Nancy a vécu une saison riche en rebondissements. Dans les bas fonds de Ligue 2 jusqu’à la trêve, l’équipe d’Alain Perrin a réalisé une excellente deuxième partie de championnat et obtenu lors de l’avant-dernière journée, un maintien inespéré.
En étant nommé entraîneur fin octobre dans un écosystème brumeux, dont les poussières d’une équipe hostile au contrôle du jeu, d’un passé encrassé (plus mauvais début de saison de toute l’histoire du club : 7 matchs, 7 défaites, 0 but) et de sept points de retard sur le dernier non-relégable au classement, rendait la vision sinistre, Alain Perrin avait la tâche de remobiliser un groupe, le pousser le plus loin possible et éviter à Nancy une relégation en National.
Depuis le début, il avait été annoncé que la « mission commando » serait temporaire et donc mesurée en résultats. Avec 11 succès (sur 25) depuis son arrivée, la victoire symbolique dans le dernier match à domicile de la saison face au FC Metz et le maintien acquis lors de ce derby, la mission a été accomplie. Alors que Nancy manquait d’un pilote et de destination, le vaisseau n’avait pas accédé au stade du décollage. En ajoutant des armes courageuses et en plaçant le jeu au centre du projet, le Nancy d’Alain Perrin a réussi la folle prouesse de voler haut et loin, sans jamais se disloquer.
Des arrivées bienveillantes à toutes les lignes
Une saison en trois mondes et donc beaucoup de changements. À la suite d’un maintien acquis lors de la dernière journée, et d’un long été à attendre l’arrivée (qui n’aura pas lieu) des investisseurs promis, Nancy repart pour une troisième année consécutive en Ligue 2 et prend la stratégie de ne pas faire de folie (ou encore moins que d’habitude). C’est le début du monde I. Perdu, Nancy tombe rapidement au fond du classement et ses paris sur de nombreux joueurs semblent manqués.
De ces joueurs que Nancy a fait venir en début de saison, seuls Ernest Seka et Moimbé finiront par convaincre, sans toutefois faire oublier les déceptions Loris Néry, Séga Coulibaly, Pape Sané, Danilson Da Cruz, Christopher Maboulou. L’ère Didier Tholot s’arrête à la douzième journée et celle d’Alain Perrin, venu quelques temps avant en tant que conseiller du président Jean-Michel Roussier, débute en même temps que le monde II. Après sept matchs sans défaite entre novembre et décembre, il a enfin fait décoller le vaisseau : la moyenne de points gagnés par match est quasiment multipliée par trois et son équipe réduit l’écart avec le dix-huitième.
Mais un orage de trois défaites en janvier a déséquilibré l’engin et signalé que la suite devrait être plus élaborée. Pour semer l’obscurité loin de Nancy, le coach français a changé la donne et fait venir des joueurs résolus à faire la différence sous forme de prêts ou sans club, et donc à un coût réduit. C’est à ce moment que le monde III commence. Le lendemain de la nouvelle année, Alain Perrin s’est offert un ailier (Vagner), une pointe (Santy Ngom) et deux milieux (Sylvain Marveaux, Denis-Will Poha) depuis respectivement St-Etienne, Nantes, Lorient et Rennes. Les défenseurs Abdelhamid El Kaoutari et Pape Paye, eux, sont arrivés libres de tout contrat.
Finalement, parmi les dix-huit rencontres de la deuxième partie de saison, tous en ont jouées plus de quinze, à l’exception de Sylvain Marveaux et Pape Paye qui frôlent la barre des dix rencontres jouées. Si l’arrivée de ces sang neufs coïncident à l’élévation de la moyenne de points remportés et de buts inscrits par match (moyennes quasiment multipliées par quatre entre le Nancy de Didier Tholot et celui d’Alain Perrin en 2019), surtout tous ont contribué au développement d’un football sophistiqué.
La carte jeu
Une dernière ligne composée de trois centraux la plupart des dernières rencontres mais des défenses à quatre généralement, deux attaquants en pointe fréquemment, un seul quelque fois, un pressing intensif et haut parfois, deux créateurs au milieu (Marveaux, Bassi) occasionnellement et enfin des couloirs doublés pour bloquer l’adversaire rarement. Finalement, la seule volonté systématisée du bloc de Nancy a été de protéger sa défense avec Laurent Abergel juste devant et l’insistance de conserver un état équilibré. Si une défaite 4-0 à Lorient avait rapidement fait craindre le pire, son bloc a ensuite pris la forme d’un bouclier : lors des 23 matchs suivants, l’équipe d’Alain Perrin a été vaincue une seule fois avec plus d’un but d’écart (défaite 3-0 contre Metz le 29 janvier dernier).
En défense comme en attaque, l’entraineur nancéien a su résoudre l’équation à plusieurs inconnus d’un collectif qui peinait à trouver des réponses. D’abord en défense, selon trois aspects : organisation, équilibre et solidité. D’une part, l’organisation et le fait qu’Amine Bassi participe courageusement à la volonté coriace de son entraineur de former un bloc mesuré est l’assurance de cette réussite. De deux, l’équilibre défensif pour la réduction des espaces et Nancy s’est toujours présentée dans une approche compacte. De trois, la solidité pour gagner les duels en défense fondée sur une arrière-garde imposante : la sérénité à toute épreuve d’El Kaoutari et des Seka, Saint-Ruf prêts à dévorer tous les ballons s’approchant trop près des buts. Même les latéraux Moimbé et Pape Paye, plus habitués à aller le chercher, se sont montrés habiles pour défendre le résultat.
De l’autre côté du terrain, l’équation se résume aussi en quelques mots : l’organisation toujours, la préparation et la création. La préparation pour la recherche des espaces, le déséquilibre. On notera que la solidité défensive de l’équipe n’a pas été un handicap pour la phase offensive : les centraux ont pris des risques à la relance en cherchant à couper Marcel-Picot en deux, de quoi favoriser les armes offensives – bien que les mêmes supporters qui demandent du jeu se soulevaient quand les défenseurs enchaînaient des passes dans leur camp – et les latéraux ont animé les couloirs. Enfin, la création pour faire gagner les duels en attaque, les franchir.
Condamnées à l’indépendance offensive la plus totale sous l’ère de Didier Tholot, les ailes se sont transformées en immense pôle de création : Amine Bassi ou Sylvain Marveaux dans un rôle de meneur de jeu décalé qui ne cessait de rentrer vers l’intérieur, Vagner à gauche de manière permanente dans un registre d’accélérateur et destructeur (celui qui accélère, déborde, dribble, déséquilibre) et des latéraux familiarisés à la recherche de combinaisons offensives. Devant eux, Santy Ngom a été génial en supportant l’animation offensive de l’équipe par son pied gauche lorsqu’il s’affichait dans un rôle d’attaquant de soutien et tranchant lorsqu’il était placé dans la surface. Aux côtés du numéro 10 Amine Bassi, il n’aura cessé de servir à la fois l’élaboration et la finition. Il semblait impensable de ne pas faire l’effort de mettre Amine Bassi dans les meilleures conditions de création : lui donner une pointe puissante qui aime les associations mais aussi des milieux rapides pour l’aider à faire vivre le jeu nancéien. Après plusieurs mois de compétition, on a vu Nancy changer sa « main », en remplaçant les cartes joker par les cartes jeu.
Abergel et Bassi, le cœur et la tête du projet
L’efficacité défensive de Nancy a été mécanisée et tenue par un seul joueur : Laurent Abergel. Il est la marque de cette recherche de contrôle permanente d’Alain Perrin par son omniprésence : toujours sur le terrain, toujours au milieu, toujours devant la défense. Une garantie pour le projet élaboré et courageux du technicien français de 62 ans. Le constat est que Nancy n’a jamais cessé de penser comme son numéro 6, infatigable sur le terrain et dans sa soif d’équilibre. Excellent milieu, mais bien plus destructeur que constructeur, Abergel a été chargé d’arrêter les attaques adverses. Il a été la variante nancéienne de Fernandinho à Manchester City ou Jorginho à Chelsea. De surcroît à cette façade illusoire de profil récupérateur, il a les capacités de faire des différences offensives, comme en phase de possession lorsqu’il offre une solution constante au milieu et oriente sur les côtés, comme sur ces projections où il impose de son petit gabarit plutôt physique ou comme sur ces longues transversales lorsqu’il ramène un peu de Modrić en Lorraine. Mais si Abergel ne se charge pas de la première relance, c’est parce qu’Amine Bassi est là pour ça.
La situation d’Amine Bassi permet de comprendre l’importance d’un contexte collectif dans le rendement individuel d’un joueur. Après son explosion dans l’axe lors de la saison 2017-2018, il avait passé les premiers mois de la saison à coller les lignes de touches. Dans ce contexte complété par la situation d’une équipe traversant une crise de jeu, certains se sont précipités pour condamner un joueur bourré de talent. Avec Alain Perrin, le « trop soliste » Amine Bassi est devenu appliqué tactiquement. Si son rendement sans ballon a évolué positivement pour répondre aux consignes d’équilibre du technicien français, ceux qui attendaient du jeune joueur des actions et des statistiques à la Pogba n’ont pas vu leurs souhaits comblés. La raison ? Lorsqu’il a joué sur un des côtés ou dans l’axe, il était libre de se déplacer sur le terrain. Ici, avec des partenaires qui jouent haut et obligent l’adversaire à se replier, il bénéficie d’énormes libertés, est rarement marqué individuellement et apporte autre chose : une qualité de passe au cœur du jeu. C’est lui qui donne le tempo, que ce soit dans la gestion comme dans l’accélération.
Comme un symbole absolu, en inscrivant l’unique but lors de la victoire face au FC Metz qui a offert le maintien à son club, Amine Bassi a fait comprendre à tous que l’histoire et la survie de Nancy passait par son pied droit aux accents ibériques.
Belle article!
Les recrues par contre ne viennent pas de A.Perrin mais de la cellule de recrutement.