Dans un pays où la culture ultra est marginale, le Bolos Crew constitue un petit groupe marqué par leur origine latino, important les codes des tribunes latino. Comme tous les groupes constituant le Kop de Montréal, ils boycottent les tribunes depuis près d’un an car la direction du club a sacrifié l’identité du club, allant jusqu’à flouter le logo et l’ancien nom sur les images. Ils nous ont accordé cette interview dans les conditions actuelles, alors que la culture ultra est fortement mise à mal par le rebranding actuel.
Identité latino au Canada
Les Bolos supportent l’Impact de Montréal, le club de la ville francophone de Montréal au Canada. Ils sont un petit groupe d’une vingtaine de personnes environ, à s’être regroupées en 2017. Le groupe fait du bruit et s’implique au côté des Ultras Montréal 2002, groupe phare de l’Impact de Montréal et du Kop. Les Ultras Montréal 02 leur propose naturellement d’officialiser leur groupe. « Le tout commence en 2016-2017 lorsque certains d’entre nous commencent à aller au stade quelques fois. Tranquillement, nous nous croisons dans des sections et au stade. On se connaissait tous : certains étaient des anciens camarades d’école ou coéquipiers d’équipe amateurs, certains se connaissaient à travers les communautés latino-américaines à Montréal. Le groupe, pas encore officialisé, fait des déplacements assez subtils ici et là. Puis arrive 2017-2018, on se tanne d’être en tribunes assises, et décidons de vivre les matchs dans le Kop Montréal qui était composé des Ultras Montréal 02, Front Commun, Mtl Boys et Brigade Montréal dans ce temps-là. Cette saison, notre présence se fait sentir en tribune match après match même si on est juste une dizaine de latinos. On chante sans arrêt aux cotés des groupes mentionnés, et on s’implique beaucoup avec eux (déplacements, tifos, avants-match/après match) ».
Le nom du groupe, « Bolo », vient du terme « saoulon » en Amérique latine. Et en effet, les Bolos aiment faire la fête en tribune. « On nous identifiait comme les hispanophones fous du Kop qui ramenait toujours de l’alcool entre autres… hahaha ! ». Les membres du Crew viennent d’Amérique centrale, dans des pays où la culture ultra et barra est présente. « Tous les Bolos sont majoritairement originaires du Salvador et du Honduras, en plus de quelques sudamericains(es). Certains suivaient des clubs comme Olimpia (Honduras), Fas (Salvador) et ont connu le mouvement ultra/barra dans ces pays ». Différent donc du Canada, où la culture ultra est minoritaire et où le hockey est le sport national. Les Bolos s’impliquent vite dans les actions. « Ca n’a pas pris trop de temps se retrouver en tribunes et s’adapter avec le reste du Kop et expliquent certaines actions (graffitis, bâche/bannières de style barra/ultra, casquettes/chapeaux) etc. »
Leur identité attire d’autres membres de la communauté latino-américaine en tribune. Ils sont « connus de la communauté salvadorienne/hondurienne de Montréal ». Quand le joueur Romell Quioto, originaire du Honduras comme plusieurs membres des Bolos, signe à l’Impact, les Bolos mobilisent leur réseau pour connaitre les détails de l’arrivée du joueur. Ils l’accueillent à l’aéroport, et prennent une photo autour de lui en brandissant l’écharpe « Fuck Toronto », ennemi juré de Montréal. Un collector. « il fallait qu’il comprenne vite qui était l’ennemi … ce qui semble avoir marché car depuis son arrivée, il a marqué à presque tous les derbys contre eux ». Les Bolos maintiennent une bonne relation avec le joueur. Toronto, c’est l’antithèse de Montréal : les deux villes s’opposent de par leur identité francophone et anglophones. Une confrontation qui donne des derbys enflammés.
Les Bolos imposent leur style. « Nous n’avons pas d’alliances (à part celles qu’on partage avec les Ultras Montreal 02), mais avons gagné le respect de certains groupes à travers la Ligue après certains déplacements et certaines actions, bonnes ou mauvaises. Cela a également donné naissance à certaines rivalités/tensions avec d’autres groupes de la MLS ».
Toronto, d’abord. Et les supporters du monde entier qui viennent sticker à Montréal et ne s’attendent pas à une riposte. « Montréal est une ville multiculturelle : les gens viennent surtout pour étudier ici et certains collent des stickers à travers la ville. L’Université de Montréal est située dans un des quartiers où il y a des gars de notre groupe, ce qui fait en sorte que nous apercevons et faisons le ménage de stickers autres que les nôtres (après tout, on est chez nous) ». Evidemment, faut pas sticker sur les groupes de la ville. Les groupes du Kop Montréal y veillent. « il y a déjà eu des tensions (surtout sur les réseaux sociaux) à cause de graffitis/collants d’autres groupes Ultras qui ont des cellules ici à Montréal. Certains s’en foutent pas mal et veulent montrer leur présence en collant par-dessus nos collants ».
D’autres groupes au contraire stickent en respectant les groupes de la ville, et en s’informant sur eux. « C’est le cas de la Black Army Rabat par exemple, sûrement car ils n’aiment pas les groupes qui nous ont stické (…). Les gars de Marseille, de l’AEK, de Livorno, de St-Pauli à Montréal, on les connait ». Ils sont dans le réseau antifa et antiracistes avec le Front Commun, autre groupe phare de l’Impact de Montréal. « ils respectent et on fait pareil (…) certains sont même déjà venus en tribune avec nous ».
« Les chants étaient en français et ça les offusquait encore plus »
Les Bolos font les déps. et c’est souvent mémorable. Comme ce dép’ à Chicago, contre les Chicago Fire, où ils sont accueillis par le Sector Latino, un groupe qui n’a qu’un seul point commun avec eux : leur origine latine. « On est 7, et on fait 1400 km en voiture. Le groupe Sector Latino du club Chicago Fire nous repère à travers un post sur les réseaux sociaux. Ils savent qu’on arrive mais sans aucun autre détail. Arrivés là-bas, on se met directement sur les bières au centre-ville même si notre Airbnb est en banlieue. On marche, on fait un peu les touristes, les locaux nous repèrent et reconnaissent clairement qu’on n’est pas de là (car on a la bière à la main comme on fait normalement à Montréal en public). Chez nous, tu risques un petit avertissement des policiers ou une demande de vider l’alcool, mais pour eux c’est un choc de nous voir à l’aise, les conséquences étant plus grandes si un policier t’aperçoit et décide de te faire chier ». Il continue : « On part au stade, on continue à boire dans le parking, et au moment de l’entrée, on croise Sector Latino qui fait sa marche habituelle. Une clôture nous sépare, des insultes sont lancées (en espagnol) et ça se provoque… Le problème, c’est qu’on est que 7, et eux, environ 25 ! On réussit à atteindre notre section à travers les classiques insultes/remarques de locaux : Go back to your country, get out French fucks! etc ».
Sympa… ça fait toujours plaisir. Finalement, les Bolos dépotent et l’histoire se règle sur leur territoire : la ferveur en tribune. « La beauté de ce déplacement est qu’en étant peu, nous avons chanté jusqu’à la fin sans arrêt, les gens autour de nous et en dessous en avait ras le bol, surtout que les chants étaient en français et ça les offusquait encore plus. On se faisait entendre, car ce stade depuis longtemps n’attire pas beaucoup de gens, et même si les supporteurs du Chicago Fire n’étaient pas loin de nous (en diagonale sur le coin de corner), par moment on les a éteint et c’était surprenant sachant que leur groupe est parmi les plus anciens de la MLS. Les heures suivant le match, ils nous ont contactés par Facebook nous invitant à régler les comptes lorsqu’on ira à Toronto ou lorsqu’on reviendra (disons ils n’ont pas apprécié certaines de nos actions dans leur ville/stade). Rapport avec Toronto ? Ils sont amis, et 8 heures séparent leurs villes. »
Il y a aussi ce match contre Saprissa en février 2020, où les Bolos se déplacent à San José au Costa Rica, à 4000 km de Montréal. « Je peux affirmer que ce dep’ restera marqué à vie dans l’histoire du Kop. Des intégrants de chaque groupe du Kop Mtl ont fait le voyage, en plus d’un ultra de San Jose qui s’est joint à nous. On avait un contact là-bas (membre UM02) qui a facilité le tout ». Ils sont alors confrontés à la réalité de là-bas « un vrai déplacement en Amérique centrale » : interdiction de monnaie, gommes, cigarettes, une double fouille de la part des policiers et de leurs chiens. En tribune, des chants et supports « sans arrêts, de plus en plus bruyants », et une sortie compliquée car les ultras de Saprissa, interdits de stade, étaient dehors. « On s’en est sorti. Je me souviendrai toujours de cette marche d’environ 1km et demi, du restaurant au stade, une soixantaine de Montréalais chantant haut et fort devant les yeux des locaux (…)… je déduis qu’ils ont apprécié voir des Canadiens aussi passionnés pour le football ».
Rebranding, contestation et bannissement
En 2021, les Bolos apprennent le changement d’identité de leur club avec stupéfaction, comme l’ensemble des groupes de supporters de l’Impact de Montréal. Ils découvrent le nouveau nom de L’Impact de Montréal, rebaptisé par la direction « Club de foot Montréal » avec un logo représentant un flocon de neige. Un logo aseptisé et généralisant qui supprime toute l’identité de l’Impact. Pour les ultras, c’est une décision marketing, un rebrand qui renie toute l’identité et l’histoire du club. « Ils ont sous-estimé ce qu’il y avait déjà : une identité et un attachement à l’Impact de Montréal. Les gens ne sont pas contents, groupes supporteurs, fans normaux, occasionnels… bref, ça ne passe pas ». Il poursuit « Ils ont effacé l’histoire (presque 30 ans) avec un produit médiocre, insensé, et jusqu’à ce jour ils s’entêtent. »
Les groupes publient plusieurs communiqués collectifs depuis janvier 2021, en refus de la nouvelle identité. Ils s’expriment en tribune, les interdictions s’enchainent, jusqu’au bannissement de tous les groupes de supporters de la tribune 132. « Plus le mouvement prenait du poids, plus les sanctions montaient : interdictions de bannières anti-rebrand (qu’on n’a évidemment pas respecté, interdictions de drums, interdiction de drapeaux, de mégaphone jusqu’à que ça mène au bannissement ». Leur parole gêne. Les ultras, indépendants, contestent les décisions marketing de la direction du club, montrent leur mécontentement et se font éjecter du stade. Ils regrettent que leur parole ne soit pas prise en compte. « La différence entre nous et l’Europe se voient dans des situations comme ça entre autres… les groupes en Europe sont nombreux et influencent beaucoup quant au côté économique, car ils sont plus nombreux. Ici, ils peuvent se permettre d’ignorer leurs fans fidèles, car les autres personnes footix ou amateurs de divers sports vont quand même aller au stade ».
Depuis un an, les groupes de supporters essaient de trouver un terrain de négociation avec la direction du club, en vain. La suite, les Bolos y réfléchissent, comme chaque groupe de supporters de l’Impact. Leur équipe leur semble étrangère. Reste que la saison a repris (en mars en MLS), et qu’ils n’ont plus leur place en tribune. La nomination du nouveau directeur en mars 2022 laisse présager une possibilité de dialogue pour envisager le retour des ultras au stade. Espérons que les Bolos continueront d’exister.
Un grand merci aux Bolos