribunes. Les autres raisons qui nous éloignent des tribunes sont le prix élevé, la répression et le fait de ne pas être en phase avec les règles du football moderne dictées par les patrons et la télévision payante. ». Ils revendiquent la gratuité et sont, à ce titre, solidaires des luttes des supporters napolitains. « Les supporters de notre ville se sont toujours positionnés contre les valeurs du football moderne, ces derniers temps ils ont lancé une forte initiative pour déserter le stade au vu des dernières règles répressives. Des normes répressives dictées par la dynamique du football moderne, qui veut transformer le stade en théâtre, annihilant ainsi les acclamations organisées et les alliances en tribunes ».
« le football doit être un mégaphone pour toutes les personnes qui vivent dans le quartier »
Plutôt que l’équipe phare de Naples, Salvatore cite plus volontiers des équipes locales bien moins connues au niveau européen, qui défendent le foot populaire : « le Lokomotiv Flegrea [qui] représente les quartiers Fuorigrotta-Bagnoli, le Quartograd [qui] représente toute la municipalité de Quarto, une province de Naples », ou encore « le Stella Rossa 2006 » qui « joue à Scampia mais dont le public cible est toute la ville. »
Parmi les icônes du Kora Neapolis, on retrouve bien sûr Maradona, le Brésilien du Corinthians Socrates, symbole de la démocratie dans le foot, le joueur sénégalais de Naples Kalidou Koulibaly, et l’omniprésent Davide Bifolco.
Les bannières et banderoles déployées par Kora sur les terrains soutiennent un projet local : « Nous avons des bannières pour signaler les problèmes du quartier, ou pour exprimer une idée simple : Pour nous, le football doit être un mégaphone pour toutes les personnes qui vivent dans le quartier ». Leur sens s’articule autour du lieu sur lesquelles elles sont déployées. Pas forcément un stade plein, mais des terrains en friche, afin qu’ils soient occupés à nouveau.
L’action essentielle de Kora Neapolis pour la communauté, orientée sur les valeurs de solidarité et d’intégration, permet une conception du foot magnifié et transcendé. Le foot populaire apporte des solutions à des problèmes actuels et a de beaux jours devant lui.
Grazie a Salvatore
& Merci à Bruno