Souvent mise en avant pour son exceptionnelle façon de vivre le football, la ville de Naples fait montre depuis quelques mois maintenant d’une lente désaffection pour le ballon rond. A l’instar de nombreux clubs italiens, la cité parthénopéenne peine désormais à remplir son écrin.
Autrefois temple et symbole de passion en Italie et en Europe, illustrée à merveille par le culte du dieu Diego Maradona, Naples semble aujourd’hui bien loin du statut qui fut longtemps le sien. Si les chapelles à la gloire du génie argentin, mais aussi les tags, gravures et autres représentations à l’effigie de Diego sont toujours visibles, le San Paolo, stade où la passion partisane et le culte du bleu ciel ont par le passé atteint des sommets, sonne dorénavant bien creux. 25 000 spectateurs présents contre Bologne, chose impensable il y a quelques années encore. Sans doute le tiers quelques jours plus tard en coupe d’Italie face au même adversaire dans un stade pouvant pourtant accueillir plus de 60 000 personnes. Le constat est clair, la tifoseria (comprenez « communauté de supporters ») napolitaine est actuellement en pleine crise identitaire.
Un stade vétuste, des prix en hausses
Ainsi, comment expliquer dans une ville souvent vantée, parfois critiquée, pour son exceptionnelle passion pour le ballon rond cette lente désertion depuis quelques mois ? Les causes sont très diverses. Dans un premier temps, il est bon d’évoquer la vétusté du stade napolitain. Dernièrement, un pan de mur du San Paolo s’est effondré. Assez régulièrement, le club est ainsi obligé d’entreprendre quelques réaménagements afin de se plier aux normes de sécurités actuelles, notamment celles fixées par l’UEFA lors des compétitions européennes. Les dirigeants azzurri ont par exemple été mis à l’amende très récemment par l’institution organisatrice de la Ligue Europa à laquelle participe le club, pour des conditions d’accès et de sécurité au stade jugées non conformes. A terme, il est évident que les conditions d’accueil pour le moins déplorables du stade de Fuorigrotta n’engagent pas vraiment la population à dépenser pour se rendre en tribune. Parallèlement, et c’est sans doute là le plus curieux, le club d’Aurelio De Laurentiis a mené une politique en matière de billetterie pour le moins contestable. Depuis quelques saisons, Naples a sensiblement augmenté le prix des places dans l’ensemble du stade, notamment en curva (virage) où siège d’ordinaire un public disons plus populaire et aux moyens moindres. Cette politique a-t-elle pour but de financer les travaux de réfection du stade ? Rien n’est moins sûr. Si la contestation des supporters du club, notamment en début de saison, a permis de limiter la hausse des tarifs à hauteur de ce que les dirigeants espéraient, il n’empêche que celle-ci a dégoûté un large panel de tifosi aux revenus souvent assez faibles, d’autant plus en temps de crise. Or, avant d’être une histoire de profit, le football n’a-t-il d’abord pas vocation à distraire et à offrir du bonheur au « peuple » ? Sans doute, mais il s’agit là d’un autre débat sur lequel il serait bon de s’interroger afin de juger de la pertinence de telles politiques.
Des curve en pleine crise
Non, plus encore que les raisons déjà évoquées, ce qui met à mal toute la passion générée par le Napoli, ce sont avant tout des dissensions internes au sein même de la tifoseria où le mot « unité » ne revêt plus beaucoup de sens. Le modèle napolitain en matière de « supporteurisme organisé » est assez particulier. Il est tout d’abord bon de rappeler la multitude de groupes qui composent la curva A et la curva B du San Paolo. Là où le modèle diffère un peu de ce qui peut se faire ailleurs, c’est que Naples est une ville où, même dans les tribunes latérales siège un public très expressif et organisé sous forme de nombreux groupes, là où traditionnellement prend place un public davantage familial et plus mesuré dans la manifestation de sa passion. Naples est une ville du sud, à la mentalité parfois excessive mais aussi et surtout très démonstrative. Par le passé, les deux curve se sont imposé comme le cœur du San Paolo grâce à leur unité à laquelle venaient se greffer les tribunes latérales. C’est-à-dire que, bien que segmentés en divers groupes, les virages s’unissaient afin de créer des spectacles, des animations en commun en plus de veiller à une certaine synchronisation dans les chants. Or il y a peu, la curva A, comme ce fut le cas il y a déjà quelques années a fait l’objet d’une dissolution dans sa version « unitaire » à cause de désaccords divers entre les groupes membres. De fait, depuis le début de saison, la curva est composée d’une multitude de mini-groupes directement formés selon la localisation et le quartier d’origine des supporters. Parallèlement, la curva B avait elle aussi connu quelques années plus tôt des difficultés à la suite de la disparition d’un groupe majeur et acteur fort de l’ambiance générale du San Paolo. Ce contexte ne permet plus aujourd’hui à la tifoseria napolitaine de rayonner comme par le passé. Nombre de personnes s’avouent lassées de la situation actuelle. Ajoutez à cela la « Tessera del Tifoso » comme accélérateur du phénomène et l’on en arrive à ce constat alarmant. La Tessera, sorte de carte d’identité du supporter en Italie qui permet de suivre un supporter à la trace, est un outil indispensable depuis 2010 pour qui souhaite s’abonner ou suivre son club en déplacement. Mise en place par les pouvoirs publics afin de lutter contre la violence, cette carte fait encore aujourd’hui l’objet de vives contestations et d’une lutte sans merci en Italie dont les Napolitains se sont trouvés être des acteurs forts. Depuis 2010, refusant de se soumettre à ce système allant à l’encontre de leurs convictions, nombre de supporters ont jeté l’éponge devant une passion de plus en plus difficile à vivre. Le résultat direct étant des curve toujours plus vides, et des tribunes visiteurs faiblement garnies. Ce d’autant plus qu’accepter une mesure venant de la capitale et du nord du pays en général revêt toujours un caractère délicat pour la fierté napolitaine. Enfin, il est également bon de signaler les interdictions de stade massives ayant touché le public de la cité jouxtant le Vésuve à la suite des incidents de la gare de Termini à Rome en 2008 (où des supporters avaient causé des débordements).
Ainsi vous obtenez la triste sauce actuelle. Le fait est qu’à la suite de ces inacceptables incidents, les pouvoirs publics italiens ont comme souvent sanctionné à tout va- y compris des innocents – sans faire la part des choses à savoir rechercher et éradiquer les véritables problèmes. Dommage véritablement, car aujourd’hui comme ailleurs en Italie, la tifoseria napolitaine se meurt, et la passion pour le ballon rond avec…